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EXPOSITION DU CERCLE DE L'UNION ARTISTIQUE

Une exposition intéressante a eu lieu, le mois dernier, au Cercle de la rue de Choiseul. Des tableaux bien choisis, des bronzes, quelques statues, y ont été réunis, sous une lumière discrète, par les soins d'une commission spéciale que présidait M. Maurice Cottier, et qui avait eu tout d'abord la bonne pensée de s'adjoindre M. Francis Petit. Les artistes qui font partie du Cercle ont naturellement pris la chose à cœur; des amateurs intelligents ont prêté les meilleures pages de leur galerie, et, grâce à ces efforts associés, l'exposition avait été improvisée en quelques jours. La Gazette des BeauxArts y a rencontré des peintures dont elle doit dire un mot.

Des trois tableaux exposés par M. Meissonier (le Corps de garde, une Lecture chez Diderot et le Capitaine), le dernier est de beaucoup le plus intéressant. On y voit un élégant officier qui, vêtu du costume militaire du XVIIe siècle, descend, dans une attitude pleine à la fois de familiarité et de crânerie, les marches d'un escalier seigneurial. L'exécution ici est des plus fines, et, chose excellente, M. Meissonier a su sacrifier les fonds pour faire valoir son petit personnage; il a donné à son Capitaine l'intérêt pittoresque qu'il doit avoir, en le détachant avec esprit sur la tonalité grise des murailles et de l'escalier.

Le tableau de M. Fromentin est un de ces souvenirs d'Algérie que l'artiste a rapportés d'un voyage doublement utile, puisque nous lui devons à la fois un écrivain et un peintre. Le crépuscule envahit déjà la plaine : les Arabes vont se mettre à l'abri sous leurs tentes, et des feux lointains scintillent à l'horizon voilé. Une femme, une esclave, prend soin de deux chevaux, et, avant de les faire rentrer à l'écurie, elle frotte de sa main brune leur peau luisante et souple. Tout est baigné d'une ombre discrète et lumineuse encore, et les tons, à cette heure indécise, perdent leur vivacité locale pour se fondre dans la grande harmonie du soir. Ce tableau, d'une observation si exacte pour la lumière et d'une finesse de dessin si précise, restera parmi les œuvres les plus réussies de M. Fromentin : il exprime à merveille et il condense les mérites de sa nouvelle manière, je veux dire de celle qui préfère la délicatesse à la force, et subordonne ce qui est robuste à ce qui est exquis.

Des portraits de M. Ricard, toujours curieux pour la recherche du ton, mais d'un dessin très-arbitraire; une Chasse au lion de M. Delacroix, des dessins de M. Bida, deux tableaux importants de M. Leys (Frans Floris et sa femme et le Repas de noces) faisaient assez voir que les organisateurs de l'exposition avaient eu la main heureuse dans le choix des peintures qui décoraient la galerie de la rue de Choiseul. Mais nous devons les remercier surtout de nous avoir montré quelques aquarelles de M. Eugène Lami. Les unes représentent des scènes de high life, les autres, nous reportant vers les élégances passées, groupent dans les bosquets de Versailles ou dans un boudoir Louis XV des gentilshommes et des femmes en grand costume de cour. Le caprice intelligent de la gouache étincelle dans ces compositions, charmantes comme des bouquets qui auraient de l'esprit.

MM. Cabat, Rousseau, Corot, Jules Dupré et Troyon-cinq maîtres, s'il vous plaît! représentaient le paysage. Le Lac de Narni de M. Cabat s'était fait un peu oublier

depuis la vente du duc d'Orléans, où il eut un si vif succès auprès de tous ceux qui aiment la poésie des horizons sévères, les grandes attitudes des arbres penchés, la sérénité pénétrante des campagnes silencieuses. La Vache de M. Corot — silhouette brune sur l'eau miroitante d'un lac où se reflète le dernier rayon du soir est un des plus fins tableaux du maître; M. Troyon, qui n'a pas ces délicatesses, a pourtant sa valeur et sa personnalité; M. Rousseau, qui varie ses méthodes au gré de ses inspirations changeantes, montrait de vigoureuses verdures ou de blondes perspectives; et M. Jules Dupré, quelquefois inégal, intéressant toujours, avait là un de ses chefs-d'œuvre, la Vanne, une toile magistrale et puissante qui fut autrefois l'honneur de la collection de M.Wertheimber, et qui nous l'espérons figurera tôt ou tard au Louvre.

Il faudrait citer encore les tableaux de MM. Diaz, Ziem et J.-F. Millet, et les aquarelles de M. Isabey, simples notes prises au bord de la mer, et qui, par la franchise de l'accent, valent autant que bien des peintures. Mais le peu que nous avons dit doit suffire le Cercle de la rue de Choiseul se propose, assure-t-on, de renouveler, de temps à autre, ces expositions intimes. C'est une excellente pensée. Il est bon que l'art se mêle à toutes les choses de la vie, et qu'on puisse, entre la partie d'échecs et le dîner, donner un quart d'heure à l'idéal. R. V.

Le dernier numéro de la Gazette des Beaux-Arts était sous presse, lorsque le Moniteur annonça la promotion de M. Ingres à la dignité de sénateur. En enregistrant aujourd'hui ce fait, nous ne pensons point l'apprendre à nos lecteurs, mais nous voulons exprimer hautement la joie que nous a causée cette nomination qui honore la peinture dans son plus digne représentant. Avant d'occuper le rang, maintenant incontesté, qu'il tient dans notre école, M. Ingres a eu longtemps à supporter de cruelles privations, à surmonter d'amers dégoûts, à affronter bien des critiques malveillantes, mais toujours il a été supérieur à sa fortune, et jamais il n'a songé à capter la faveur publique en flattant les caprices de la mode et les goûts d'un jour. Aussi ses succès sont-ils de ceux qui n'ont rien à redouter du temps. « En attribuant, disait naguère un de nos critiques les plus autorisés, M. Henri Delaborde, en attribuant à M. Ingres les mêmes droits qu'aux artistes souverains, en se prononçant hautement sur ses titres, l'opinion n'a à craindre ni méprise dans le présent, ni démenti dans l'avenir. Elle ne fera que pressentir ainsi les jugements de l'histoire, qu'anticiper, sans usurpation d'aucune sorte, sur la gloire promise à ses œuvres et à son nom, et, comme dit La Bruyère à propos d'un de ses contemporains, que parler d'avance le langage de la postérité. »

Le directeur : ÉDOUARD HOUSSAYE.

PARIS.

IMPRIMERIE DE J. CLAYE, RUE SAINT-BENOIT,

7

EXPOSITION DE
DE LONDRES

PEINTURE ET SCULPTURE

I

ÉCOLE ANGLAISE

L'Angleterre touche cette fois au résultat qu'elle a si longtemps rêvé. Elle se savait admirée et enviée pour toutes les nobles qualités qui l'ont faite si grande dans la politique, dans le commerce, dans l'industrie, mais il manquait quelque chose à sa joie, car la vieille Europe persistait à lui refuser le génie des arts. On doutait de l'existence de son école nationale, elle le voyait, et elle en souffrait. Contesté sur un point qui le blessait si fort dans ses ambitions et dans la juste conscience de sa valeur, ce fier pays n'a rien négligé pour affirmer aux yeux du monde sa richesse et son droit. L'exposition de Manchester, où tant de splendeurs avaient été réunies, fut dans ce sens une tentative héroïque; mais elle n'a réussi qu'à

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SARCINT S

XIII.

13

moitié, la critique étant paresseuse et la routine toute-puissante. Il a donc fallu recommencer l'épreuve aussi, dès qu'on a songé sérieusement à l'exhibition internationale, la pensée de montrer, en ce grand concours, les chefs-d'œuvre de la peinture anglaise, s'est imposée aux organisateurs de la fête avec une autorité invincible. Si la réalisation de ce projet a coûté quelque effort, que chacun se repose dans le succès commun. Le résultat est éclatant: Londres édifiera les retardataires que Manchester n'a pas convaincus; car, il n'en faut plus douter aujourd'hui, nos musées et nos livres sont incomplets, nos préjugés sont absurdes, notre éducation est à refaire il y a une école anglaise.

Cette révélation n'est pas nouvelle pour nous. Toutes réserves faites sur les qualités grandioses qui manquent à l'art de nos voisins, nous étions gagné par avance à la cause que les organisateurs de l'exposition ont prise en main, et l'Artiste et la Revue française ont reçu jadis sur ce point nos premières confidences. Nous sommes trop compromis pour reculer désormais; nous n'en avons d'ailleurs nulle envie. Le lecteur nous permettra donc de commencer le compte rendu de l'exposition de Londres par l'examen des œuvres des maîtres anglais; car, malgré la France et malgré la Belgique, qui toutes deux y jouent fort bien leur rôle, c'est dans le département de l'Angleterre que se donne aujourd'hui le spectacle intéressant, c'est là qu'est la vraie leçon. On sait du reste qu'au palais de Kensington les Anglais se sont parfaitement souvenus qu'ils étaient chez eux : ils se sont fait une place superbe, et ils ont pu ainsi raconter l'histoire de leur école depuis le commencement du XVIIIe siècle jusqu'aux plus récents essais des préraphaélites. Ne nous en plaignons pas. A ceux qui veulent nous instruire, nous devons d'abord un remerciment, sauf à discuter après.

Mais, dira-t-on, puisque les Anglais sont entrés si résolùment dans le champ du passé, pourquoi n'ont-ils pas été plus rétrospectifs encore? Pourquoi leur exposition, supprimant les origines et éliminant deux siècles, ne commence-t-elle qu'avec Hogarth? Le lecteur a déjà répondu. C'est qu'en effet l'école anglaise ne remonte pas au delà. Certes on a fait de la peinture en Angleterre avant 1720, mais l'art national n'existait pas; l'imitation des écoles étrangères demeurait la règle commune, l'accent local était encore à trouver. Et comme cette histoire de la peinture avant Hogarth vaut la peine d'être racontée1, nous essayerons, sous forme de préface, d'en marquer ici les dates principales.

4. Jusqu'à présent, les écrivains français se sont très-peu occupés de l'école anglaise; mais cette longue injustice sera prochainement réparée. Les éditeurs de l'Histoire des peintres ont compris qu'il manquerait quelque chose à leur beau livre si

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Le peu qu'on sait des commencements de la peinture en Angleterre démontre qu'elle ne s'y est point développée spontanément, et que, pareille à un arbuste exotique transplanté dans un sol ingrat, elle a eu toutes les peines du monde à y prendre racine et à fleurir. Sans remonter au moyen âge, dont l'histoire n'est pas encore faite, nous voyons, dès la fin du xve siècle et à l'époque où la Renaissance épand partout les clartés de la grande aurore, des artistes étrangers appelés à Londres par les rois et par les nobles. Jean de Mabuse y travaillait sous Henri VII, et cet ouvrier de la première heure créa ainsi entre l'Angleterre et les Flandres un courant d'idées qui ne s'est presque jamais complétement interrompu. Plus tard, on voit arriver le grand Holbein, qui a touché en maître à tous les arts, et dont l'influence dépassa les limites du siècle. Il fut suivi de l'excellent portraitiste Josse van Cleef, d'Antoine More, de quelques imitateurs de Franz Floris, et notamment de Lucas de Heere. L'Italien Zucchero, qui fut appelé à Londres sous la reine Élisabeth (1574), n'était pas homme à lutter contre les influences flamandes déjà toutes-puissantes dans le pays, et, oubliant assez vite ses origines, il entra dans le courant. Or, le talent principal, la préoccupation première des maîtres que l'Angleterre employait à cette date, c'était le portrait. L'heure de l'idéal n'est pas venue encore pour cette école sincère qui, éprise avant tout de la vérité, se contente de reproduire naïvement, patiemment, les traits de la personne humaine. Les galeries de Windsor et de Hampton-Court ont conservé un certain nombre de ces effigies qui, indépendamment de leur intérêt historique, nous fournissent des données irrécusables sur l'état de la peinture sous le règne de Henri VIII et de ses enfants. C'est à cette consciencieuse école qu'appartient le peintre brugeois Marc Garrard (1561-1635) qui, dans ses pâles portraits d'Élisabeth, ne dissimule aucune laideur et poursuit la ressemblance jusque dans le dessin d'une agrafe, jusque dans la découpure d'une dentelle. Ce principe d'imitation inspira également les miniaturistes de la savante reine, Nicolas Hilliard (1547-1619) et Isaac Oliver (1556?-1617). L'exposition de curiosités récemment ouverte au musée de Kensington montre de ces deux maîtres, que la France connaît à peine, de petits chefs-d'œuvre de patience et de finesse.

Sous le règne de Jacques Ier, la peinture ne subit que des modifications insensibles; le mouvement vint encore de l'étranger, et le Fla

l'école qui a donné au monde Reynolds, Gainsborough et Constable n'y était pas dignement représentée. L'œuvre est aujourd'hui en bon chemin, et, lorsque les dernières livraisons auront paru, la Gazette des Beaux-Arts ne manquera pas de rendre justice au travail de M. W. Bürger et de ses collaborateurs.

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