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Mais lorsqu'on se trouve avoir affaire à la figure humaine, doit-on copier aveuglément ce qu'ont fait les anciens, même de défectueux? Ici la question d'art se complique d'une question d'archéologie, et nous n'hésitons pas à répondre que dans les anciens émaux à figures il y a des exemples assez beaux pour qu'il soit permis à un artiste habile de pouvoir allier la science moderne avec les exigences de l'émail. Pour celui-ci, il faut des formes simples, de grandes lignes, des indications sommaires, toutes choses qui s'allient au style, si même elles n'en sont pas les conditions essentielles.

Nous pensons donc que M. Rudolphi pourrait se montrer parfois moins archéologue qu'il ne l'est dans certaines parties de cette châsse, l'un des travaux les plus considérables en ce genre que l'on ait encore exécutés.

A côté des émaux champlevés de M. Barbedienne et de ceux de M. Rudolphi, nous croyons que tout le reste, à quelques légères exceptions près, n'est que du vernis parfondu et appliqué au four; produit qui ne crée aucune des difficultés que l'on rencontre dans la pratique de l'émaillerie, mais qui ne présente aucune solidité.

Nous avions parlé précédemment d'un service de style grec orné d'émaux que MM. Elkington et Cie avaient exposé, et nous en avions loué le goût en disant qu'il était entièrement dû à des mains anglaises. Aujourd'hui nous pouvons montrer deux pièces de ce service, afin de permettre à nos lecteurs de juger en connaissance de cause. M. Georges Stanton, qui l'a dessiné sous la direction de M. A. Willms, placé par MM. Elkington et Cie à la tête de leurs ateliers, est un élève de l'école de comté établie à Birmingham par l'École centrale de Londres, c'est-à-dire un élève indirect de l'institution dont le musée de South-Kensington est le centre. Sachant quelles mains ont tracé le dessin de ces pièces, comment ces mains sont devenues habiles, où celui qu'elles servent si bien a pu puiser des leçons de goût, en voyant enfin ce qu'elles ont permis de faire à MM. Elkington et Cie, on sera moins tenté de nous accuser d'enfler la voix et de prétexter des périls imaginaires afin d'effrayer nos industries de luxe avec la concurrence possible de l'Angleterre.

L'industrie des émaux peints semble aujourd'hui comme jadis réservée à la France, car il n'y a guère que chez elle que nous l'ayons rencontrée. Les pièces les plus importantes appartenaient à la manufacture de Sèvres, et avaient été exécutées par M. Gobert. C'étaient deux aiguières et un plat en camaïeu bleu lapis dans les ombres, bleu céleste légèrement verdâtre dans les demi-teintes, et blanc dans les lumières; pièces largement et simplement traitées, se rapprochant de la manière de Péni

caud III, plus que de toute autre, par la vive opposition des ombres et des clairs; leur ton général nous semble peu agréable. Il faut citer aussi un grand disque peint par M. Philip, attaché au même établissement. D'autres émaux traités avec soin, mais d'une facture un peu mesquine, par M. Ch. Lepec, étaient égarés au milieu des miniatures, tandis que

W.J.PALMER.SCULP.

PIECE D'UN SERVICE DE STYLE GREC

Fabrique de MM. Elkington et Cie.

ceux de M. Dotain figuraient au milieu de l'orfévrerie. C'est le genre des camaïeux de Limoges que suit ce dernier émailleur, tout en peignant des imitations un peu pâles des émaux de Petitot et de Toutain.

Il faut nous arrêter un moment devant une œuvre hybride, pour montrer à quelles erreurs peut conduire le goût de l'extraordinaire allié avec ce qu'il nous sera permis d'appeler une ignorance absolue de l'histoire de l'émaillerie. M. Payen, le fabricant de filigranes le plus habile de Paris,

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dont les ateliers ont eu longtemps pour objet spécial de produire tous les bijoux nationaux du monde entier, depuis la Grèce jusqu'à Haïti, en passant par tous les archipels connus, s'est imaginé de faire sa pièce d'exposition. Dans un cadre magnifique formé de rinceaux et de fleurs en filigranes de toutes les espèces connues, il a ajusté les armoiries émaillées des grandes nations, et il a enchâssé une grande plaque d'or émaillé représentant ces mêmes nations se rendant à l'exposition de Londres sous la conduite de la Concorde et de la Justice.

La composition est de M. Diéterle; puis l'exécution a été confiée aux artistes les plus habiles, chacun en son genre. Voici quelle est cette exécution les chairs sont en émail peint; les draperies sont dessinées par un filet d'or, comme dans les émaux cloisonnés, mais elles sont modelées par des émaux translucides sur relief ou de basse taille. Les fonds et l'architecture participent aussi de ces trois modes de fabrication, de telle sorte que la rigidité du filet d'or qui cerne les figures contraste avec la souplesse du modelé des chairs qui sont peintes avec soin, tandis que les tons mats de ces chairs ne sauraient s'accorder avec les transparences des émaux translucides des draperies. Cette œuvre coûteuse est une erreur dans son ensemble, si elle est dans une de ses parties un heureux essai d'une fabrication abandonnée depuis le xve siècle, celle des émaux translucides sur relief. Espérons que l'orfèvrerie moderne saura en tirer d'heureux effets d'ornementation.

Enfin l'émaillerie sur métaux précieux, telle que les artistes de la Renaissance l'avaient employée en la combinant avec les pierres dures et précieuses, était représentée par des exemplaires dont le plus important et le plus beau appartenait à la fabrique anglaise de M. Harry Emmanuel. C'était une coupe en agate orientale, posant sur un pied simulant le rocher auquel Andromède est enchaînée. Persée, à cheval, surmonte la coupe et combat le dragon qui en forme l'anse. Les figures, d'assez grande proportion, sont fort bien exécutées et d'un excellent style, mais nous critiquerons le pied et la tige qui supportent la coupe, parties exclusivement composées de rochers d'un dessin très-indécis. Il eût fallu, ce nous semble, donner quelque fermeté par l'emploi de formes architectoniques à cette composition qui, étant de fantaisie, se prête à tous les caprices.

Deux coupes en agate, montées avec goût en or émaillé, exposées, l'une par M. Wiese, l'autre par M. Duron, complétaient, avec les bijoux dont nous nous sommes précédemment occupé, l'apport d'un art industriel sévère et architectural dans les émaux incrustés, plus familier, mais encore très-décoratif dans les émaux peints en camaïeu, et qui, luttant

avec la miniature dans les émaux colorés, marie son éclat à celui de l'or, ou oppose ses noirs profonds et ses blancs opaques aux feux des pierres précieuses ou aux transparences nacrées des agates et des camées.

Nous saluons avec bonheur le retour de cet art, car il n'en est point de plus riche, de plus charmant et de plus durable.

LES BRONZES ET LA FONTE DE FER

Voici une des industries dans lesquelles la France l'emporte sans conteste sur toutes les nations, tant par l'abondance que par la beauté et la variété des produits. Faut-il attribuer cette abondance, et, par suite, la supériorité qu'une longue pratique nous a donnée, à ce motif bizarre que la tablette de nos cheminées nécessitant un ornement quelconque, les pendules et leurs accessoires ordinaires sont venus trouver là une place qui a créé de nombreux débouchés aux fabriques de bronze?

En Angleterre, où les cheminées sont de simples trous pratiqués dans le mur; en Allemagne, où il n'y a que des poèles, l'usage des pendules n'existe point, et l'art du bronzier est presque nul. Mais l'Angleterre est en train de changer tout cela, comme il était facile de s'en convaincre en examinant la plupart des cheminées que ses marbriers avaient exposées, et nos fabricants de bronze ayant créé des relations en Angleterre, il est indubitable que bientôt ils trouveront là un important débouché, mais aussi des rivaux. MM. Elkington et Cie, dont le nom est venu si souvent sous notre plume, sont déjà tout préparés pour cette

concurrence.

Comme, dans l'industrie qui nous occupe, il y a d'abord une opération préalable qui consiste dans la fonte du métal, il nous faut mentionner tout d'abord les pièces brutes qu'a exposées M. Thiébaut, l'un de nos fondeurs les plus habiles. Elles sont dans l'état où elles sortent du moule, entourées des jets nombreux qui portent le métal partout à la fois, et sillonnées par les coutures que laissent les joints.

Il y avait là des pièces d'une patine et d'un poli de surface tels qu'il était à regretter que l'on dût faire autre chose que d'enlever les coutures et les jets. Mais ces opérations indispensables forcent à dérocher la pièce, c'est-à-dire à enlever dans un bain acide la couche d'oxyde qui la recouvre, et alors sa surface présente souvent un aspect spongieux qu'elle n'avait point d'abord. De là naît la nécessité de procéder à une ciselure et à un travail qui rende au métal ses qualités propres de cohésion et

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