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s'exerce la première inspiration sculpturale de l'homme; c'est sur les fines argiles soigneusement pétries, enduites d'un vernis lustré, que viennent se répéter les chefs-d'œuvre du grand art. Ceci est vrai pour les époques antiques comme pour celles qui nous avoisinent.

Quelque admiration qu'on éprouve pour les sculpteurs, les orfévres ou les ciseleurs damasquineurs de la Renaissance, on doit donc s'arrêter avec intérêt et même avec émotion devant les vases émaillés sortis des mains des potiers italiens. A combien d'efforts le désir du progrès ne les a-t-il pas entraînés? C'est après avoir consulté tous les types, porcelaines de la Chine, faïences de la Perse, poteries dorées des Mores de l'Espagne, qu'ils ont essayé de faire passer sur leurs vaisselles (stoviglie) les compositions des grands maîtres, enrichies de l'éclat des métaux et des pierres précieuses.

La collection montre en même temps et les premiers vases importés, et des échantillons de choix de tous les produits obtenus. Voici un plat persan de l'émail le plus pur, avec ses œillets d'Inde, ses fleurs bleu turquoise et rose pâle s'enlevant sur fond bleu; plus loin sont les pièces siculo-moresques, où le dernier reflet de l'art arabe vient s'éteindre pour faire place à la renaissance du grand goût antique; ici sont les demi-majoliques encore simples dans leur ornementation, avec de rigides figures nettement et savamment dessinées au trait, mais sans modelé et n'offrant, comme artifice d'effet, que leur magique reflet jaune nacré ou chatoyant comme l'opale ce sont les premières œuvres de Deruta et de Pesaro. Or, la fabrique de Gubbio va bientôt les supplanter. Si nous devons en croire Passeri, l'historien parfois un peu passionné des faïences italiennes, Georges Andreoli invente un nouveau lustre rouge rubis, et ses compositions écraseront non-seulement les autres poteries, mais encore les métaux brunis; qu'un rayon de soleil vienne à se réfléchir dans ces fragiles terrailles, et l'or, le saphir, l'émeraude, la topaze, n'auront pas de jets plus scintillants. Le plat no 759 est un chef-d'œuvre en ce genre; celui n° 757 paraît plus extraordinaire encore, parce que les reflets ressortent sur un fond gris bleu (berettino) qui semblerait devoir les absorber.

Chose assez singulière, Sauvageot considérait sans doute l'emploi de ces lustres comme un procédé technique ingénieux plutôt que comme une innovation heureuse pour la délinéation de la figure humaine, car on ne trouve dans sa suite aucun des sujets importants que maëstro Giorgio enrichissait des reflets métalliques. Au contraire, les peintures essentiellement imitatives y sont en grand nombre et des mieux choisies. C'est surtout parmi les pièces copiées des cartons des grands maîtres, que Sauvageot aimait à chercher ses spécimens. Voici, d'après Raphaël, le sup

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plice de Marsyas, exécuté à Castel-Durante avec une grâce, une perfection de modelé et une douceur de ton qui surprennent lorsqu'on songe à la difficulté du procédé. Une plaque, ou plutôt un fragment de plat, dessiné avec une sévérité magistrale, nous montre le Parnasse du même artiste, et, sous cette belle peinture, un monogramme, composé des lettres NALCO, indique, selon nous, le nom d'un céramiste encore inconnu de la grande école d'Urbino1, si riche en célébrités. Et, comme pour prouver que jusqu'au dernier moment cette fabrique importante a conservé son goût pur et son habitude des formes étudiées, Sauvageot recueille un spécimen de 1604; c'est l'aiguière à grotesques figurée cicontre. Le galbe en est heureusement conçu; le déversoir se compose de la figure d'un dauphin contourné, dont la nageoire caudale va se relier à une anse à torsade formée de deux serpents enlacés. Le blanc pur de la panse (marzacotto) est couvert d'arabesques imitées de celles dont Raphaël et ses élèves se plurent à parsemer les lambris de la Farnesine et des loges. Ce ne sont plus ces figures hardiment monstrueuses inventées par l'école de Modène, et dont notre collaborateur M. Armand Baschet nous donnait un si bel échantillon dans un vase du musée Correr2; ici, comme le montre l'exacte et délicate gravure que nous offrons au lecteur, la fantaisie s'astreint à certaines règles, l'impossible prend des aspects presque probables. Cette délicieuse pièce, outre son mérite d'art, a celui, non moins appréciable pour l'historien, d'indiquer une date et un nom; elle est signée d'Alfonzo Patanazzi, l'un des derniers. adeptes de cette école nourrie des plus beaux types de l'art italien et travaillant presque sous les yeux des maîtres. Au surplus, le genre adopté dans cette pièce n'est pas spécial à Urbino; il paraît même avoir été inauguré à Ferrare du temps d'Alphonse Ir. Le vase no 764 offre un curieux échantillon du service exécuté dans cette ville pour le mariage d'Alphonse II avec Marguerite. La devise: ARDET ÆTERNVM fut adoptée par le prince pour exprimer son amour. La fabrique de Pise a fait aussi des grotesques sur un blanc très-pur (797).

Nous n'avons rien dit encore des œuvres de Faenza, centre important dont les produits sont si variés qu'il est difficile de les bien circonscrire. Ici nous n'avons guère que des pièces arabesques, à fonds variés rehaussés, de rinceaux ou fleurons aux couleurs vives. La fantaisie ornementale s'y

1. Dans le consciencieux catalogue de M. Sauzay, le monogramme, un peu modifié par le dessinateur, est expliqué par : Nicolo.

Nous ne pensons pas que cette lecture soit acceptable.

2. LE MUSÉE CORRER, Gazette des Beaux-Arts, t. X.
p, 360.

voit exprimée avec une grâce charmante et une grande sévérité de style. Il faut le dire, au surplus, tous ces objets ont été choisis avec un tel discernement que les époques basses elles-mêmes sont représentées par des spécimens intéressants; la grande plaque napolitaine, signée Gentili, est certainement l'un des plus sérieux ouvrages de ce peintre; sous son dessin affaibli on retrouve encore une partie de la grâce antique du Triomphe d'Amphitrite, la Vénus des mers.

On le voit donc, nulle pièce de la collection Sauvageot n'est indifférente; chacune porte en elle un enseignement historique ou technique; on sent, après une étude attentive de toutes les séries, qu'une pensée sérieuse dirigeait le choix du savant amateur et le portait à chercher des révélations là où tant d'autres n'auraient vu que de brillantes curiosités. Son cabinet est une école pour l'homme intelligent, et il méritait d'être conservé à la postérité.

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