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tion était moins simple parce que, les émaux ne se mélangeant point pendant la fusion, il faut souvent triturer et recuire ceux dont on a voulu atténuer l'éclat par un autre émail plus sombre, jusqu'à ce que le mélange perde l'aspect ponctué qu'il avait tout d'abord. D'autres restaurations, exécutées avec une réussite parfaite pour le prince Soltykoff par M. Carrand, puis par M. Legost, prouvèrent que l'on pouvait essayer de fabriquer des pièces originales. C'est ce que fit Lassus en 1853, lorsqu'il confia à M. Legost l'exécution de la châsse de sainte Radegonde. Plus tard, ce même émailleur restaura, avec un grand talent et sous la direction de M. Viollet-Le-Duc, la tombe des enfants de saint Louis, à Saint-Denis, puis exécuta une tombe en émail pour un prince russe, et divers autres travaux de moindre importance. Tout dernièrement, M. Legost a commencé une croix colossale en émail, imitée de celle que M. L. Steinheil s'est plu à peindre d'une façon si trompeuse pour supporter le beau Christ du XIIe siècle qui est au musée de Cluny.

Mais les émaux étant moins nécessaires que les vitraux, les ateliers ne se seraient guère développés si la mode ne s'en était mêlée; le goût des bijoux prétendus orientaux remit en honneur les émaux champlevés; mais, le plus souvent, ce ne sont ni des émaux ni des émaux champlevés que les ateliers du Marais fournissent aux marchands algériens de Paris. Les plaques sont estampées, et c'est un vernis opaque, séché tout simplement au four, qui remplit les alvéoles de la pièce. Du reste, ce n'est plus par le champlevage comme jadis, mais par la fonte, plus économique, que l'on obtient aujourd'hui ces alvéoles que remplit l'émail, quitte à reprendre l'outil et à ciseler les contours des filets saillants qui expriment le dessin. De cette manière a été obtenu le beau vase que M. Barbedienne avait fabriqué pour l'exposition de Londres, et que nous reproduisons.

Si les formes générales de ce vase, naturellement fort simples, sont empruntées à la céramique antique, le décor se rapproche de celui qu'affectionnaient les émailleurs du XIIe siècle. Ce sont de grands rinceaux fleuronnés, exprimés en métal et s'entre-croisant de façon à laisser entre leurs tiges de petites cavités. On remplit d'abord celles-ci de poudre d'émail agglutinée. Après une première cuisson, on ajoute de nouvelle poudre d'émail jusqu'à ce que les cavités se trouvent remplies lorsque l'émail est parfondu; puis on enlève les rugosités à la lime, à la meule de grès, et l'on polit enfin sur une meule de bois à l'aide de poudre de pierre ponce; on finit sur une meule de liége lorsque l'on veut obtenir des émaux brillants, mais on se contente de la pierre ponce lorsque l'on ne veut obtenir qu'une surface un peu mate.

La fabrication est encore aujourd'hui ce qu'elle était du temps du moine Théophile au x1° siècle.

Si la préparation de l'excipient destiné à être émaillé est plus économique aujourd'hui qu'au moyen âge, elle n'est pas sans présenter certains inconvénients pour l'application même de l'émail. Pendant ces nombreux passages au feu qu'exige la pièce, le métal subit des dilatations et des retraits différents, suivant ses épaisseurs; il peut se briser et brise souvent l'émail. Il faut donc combiner les formes et le décor de façon à n'avoir point de brusques transitions entre des parties trop minces et des parties trop épaisses, ni d'angles trop aigus où l'émail s'égrène et n'adhère pas. Au moyen âge, où l'on opérait sur des lames de cuivre embouties au marteau, l'épaisseur était mieux réglée qu'elle ne peut l'être par la fonte, et les dilatations étaient sans inconvénients sur un métal rendu cohérent par le martelage.

De plus, l'épaisseur donnée à ces plaques diminuait l'influence que pouvaient avoir, par rapport à la dilatation, les filets saillants réservés à la surface. Les mouvements de ceux-ci étaient réglés par le mouvement général de la plaque, et se faisaient régulièrement sans crainte de rupture des filets ou de l'émail.

Ces détails font comprendre comment aujourd'hui il faut adopter, pour les émaux incrustés sur métal fondu, des formes plus simples qu'au moyen âge, où l'on opérait sur métal battu. Mais, dans les deux cas, il faut que la pièce soit d'une certaine épaisseur. Chez les Chinois, dont la plupart des collections possèdent de si magnifiques émaux, le système est le même ou complétement différent. Si la pièce est émaillée d'un seul côté, le métal est très-épais; si elle est émaillée sur deux faces, la plaque est très-mince. Les filets de métal qui tracent le dessin ne sont point réservés sur le fond, mais rapportés et soudés: c'est ce qu'on appelle des émaux cloisonnés comme ceux que fabriquaient les Byzantins sur de l'or, du vire au XIe siècle.

Dans ce cas, ce sont les dilatations de l'émail qui règlent celles du métal sous-jacent, comme dans les émaux peints, qui sont toujours garnis d'un contre-émail.

Nous avons dit qu'à force de soins on était parvenu à donner aux émaux modernes, que le commerce livre aux fabricants dans un trop grand état de pureté, les qualités d'éclat et d'harmonie que possèdent ceux de la Chine et du moyen âge. Est-ce à dire que la plupart des pièces que les émailleurs livrent à leur tour au public possèdent ces qualités? Hélas! non. L'éducation de ce dernier est encore à faire, et nous ne serions même pas étonné que tel qui paye un prix fou un émail dit byzan

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tin refusât un émail moderne possédant les mêmes qualités positives que l'ancien. Ce qu'il faut à l'acheteur, ce sont les qualités que nous appellerons négatives : la pureté absolue des émaux, la netteté rigide du dessin, la régularité géométrique des formes, ce qui se traduit par la dureté, la sécheresse et le défaut d'harmonie dans les couleurs. Or, on est marchand, et il faut vendre. Nous devons dire cependant que M. Barbedienne, qui a déjà si profondément modifié le goût du public par rapport aux bronzes, arrivera sans doute aussi à le modifier par rapport aux émaux, car les siens possèdent plus que tous les autres ces qualités d'éclat et de richesse que montrent les palettes des émailleurs gothiques et chinois.

Le musée de South-Kensington, qui, depuis sa fondation, a choisi dans toutes les expositions les produits d'art les plus parfaits et les plus nouveaux afin de les donner en exemples à l'industrie anglaise, a acquis le magnifique vasè émaillé de M. Barbedienne.

A ce propos, qu'on nous permette d'émettre un vœu c'est que l'on efface le mot ARTS du frontispice du Conservatoire des arts et métiers. En quoi existe-t-il quelque trace d'art dans l'enseignement et dans les galeries de cet établissement? Bien qu'il soit destiné aux ouvriers et placé au centre de l'industrie parisienne, industrie d'art et de luxe, on n'y enseigne que les sciences appliquées à l'industrie, sans s'occuper en aucune façon de l'histoire des arts que pratiquent ceux auxquels il est surtout destiné.

Avec le vase qui vient de nous occuper, M. Barbedienne avait exposé une couronne de lumière ornée d'émaux d'une grande richesse, ainsi que des coupes en marbre onyx d'Algérie, avec monture en cuivre émaillé et doré. Il y a un heureux accord entre ce marbre semi-translucide, qui ne peut recevoir que des formes simples et massives, avec l'émail qui, lui aussi, exige une grande simplicité de lignes et de surfaces, mais dont l'éclat se marie si merveilleusement avec l'or de la monture et le jaune clair, semé de nuages laiteux, du vase.

Pour tous ces émaux, M. Barbedienne a eu la sagesse de se conformer aux principes des gothiques et des Chinois, mais sans s'astreindre à copier des formes et un décor qui n'auraient plus de raison d'être; aussi a-t-il su être nouveau tout en suivant une tradition.

M. Rudolphi s'était astreint davantage à copier les émaux champlevés rhénans, et surtout limousins, dans la grande châsse ainsi que dans les bijoux qu'il a exposés. Tant qu'il ne s'agit que d'ornements, c'est-à-dire d'une interprétation des choses inanimées, ce parti peut être adopté sans conteste, à notre avis, car l'ornement est une chose toute conventionnelle.

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