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MUSÉE NAPOLÉON III

COLLECTION CAMPANA

LES VASES PEINTS 1

XI

Ce ne fut guère que vers la fin du XVIIe siècle ou au commencement du siècle suivant que les vases peints fixèrent l'attention des savants. A la renaissance des lettres en Europe, on ne s'était occupé que des grands monuments d'architecture, des œuvres de sculpture et des médailles ; mais, à quelques rares exceptions près, on s'était arrêté là, et l'étude de l'antiquité figurée ne s'était pas étendue plus loin. On négligeait les détails; on n'abordait pas l'examen de monuments que l'on devait considérer comme de moindre importance, de moindre valeur. La Chausse, dans le Museum Romanum, publié en 1690 et qui depuis eut plusieurs éditions, fit graver quelques vases de terre peinte. On en trouve également dans le Trésor de Brandenbourg de Laurent Beger?.

Dempster, Philippe Buonaroti, Guarnacci, Gori, Passeri', dans les ouvrages qu'ils ont écrits sur les antiquités étrusques, sont les premiers érudits qui se soient occupés d'une manière spéciale des vases peints; ils les considèrent comme des produits de l'art étrusque. C'est aux impos

4. Voir la Gazette du 1er septembre 1862.

2. Thesaurus Brandenb., vol. III, imprimé en 1704.

3. Etruria regalis, 2 vol. in-fol., Florence, 1723.

4. Explicationes et conjecturæ ad monumenta etrusca, à la suite de l'ouvrage

de Dempster.

5. Origini italiche, 3 vol. in-fol., Lucques, 1767.

6. Museum etruscum, 3 vol. in-fol., Florence, 1737.

7. Picturæ Etruscorum in vasculis, 3 vol. in-fol., Rome. 4767.

tures et aux ouvrages supposés par Annius de Viterbe qu'il faut remonter, si l'on veut saisir les premières traces de cet engouement pour les origines étrusques qui fascina pendant de longues années les antiquaires. Tout était étrusque aux yeux des savants qui les premiers eurent à examiner les produits de la céramographie, et cependant, à l'époque où ils émettaient cette opinion et la faisaient prévaloir, on savait d'une manière

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certaine qu'un grand nombre de ces produits avaient été découverts dans les tombeaux de l'Italie méridionale. Mais on cherchait l'explication de ce fait, qui semblait en contradiction avec les idées reçues, dans la domination exercée par les Étrusques sur toute la péninsule italique.

Une fois entré dans cette voie, on ne s'arrêta pas en si beau chemin, et, qui le croirait? il y eut des antiquaires italiens qui poussèrent si loin leur enthousiasme pour les Étrusques, qu'ils regardaient comme de tra

vail étrusque le Laocoon et la famille de Niobé; Ficoroni fut de ce nombre 1.

En France, c'est surtout au comte de Caylus, zélé amateur d'antiquités, qu'on doit la connaissance des vases peints. Son recueil en sept volumes in-4°, commencé en 1752, contient un assez grand nombre de planches de vases. Avant Caylus, Dom Bernard de Montfaucon, dans son Antiquité expliquée, avait signalé ces précieux monuments à l'attention du public. Du reste, en France, on ne faisait que suivre les antiquaires italiens; le système erroné qui avait pris naissance au delà des monts n'était pas même examiné, et il ne pouvait guère en être autrement; l'étruscomanie dominait partout et sans conteste; on l'acceptait comme un fait qui n'avait aucunement besoin d'être ni démontré ni discuté.

Les gravures de ces premiers recueils sont exécutées d'une façon pitoyable; elles ne donnent aucune idée ni du style ni du caractère des peintures antiques; ce sont d'informes dessins faits sans goût, sans habileté. On semble ne pas s'être soucié le moins du monde de faire apprécier le mérite artistique ou archéologique des monuments qu'on reproduisait par la gravure.

XII

Cependant Winckelmann écrivait son Histoire de l'art chez les anciens, étudiait les monuments originaux sans idées préconçues, et, joignant à une vaste érudition des connaissances sur les arts du dessin, posait les bases de la saine critique, sans s'arrêter aux systèmes de ses devanciers. Répudiant les explications pleines d'erreurs en vogue à cette époque, il restitua aux monuments antiques leur véritable signification. On avait cherché jusque-là dans l'histoire de la Grèce et de Rome des faits pour expliquer toutes les compositions, tous les sujets traités par les artistes anciens, sans tenir compte de la nature des monuments. Winckelmann comprit combien ces idées sur l'antiquité figurée étaient fausses et manquaient de base. Les faits historiques, les personnages qui ont joué un rôle dans l'histoire ne sont que rarement et exceptionnellement représentés dans les monuments. La plupart du temps, c'est aux traditions religieuses et mythologiques qu'il faut recourir pour interpréter les scènes traitées et constamment reproduites d'âge en âge par les sculpteurs et

4. Voir Guarnacci, Origini italiche, t. II, p. 41 et 334. 2. T. III, t, p. 142, et Supplément, t. III, p. 69.

par les peintres. L'illustre archéologue allemand porta le flambeau de la critique dans ces difficiles questions; ses Monuments inédits1 témoignent de la pénétration de son jugement et des luttes qu'il eut à soutenir pour faire triompher un système qui ne tendait à rien moins qu'à renverser l'édifice laborieusement élevé par les érudits italiens. Il reconnut aussi à quel art appartenaient les vases peints, et, rejetant les prétentions patriotiques des antiquaires imbus de préjugés, il démontra que c'était aux Grecs que revenaient de droit la suprématie et la priorité en ce qui concerne les arts du dessin, et que l'hellénisme avait laissé une empreinte visible de son génie et de son caractère sur les produits de la céramographie. Il fit voir également que les sculptures de style archaïque, que l'on s'accordait à regarder comme des ouvrages incontestablement étrusques, appartenaient à l'art grec ancien, non qu'il niât l'habileté des Étrusques quant à la fonte et au travail des métaux, et particulièrement du bronze, fait qui est attesté par des témoignages antiques. Les bronzes étrusques avaient déjà une grande réputation et étaient recherchés en Grèce à l'époque de la guerre du Péloponèse2.

Tout en restituant aux vases peints leur véritable origine, les gravures publiées par Winckelmann ne valent guère mieux que celles qui avaient paru avant lui3.

L'Histoire de l'art de Winckelmann porte la date de 1763. Quelques années auparavant, Mazochi avait reconnu des inscriptions grecques sur des vases découverts en Sicile et dans la Grande-Grèce, et la vue de ces inscriptions avait été pour ce savant une véritable révélation; aussi n'hésita-t-il pas un instant pour affirmer que ces vases avaient été fabriqués évidemment par des Grecs, et non par les Étrusques.

XIII

Écrire l'histoire des travaux faits par les modernes sur les vases prints, discuter et examiner les opinions diverses émises sur les questions d'origine, de provenance, de fabrique, d'âge, de style, ce serait dépasser les bornes d'un article; l'examen détaillé de ces questions complexes et souvent embarrassantes exigerait un livre. Dans l'Introduction

4. Deux volumes in-folio, Rome, 1767.

2. Pherecrat., ap. Athen., xv, p. 700, C.

3. Voir les Monumenti inediti, Rome, 1767.

4. Commentarii in tab heracl., 4 vol. in-fol., Naples, 1754, p. 137 et 554.

à l'étude des vases peints, placée en tête de l'Élite des monuments céramographiques, Charles Lenormant avait entrepris de tracer cette histoire qu'il n'a fait qu'effleurer; ce travail n'a jamais été terminé. Ici nous ne pouvons guère entrer dans de grands détails ni dans des développements étendus sur ces questions; notre tâche doit se borner à présenter quelques vues générales qui donneront un aperçu de l'immense développement que les études archéologiques ont pris depuis le commencement du XIXe siècle.

Le chevalier W. Hamilton, ambassadeur d'Angleterre à Naples de 1764 à 1800, était un amateur ardent et passionné qui recherchait avec soin les monuments de l'art ancien. Il forma successivement deux grandes collections de vases peints. La première, qui aujourd'hui fait partie du Musée Britannique, fut publiée en quatre volumes in-folio, en 1766, par Hugues d'Hancarville1. Ce livre, exécuté avec beaucoup de luxe, mais sans goût, contient des recherches étendues et même prolixes sur l'art des anciens; toutes les planches sont gravées d'une manière uniforme (on dirait que les dessins ont été calqués sur des patrons dus à une seule main). Ces planches sont coloriées presque toutes de même et avec des teintes qui ne rendent aucunement l'aspect des vases antiques. Il semblerait, du reste, qu'on n'a cherché qu'à produire des gravures à effet sans prétendre à l'exactitude et à la fidélité.

Le recueil de la première collection de Hamilton établit comme une transition entre les informes gravures des Passeri, des Caylus, des Gori et des autres érudits qui les premiers se sont occupés des vases peints, et les ouvrages parus peu de temps après, et où l'on passa d'une grande négligence à une exagération d'un tout autre genre.

Jusque-là, on avait semblé professer un profond dédain pour les potiers prétendus étrusques. L'éditeur des quatre volumes de la première collection de Hamilton, tout en parlant des arts du dessin chez les Grecs, de la grande habileté des artistes grecs, de la beauté sans pareille de leurs ouvrages, tout en étalant un luxe de vignettes et de gravures rehaussées de couleurs, n'avait pas réussi à exciter l'admiration des artistes. Maintenant qu'il était à peu près généralement admis que les vases peints avaient été fabriqués par les Grecs, ou du moins sous l'influence directe de ce peuple; maintenant qu'on considérait les produits de la céramographie comme se rattachant à la source la plus pure de l'art, on s'exagéra le mérite de ces sortes de peintures, et on voulut à toute force y

1. Antiquités étrusques, grecques et romaines, tirées du cabinet de M. Hamilton. Cette collection a été republiée à Paris et gravée par David en 1785, 5 vol. in-4°.

XIII.

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