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même de Fra Carnevale, qui se contentait, en traitant des sujets sacrés, de copier les modèles qu'il avait habituellement devant les yeux 1, les maîtres les plus justement célèbres entre ces précurseurs de Raphaël, Piero della Francesca, Gentile da Fabriano, plusieurs autres encore, ne déterminent-ils pas un progrès scientifique bien plutôt qu'ils n'assurent la prédominance de l'élément purement religieux? Objectera-t-on le Pérugin, qu'il est d'usage, je le sais, de venger, non pas des imputations dirigées par Vasari contre les croyances personnelles de l'artiste, mais du préjudice causé à sa renommée par la gloire de son illustre élève? Mais le Pérugin lui-même, malgré l'onction apparente de sa manière, ne demeure, en réalité, qu'un très-habile praticien. Si les ressources du sentiment n'avaient pas été chez lui assez étroitement limitées, se serait-il condamné d'aussi bonne grâce à ces éternelles redites, à ces compositions taillées sur le même patron, qui sortaient régulièrement de son atelier, comme les objets fabriqués à point sortent d'une manufacture?

Non, l'école ombrienne, école de savants et de graves esprits, n'a ni la vitalité, ni la séve, ni la force d'expansion dont on voudrait dépouiller à son profit l'école florentine. Que Raphaël y ait trouvé, sinon des aïeux tout à fait dignes de lui, au moins des devanciers dont il pouvait, en attendant mieux, mettre à profit les exemples; que tel tableau, maintenant devant nos yeux, ait été honoré de ses premiers regards, cet Enlèvement d'Europe peut-être, où la figure principale semble une sorte de révélation des types qui acquerront plus tard sous son pinceau une grâce et une beauté achevées, nous admettrons tout cela sans difficulté; mais à la condition de ne pas exagérer le prix de pareils secours, à la condition de nous souvenir que c'est en consultant de plus grands maîtres et de plus purs modèles que le peintre du Sposalizio a pu devenir, à Florence, le peintre de la Mise au Tombeau, de la Belle Jardinière et de la Vierge au Chardonneret.

A quoi bon, d'ailleurs, nous aventurer dans le champ des hypothèses en ce qui concerne les premières études de Raphaël? Ne sait-on pas, à

4. On sait qu'un tableau de sa main, aujourd'hui au musée Brera, à Milan, représente la Vierge sous les traits de la duchesse d'Urbin, Battista Sforza, et Jésus enfant sous les traits du fils de cette princesse. Il y a loin, sans doute, de ces accommodements et de cette piété facile aux inspirations et aux procédés de l'art florentin. Fra Angelico s'agenouillait pour peindre ses madones, et n'entrevoyait qu'à travers les larmes de la ferveur la sainte image qu'il allait retracer. Fra Carnevale jugeait suffisant de regarder en face la nature vivante, de l'interroger avec bonne humeur et de travestir en hôtes du ciel les gens qui faisaient appel à son talent.

n'en pouvoir douter, qu'une suite de portraits qui décorait la bibliothèque des ducs d'Urbin a été copiée par lui à l'époque de son adolescence? Ces copies, dessinées à la plume, sont conservées dans la galerie de l'Académie des beaux-arts, à Venise, tandis que quatorze des peintures originales ornent aujourd'hui le musée Napoléon III. En voyant celles-ci, personne, à coup sûr, ne s'étonnera que le glorieux apprenti ait voulu y puiser des leçons, et, quelque surcroît d'honneur qu'elles empruntent d'une consécration aussi haute, elles valent assez par elles-mêmes, elles se recommandent par un ensemble de qualités assez rare pour qu'on les admire, même sans ce laissez-passer historique, sans l'intermédiaire de ces souvenirs.

Les portraits dont nous parlons, et qui, mieux qu'aucun des tableaux à côté desquels ils se trouvent, nous semblent résumer les inclinations distinctives et les coutumes de l'école ombrienne, ces portraits ont une analogie trop évidente avec le beau Portrait de Sixte IV peint à fresque, à Rome, par Melozzo da Forli, pour qu'on hésite à y reconnaître la main de cet éminent artiste. Ici, comme dans la peinture du Vatican, la physionomie de chaque personnage est comprise et rendue avec une profonde sagacité, ou plutôt — car il ne s'agit pas seulement de portraits dans le sens littéral du mot, là où le peintre a dû mettre, en regard de ses contemporains, Victorin de Feltre, Sixte IV et le cardinal Bessarion, les images infiniment moins authentiques de Platon, de saint Augustin et de Virgile - les intentions qu'exprime Melozzo varient aussi bien en raison des types fournis directement par la nature, qu'en raison des caractères historiques de chaque sujet. Quant à l'exécution, elle a cette liberté, et en même temps cette certitude, qui révèlent le pinceau exercé d'un frescante. Si facile toutefois que se montre la pratique, elle n'affiche

4. Cette fresque, transportée sur toile, a passé de la bibliothèque du Vatican dans la galerie de peinture de ce palais. Elle représente Sixte IV au moment où il investit Platina, agenouillé devant lui, des fonctions de bibliothécaire de la Vaticane. La scène a pour témoins les quatre neveux du pape, parmi lesquels on remarque le cardinal Julien della Rovere, qui fut depuis Jules II.

2. Il est présumable d'ailleurs que, par une fantaisie archaïque bien conforme aux doctes habitudes de la cour d'Urbin, la tâche avait été imposée à l'artiste de repro- duire, sous les noms des hommes illustres de l'antiquité, les traits de quelques lettrés célèbres et de quelques savants de l'époque. Des recherches, dont les résultats sont consignés dans le catalogue du musée Napoléon III, sembleraient fournir des arguments à l'appui de cette supposition. C'est ainsi qu'on a cru reconnaître le portrait d'un secrétaire de Nicolas V, le platonicien Gemisto, dans le prétendu portrait de Platon, ceux de Lorenzo Valla et du jurisconsulte Antonio Campano dans les portraits de Ptolémée et de Solon.

nulle part la dextérité au détriment de l'expression précise; si transparent que soit le coloris, il ne dégénère pas en une inconsistante enluminure. L'harmonie des tons, au contraire, est aussi solide qu'imprévue, et l'on ne sait ce qu'il faut admirer le plus dans ces portraits à la fois si sérieusement étudiés et si vivement peints, de l'éclat des moyens employés ou des savantes combinaisons qui, d'avance, en légitimaient la hardiesse.

Bornons ici l'examen que nous avons entrepris, non pas, certes, que la pensée nous vienne d'avoir tout signalé et tout dit. Depuis certains tableaux anonymes du xive siècle jusqu'à une puissante ébauche où Fra Bartolommeo a groupé les figures de la Vierge, de l'enfant Jésus et de saint Jean-Baptiste, assez d'œuvres diversement remarquables, qui n'ont pas même été mentionnées, feraient justice de cette prétention malencontreuse. Mais, nous le répétons en finissant, notre dessein était bien moins de dresser un inventaire des peintures exposées dans le nouveau musée, que d'y choisir quelques exemplaires exprimant les tendances communes ou les variations successives des anciennes écoles italiennes, quelques spécimens de l'art primitif, propres à servir à l'art moderne d'encouragements et de leçons. Or, en quoi consiste l'autorité de ces leçons, quelle peut en être aujourd'hui l'autorité ou la vertu ? Quel profit retirer de l'étude de ces monuments, dont il semble que tant de monuments, bien autrement irréprochables, aient, d'avance ou après coup, déprécié la valeur esthétique? Pour tout dire enfin, que peuvent nous enseigner des œuvres d'où la beauté proprement dite est absente et que déparent, d'ailleurs, d'assez graves incorrections matérielles, à nous qui avons appris, d'une part, à connaître le beau en face des chefs-d'œuvre de l'antiquité grecque, et, de l'autre, à être difficiles en matière d'habileté depuis les merveilles de la Renaissance? Grande question qui exigerait, pour être résolue, des développements où nous ne saurions entrer ici, mais que nous ne voulons pas laisser se poser sans essayer d'y répondre au moins quelques mots.

Loin de nous, est-il besoin de le dire, l'intention d'établir une comparaison impossible entre les formes incomplètes de l'art au moyen âge et les formes, souverainement belles, de l'art antique. A plus forte raison nous garderons-nous, dans l'ordre moral, de confondre des éléments d'inspiration si radicalement dissemblables. Ce que nous voudrions, au contraire, c'est constater ces dissemblances mêmes pour y chercher le secret de chaque genre de progrès et faire ressortir, en regard de la vérité et de la beauté païennes, cette autre vérité plus intime et plus féconde, cette autre beauté plus pénétrante que la foi chrétienne a décou

PYTHAGORE?

Fac-simile d'un dessin de Raphaël, d'après Melozzo da Forli

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