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Pasitèle la mère de la statuaire, de la sculpture et de la gravure1. On connaît la jolie légende de la fille de Dibutade, le potier de Corinthe : une jeune fille amoureuse trace un soir, à la clarté d'une lampe, sur une muraille, le profil de son amant qui partait pour un voyage; son père, le potier, applique l'argile sur le dessin et trouve le bas-relief. En prenant cette légende comme un mythe du même genre que tant d'autres sous lesquels l'antiquité aimait à cacher des vérités morales ou historiques, on voit que les Grecs considéraient le dessin fait pour fixer en quelque sorte l'ombre des figures sur une surface comme une première inspiration du génie plastique; une seconde inspiration du même génie, appelant l'industrie à son aide, avait fait d'un humble potier de terre le premier modeleur.

Les faits viennent à l'appui de cette théorie. On voit assez clairement dans les bas-reliefs égyptiens qu'ils proviennent d'une première représentation tracée sur le mur et enluminée. Les rapports de la céramique et de la plastique ne semblent ni moins logiques ni moins démontrés. Quant au reste de la légende, il a sa signification morale, et peut-être trouverat-on un symbole assez heureux de la part qui doit être faite au sentiment humain dans l'origine des arts, dans cette jeune fille qui, l'amour au cœur et une lampe à la main, afin d'éterniser un souvenir et de fixer une ombre, trace d'un doigt ému sur un mur la première image de la forme humaine.

Pline fait inventer la poterie par Corobus, Athénien; mais les monuments égyptiens témoignent qu'elle florissait en Égypte bien longtemps avant la fondation d'Athènes. Il paraît aussi, par une peinture trouvée à Thèbes et datant du règne de Thoutmès III, que la céramique florissait en Mésopotamie et qu'elle y avait même atteint une assez grande perfection quatorze siècles environ avant notre ère. La roue du potier a eu l'honneur d'être célébrée par Homère, qui compare à son mouvement rapide celui des jeunes hommes et des belles filles exécutant la danse d'Ariane. Ces premiers travaux de la céramique semblaient aux contem

4. Laudat et Pasitelem, qui plasticem matrem statuariæ, sculpturæ et cælaturæ esse dixit. (Pline, Hist. nat., xxxv, 45.)

2. Hist. nat., xxxv, 43.

3. Egyptian bas-relief appears to have been, in its origin, a mere copy of painting, its predecessor. (Wilkinson, A popular account of the ancient Egyptians, vol. II, p. 264.)

4. Wilkinson, Ancient Egyptians, vol. II, p. 407.

5. A. de Longpérier, Notice des antiquités assyriennes, babyloniennes, etc., du Musée du Louvre, 3e édit., p. 47.

6. Iliade, chant XVIII, vers 600.

porains quelque chose de merveilleux, de magique même. Un charmant poëme1, ordinairement joint aux poésies homériques, nous montre les démons hostiles attaquant de leurs maléfices le four du potier, que protégeait, en revanche, Minerve Ergané.

Quant à l'usage de la brique pour les constructions, on le trouve chez tous les peuples anciens, où il paraît avoir remplacé les murs de terre des temps primitifs. Les Égyptiens, les Hébreux, les Babyloniens se servaient de briques crues ou cuites pour leurs édifices privés ou publics. On a trouvé des briques peintes et émaillées dans les fouilles à Khorsabad. Les Grecs des temps héroïques ont eu des palais et des temples en briques. Dans l'Asie Mineure, la brique persista, même pour les palais, à côté de la pierre et du marbre : le palais de Crésus, à Sardes, celui de Mausole à Halicarnasse, tous deux encore debout au temps de Pline, étaient bâtis en briques.

Quel pays fut le berceau de la plastique? Si je ne me trompe, l'histoire de Dibutade dut se reproduire, avec des variantes, partout où s'éveilla le génie de la plastique au sein de l'industrie déjà florissante3. Aussi loin qu'on peut regarder dans l'antiquité, derrière d'anciennes civilisations, on en aperçoit d'autres encore plus anciennes. L'horizon recule sans cesse, et l'histoire, le flambeau de la science et de la critique à la main, fait chaque jour de nouvelles conquêtes sur l'obscurité des époques primitives".

Il est assez probable d'ailleurs que ce fut à Corinthe, la ville des potiers, riche par son commerce de terre et de mer, et où l'ordre dorique reçut ses premiers développements, que la plastique, si elle n'y fut pas inventée, fut du moins cultivée avec le plus de succès. Quelques-uns de ses progrès semblent dater de cette ville et de l'époque où elle commençait d'y fleurir. Il y a lieu de croire, avec Ottfried Müller, que le fronton dorique reçut à Corinthe pour la première fois, d'abord des bas-reliefs, puis des statues de terre. Pline attribue à Dibutade l'invention des tuiles ornées de masques, afin de cacher à l'extrémité des toits le vide formé

1. Κάμινος ή κεραμις.

2. Hist. nat., XXXV, 49.

3. Une tradition grecque, également rapportée par Pline, attribuait, non plus à Dibutade, mais à Théodore et à Rhœcus, les célèbres fondeurs samiens, l'invention de la plastique.

4. On connaît peu de grands ouvrages égyptiens en terre cuite; mais on possède une foule de petites figures en terre émaillée, bleue et verte, trouvées dans les tombeaux, qui prouvent que ce genre d'ouvrage était familier aux Égyptiens. On a aussi des figurines en terre cuite parmi les antiquités assyriennes.

5. Man. d'Arch., § 53.

par un rang de tuiles creuses1. Les bas-reliefs et les statues de terre des Corinthiens ne furent pas moins estimés que leurs vases; et l'on raconte que, lorsqu'une colonie romaine vint rebatir la cité qu'avait détruite Mummius, on ne rechercha pas dans ses ruines avec moins de curiosité et d'empressement les ouvrages d'argile que ceux qui étaient d'une matière plus riche.

Athènes rivalisait avec Corinthe pour la fabrication des figures d'argile. Suivant Pline, le nom de Céramique venait à un quartier d'Athènes de l'atelier du célèbre modeleur Chalcosthène, qui y avait fait des ouvrages en terre crue. Du temps de Pausanias, on voyait encore de ces ouvrages de terre qui servaient d'ornements à des monuments voisins du Céramique. A Athènes et dans d'autres villes de la Grèce, il y avait une fète annuelle pour l'exposition des plus beaux ouvrages en argile. Dans la Grèce héroïque, l'argile eut sans doute l'honneur, qu'elle partageait avec le bois, d'être employée aux statues des dieux, comme elle l'était aux palais des rois. Des matières plus précieuses l'emportèrent plus tard sur elle, au moins pour ce qui concernait le culte public; mais on dut continuer à modeler des dieux d'argile pour le culte domestique et pour les tombeaux. L'économie ou la pauvreté a pu faire aussi préférer par des villes les idoles de terre aux idoles d'ivoire, de bronze et de marbre. On sait que, par ce motif de l'économie, le Jupiter de Mégare, œuvre de Phidias et de Théocosme, statue dont la tête était d'or et d'ivoire, n'avait néanmoins qu'un corps d'argile et de plâtre. C'était peut-être le même motif qui avait fait consacrer aux Grands Dieux des Achéens les statues de terre qu'on voyait dans leur temple à Tritée, en Achaïe7.

Pline fait voyager la plastique de Corinthe à Tarquinies, avec Démarate et les artistes ses compagnons d'exil. Il est permis de croire cependant, avec Séroux d'Agincourt, que les Étrusques ont pu prendre chez eux et par eux-mêmes la première idée de leurs travaux en ce genre, si toutefois ils n'avaient pas apporté d'Asie la plastique, ainsi que la céramique, à l'époque de cette antique migration rapportée par Hérodote*.

4. Personas tegularum extremis imbricibus imposuit. (xxxv, 43.)

2. Cruda opera. xxxv, 45.)

3. Pausanias, I, 2 et 3.

4. Séroux d'Agincourt, Recueil de fragments de sculpture antique, etc., p. 6. 5. Nat. hist., xxxv, 49.

6. Pausanias, I, 40.

7. Pausanias, VII, 22.

8. I. 94.

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