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déchets de la taille de diamants plus gros. On la monte avec la table en dessous, par-dessus une feuille d'argent que l'on a gaufrée en la comprimant avec les facettes du côté opposé. Le miroir à plans divers que l'on fait ainsi contribue à donner plus d'éclat à la rose. L'Exposition renfermait un exemple mémorable des qualités que la taille peut faire acquérir à une pierre. Lorsque le koh-i-noor fut exposé en 1861, il causa un vif désappointement parmi les connaisseurs. Il avait été irrégulièrement taillé en Orient, de façon à ménager la matière, et lançait des feux assez discrets, quoiqu'on l'appelât « montagne de lumière. » M. Garrard, à qui la reine l'avait confié, s'est résigné à en couper une partie importante de façon à lui imposer une taille régulière, et aujourd'hui le koh-inoor, plus beau de forme qu'il n'était jadis, comme le prouve un facsimile en cristal exposé à côté de lui, -- possède un éclat qu'il n'avait point alors. C'est en Angleterre que cette opération s'est accomplie, bien que ce soit en Hollande que l'art de la taille s'est centralisé aujourd'hui. Un atelier de lapidaires anglais était établi dans l'annexe des machines, où il était assiégé par la foule qui se portait avidement partout où il y avait des matières précieuses à contempler, devant les vitrines de M. Garrard et de M. Hancock, comme devant celle de MM. Marret et Baugrand qui renfermait des colliers de perles et des rivières de diamants d'une merveilleuse beauté.

Jusqu'à ces derniers temps, le diamant, comme l'émeraude et le rubis, était monté à jour sur des sertissures pleines, formées d'un còne en argent armé de griffes qui saisissent la pierre sur ses bords. La monture en or ne s'emploie que dans le cas où les perles, ainsi que les pierres de couleur, sont associées au diamant. Depuis quelques années cette sertissure a gagné en légèreté, se réduisant à des griffes montées sur une platine annulaire et réunies ensemble à leur base par une courbe gracieuse.

S'il nous faut comparer maintenant les produits de la joaillerie exposée tant par la France que par l'Angleterre, notre embarras sera grand pour donner la préférence. Quant à la qualité des pierres, cela nous importe peu, ceci étant une question d'argent. Cependant, si nous comparons le magnifique bandeau de diamants, formé de palmettes grecques, exposé par MM. Marret et Baugrand, avec le bandeau de diamants et rubis, de même style, mais surmonté d'étoiles, de M. Hancock, nous reconnaîtrons que la France l'emporte par une légèreté plus grande. Du reste, c'était parmi les joailliers anglais comme une lutte de richesse où la grosseur et la beauté des pierres jouaient le principal rôle, que l'on s'arrêtât devant l'exposition de M. Garrard ou devant celle de MM. Hunt

et Roskell, et même devant celle de M. Hancock. Chez ce dernier joaillier, nous avons cependant remarqué les parures qui montraient le plus d'art, et nous lui empruntons le pendant en émeraudes et en brillants qui est placé en tête de ces lignes.

Il est une autre amélioration que la sertissure à signaler dans la joaillerie, c'est celle de la forme. Il n'y a pas hien longtemps que l'on s'efforçait d'imiter en diamants les fleurs et les branchages. Plus l'imitation était exacte, plus l'œuvre fabriquée se rapprochait du laisser-aller de l'œuvre de Dieu, plus l'ouvrier était satisfait. Aujourd'hui, il n'en est plus de même. Les formes composées, balancées ou symétriques, dominent chez tous chez MM. Marret et Baugrand; chez M. Mellerio, où nous avons surtout remarqué un diadème de style égyptien; chez M. Rouvenat, qui montrait de fort belles parures de diamants et d'opales.

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Il y a donc un progrès sensible dans les deux arts si voisins de la bijouterie et de la joaillerie, tant dans la composition que dans l'exécution des pièces, et nous pensons que l'industrie n'a que des profits durables à recevoir en se maintenant dans la voie où elle est entrée depuis quelques années.

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L'examen détaillé des trente-deux dessins de Raphaël exposés aux Uffizii serait à coup sûr la meilleure école pour qui voudrait apprendre ce que vaut un dessin de maître, ce qu'il y a de poésie dans un coup de crayon ou dans une tache d'encre, et quelle distance sépare les libres expansions du génie des pénibles efforts du talent. On pourrait même y étudier les divers procédés employés par les maîtres : il n'en est pas un dont Raphaël ne se soit servi avec succès. Une telle étude dépasserait les bornes d'un catalogue.

Quant aux lumières que ces trente-deux dessins jettent sur les procédés de travail de Raphaël, on nous permettra d'y insister, même après les pages brillantes qu'un sujet analogue inspirait naguère au fondateur de la Gazette des Beaux-Arts. Dussions-nous répéter ce qui a été dit avant nous, et mieux dit, nous nous estimerons heureux que nos impressions personnelles servent d'écho aux appréciations si justes et si sûres de M. Ch. Blanc. Si nos commentaires nous entraînent un peu trop loin, on nous pardonnera d'être long sur un sujet inépuisable2.

407. Croquis à la plume lavé de bistre et rehaussé de blanc. C'est le germe d'une des fresques du Vatican, la Délivrance de saint Pierre. Déjà Raphaël a mûrement réfléchi à son œuvre : il a trouvé les lignes principales de sa composition, et surtout

1. Gazette des Beaux-Arts, t. XII, p. 535; t. XIII, p. 276.

2. Gazette des Beaux-Arts, t. IV, p. 193.

cette division en trois parties distinctes que relie l'unité d'intérêt : la prison au centre, à gauche l'effroi des soldats, à droite la fuite du saint. Il a mis les figures à leur place. Il lui suffira d'en retrancher une, et de modifier quelques attitudes pour arriver au tableau définitif. Telle qu'elle est dans le croquis, la composition a de quoi satisfaire les plus difficiles; un grand peintre s'applaudirait de l'avoir ainsi conçue, et s'en contenterait, tant les groupes se pondèrent, tant les mouvements sont nobles et expressifs. Raphaël cependant va détruire ces mouvements et effacer ces groupes. Aux deux soldats qui s'avancent vers la porte de la prison en se cachant le visage, comme le Cimbre chargé de tuer Marius, il en substituera un seul qui s'enfuit en tournant le dos à cette porte. Celui que le croquis nous montre gravissant les degrés d'un air étonné deviendra le soldat effaré qui, la torche à la main, éveille ses compagnons. Ces derniers dorment dans le dessin; dans la fresque ils secouent le sommeil et saisissent leurs armes. Ainsi les actions nobles de la composition primitive font place à des actions vivantes, les lignes pondérées se heurtent et se brisent; à l'expression académique de l'effroi succède le désarroi le plus complet, effet naturel du miracle. Enfin la torche, en éclairant cette partie de la composition définitive, ajoute encore à l'imprévu de la scène. De même, dans la partie centrale, les soldats endormis, si Raphaël les eût exécutés d'après son croquis, auraient été de belles académies magnifiquement posées. Il les efface, il rapproche saint Pierre de la grille; les deux gardes qu'il lui donne, devenus personnages secondaires, ne s'occupent plus de poser, mais de dormir, et ils dorment d'un sommeil bien autrement réel. La partie droite n'offre qu'un changement de peù d'importance, mais ce changement sacrifie encore la beauté de la pose à la vérité. Tel est, en effet, le secret de Raphaël. Sa main habile, rompue aux combinaisons de la figure humaine, trouve du premier coup des attitudes et des mouvements empreints d'un caractère de beauté générale. Mais à mesure qu'il mûrit son œuvre, il précise ce caractère, il localise cette beauté, il la corrige au contrôle de la vérité et de la nature, il la retrempe dans l'âme humaine pour la rendre expressive, éloquente, vivante. En un mot, il s'élève de l'art des Carrache à l'art de Raphaël.

408. Croquis de chevaux et de cavaliers, à la plume, sur papier blanc.

409. Entrons dans l'atelier du maître. Une femme du Transtévère, la tête couverte du panno, est assise sur une caisse placée au-dessus de la table du modèle: on lui a mis entre les bras une sorte de poupée formée d'un morceau de bois et de vieux linge. A ses pieds un jeune homme en costume du temps lui présente un garçon d'une douzaine d'années qui s'agenouille à demi ce dernier est vêtu d'une jaquette qu'on a retroussée, ainsi que la chemise, jusqu'à la ceinture, afin de mieux laisser voir le mouvement des jambes. A droite de la femme se tient debout un homme encore jeune, une tablette à la main. Ces quatre personnages posent naïvement, non pas comme des modèles de profession, mais comme des individus assez étonnés de se trouver ensemble et groupés par la complaisance plutôt que par une habitude de métier. J'imagine que la Transtéverine est une marchande qui passait par là avec son gamin; on l'a priée d'entrer, on l'a fait asseoir. Deux élèves du peintre, le Fattore, le Penni, ou quelque autre, se sont prêtés aux désirs du maître, et enfin le groupe est formé. Raphaël saisit alors un crayon rouge, il esquisse à grands traits l'ensemble, il arrête carrément la forme, la draperie, le mouvement, le geste; il indique même, au moyen de quelques ombres, l'effet général, puis il congédie son monde. C'en est assez. Plus tard il fera reporter ce dessin sur la toile; il se contentera de modifier légèrement les personnages : celui qui tient une tablette deviendra un saint vieillard; des ailes transformeront le jeune homme

en ange Raphaël; le gamin sera Tobie portant à la main le poisson symbolique. La Transtévérine aura la grâce et la majesté d'une madone, et la poupée vulgaire se métamorphosera en divin bambino. Mais ni la disposition du groupe ne sera changée, ni le mouvement, ni l'action des figures, si bien qu'au premier coup d'œil jeté sur ce dessin vous reconnaîtrez la célèbre Vierge au poisson, peinte par Raphaël pour l'église Saint-Dominique de Naples, et placée aujourd'hui au musée de Madrid.

410. Croquis au bistre, rehaussé de blanc, arrêté à la plume. Des hommes, des femmes, des animaux mourant's jetés pêle-mêle au milieu d'édifices en ruines : belle composition représentant une Peste. Si le papier est usé, déchiré, presque en lambeaux, c'est sans doute pour avoir traîné trop longtemps dans l'atelier de MarcAntoine 1.

444-412-413. Études pour des madones, à la plume et au crayon ou à la mine d'argent. L'une d'elles, qui tient l'enfant suspendu à son cou, est très-certainement la Vierge du palais Pitti que l'on désigne sous le nom de Madone du grand-duc.

414. Petite Sainte Famille. Elle rappelle le tableau du Sommeil de Jésus, qui appartient au musée du Louvre. Mais dans le dessin on voit saint Joseph au fond, derrière le groupe principal; en revanche, le petit saint Jean ne s'y trouve pas. Le trait a été percillé de trous d'épingle pour le décalquer. L'Académie de Florence possède un carton de la même composition, où les personnages sont de demi-nature et où se trouve le petit saint Jean.

445. Petite Sainte Famille au crayon de plomb, au trait.

446. Petite étude de Vierge pour une Annonciation.

417. Tête de Vierge gracieusement inclinée, au crayon, avec rehauts de blanc. Le type, très-beau et très-suave, rappelle beaucoup les types aimés de Perugin.

448-419. Les deux dessins inscrits sous ces numéros doivent se joindre, au moins par la pensée, à l'un des plus précieux de ceux que l'on voit au musée du Louvre, ou plutòt c'est là que tous trois auraient leur place marquée à côté les uns des autres, car tous trois sont des études pour la grande Sainte Famille, dite de François Ier, une des gloires de notre galerie nationale. Le dessin de Paris, gravé en fac-simile par Butavand, représente une femme habillée, ou plutôt déshabillée d'une simple tunique, un genou ployé, le corps penché en avant. C'est la première étape de la pensée de Raphaël pour la figure de la Vierge. La seconde est aux Uffizii. La même femme a posé de nouveau, mais vêtue et drapée cette fois, à l'exception du bras gauche qui reste nu; dans le coin supérieur du dessin, on retrouve ce même bras recouvert d'une manche. Le mouvement, plus arrêté, plus complet, se rapproche davantage de celui du tableau. La draperie, très-étudiée, semble une esquisse définitive. La tête peu indiquée rappelle cependant celle du dessin du Louvre. On a voulu y reconnaître les traits de cette Fornarina dont Raphaël avait fait son amie.

Le second dessin des Uffizii est une étude de l'enfant. Il s'élance de son berceau dans les bras de sa mère. La grâce de cette action enfantine, le mouvement qu'elle imprime au corps, les formes souples et potelées de ce petit corps rayonnant d'une beauté divine, tout révèle une inspiration arrivée à maturité qui veut se fixer sur le papier, afin de se retrouver plus tard tout entière. L'exécution des deux dessins des Uffizii prouve qu'ils ont été faits en même temps, le même jour, à la même heure, postérieurement à celui de Paris. Tous trois sont à la sanguine; mais autant, dans le

1. Cette composition est connue sous le nom de Il Morbelto, ou la Peste chez les Phrygiens Marc-Antoine l'a gravée. Voir Bartsch, t. XIV, no 417.

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