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VIII

La mode des reliures de carton, tout en prenant faveur au xvi° siècle, n'avait pas fait complétement disparaître l'usage des reliures en bois.

Comme il arrive en toutes choses, aux époques de transition, l'on hésitait encore, chez quelques routiniers gênés entre la vieille manière, qui était fort coûteuse, et la nouvelle, qui à bien meilleur marché était aussi élégante; on ne savait pas trop si pour la couverture du livre on adopterait le velours et la soie, tant employés par les anciens relieurs des palais et des cloîtres, ou si l'on se déciderait, plus économiquement, pour une bonne reliure en veau de nouvelle façon; enfin si on la ferait gaufrer avec des fers à froid, comme c'était auparavant l'usage, ou si plutôt on la ferait orner de ces dorures légères dont on commençait à guillocher les livres. Cette perplexité des amateurs se trouve très-curieusement indiquée à la première page du Cymbalum mundi1, où nous voyons Mercure envoyé sur terre par Jupiter pour faire relier à neuf le Livre du destin.

<< Il est bien vrai, dit-il, qu'il m'a commandé que je lui fisse relier ce livre tout à neuf; mais je ne sais s'il me le demande en ais de bois ou en ais de papier. Il ne m'a point dit s'il le veut en veau ou couvert de velours. Je doute aussi s'il entend que je le fasse dorer et changer la façon des fers et des clous, pour le faire à la mode qui court... »

Après ces questions, Mercure se pose encore celle-ci, qui n'est pas la moins importante :

« Où est-ce qu'on relie le mieux? à Athènes, en Germanie, à Venise ou à Rome? Il me semble que c'est à Athènes. »

Et Mercure avait raison, car Athènes c'était Paris, c'était la France, et nous prouverons qu'alors, en effet, c'est là qu'on faisait les reliures les plus splendides.

4. La première édition est de 1537.

(La suite prochainement.)

ÉDOUARD FOURNIER.

LES CABINETS D'AMATEURS A PARIS

COLLECTION SAUVAGEOT

Quelque curieuse que soit, dans son ensemble, la collection léguée au Louvre par Charles Sauvageot, on la jugerait mal si l'on n'appréciait d'abord les circonstances qui ont présidé à sa formation, et les efforts d'intelligence qu'a dû accomplir son créateur.

On a diversement parlé de Sauvageot; des notices publiées sur lui, la plus exacte est celle due à la plume de son ami M. A. Sauzay, et nous puiserons là surtout les indications nécessaires pour éclairer ce travail.

Arraché de bonne heure aux études littéraires, Sauvageot avait pourtant développé son intelligence à un point suffisant pour comprendre l'expression du génie humain sous ses formes les plus variées. Voué par état à l'art musical, il savait néanmoins discerner les élans d'une pensée sublime, aussi bien sous la touche du pinceau, du burin, de l'ébauchoir, que sous la phrase notée de Mozart, de Weber ou de Rossini.

Admis dès l'âge de dix-neuf ans à l'orchestre de l'Opéra, notre artiste y rencontra deux collègues déjà connus dans le monde des curieux l'un, Norblin, réunissait une suite numismatique où les médailles grecques et romaines formaient comme l'introduction à la série des monnaies anciennes de la France et de la Moscovie; l'autre, Lamy, plus spécialement adonné aux choses de l'Orient, possédait les plus fines sculptures chinoises qu'il fût possible de rencontrer.

Promptement initié par les leçons de ces deux chercheurs, Sauvageot s'essaya dans la collection; on a dit qu'il ne s'était voué ni à la numismatique, ni à la chinoiserie, parce qu'il reconnaissait à ses pro

fesseurs une trop grande avance sur lui. Nous ne pouvons lui attribuer cette pensée mesquine; il était si facile alors de trouver, même à plusieurs! Non, il sentait bouillonner en lui cette séve de l'initiateur, qui le place désormais en dehors de la foule; il rêvait un ordre de faits nouveaux dont ses contemporains lui devraient la découverte, et, comme Dusommerard avait inventé le Moyen Age, il inventa la Renaissance.

Certes, l'idée de chercher des révélations historiques parmi des objets généralement inconnus ou dédaignés ne peut germer dans un esprit vulgaire. Vivement convaincu, animé d'une admiration véritable pour ces géants du xvIe siècle qui s'étaient pris à édifier l'autel de leur dieu près des statues relevées d'Athènes et de Rome, Sauvageot s'efforça de reculer de quatre siècles, et, comme le dit M. Sauzay, Henri II, François Ier furent ses rois; il aima Diane de Poitiers de cet amour enthousiaste qui inspirait Jean Goujon et Clément Marot.

Ainsi qu'il arrive souvent, ceux dont l'intelligent rétrograde espérait les applaudissements, attendait le concours, furent des premiers à critiquer ses tendances; les artistes, les poëtes, ces admirateurs sincères de tout ce qui est beau, le soutinrent seuls de leurs encouragements; ils vinrent dans ce sanctuaire, dont l'accès leur demeurait facile, puiser des inspirations neuves, recueillir cette couleur locale qui donne une saveur particulière aux œuvres des écoles modernes.

Sensible comme tous les cœurs profondément convaincus, Sauvageot fut blessé de l'abandon de ses pairs; il comprit par quelle lutte courageuse et persévérante il faut établir une innovation, si désirable qu'elle soit. Fermant rigoureusement sa porte à tout ce qui s'annonçait comme savant ou archéologue, il ne voulut confier les secrets de ses découvertes qu'à la bonne foi naïve des esprits non prévenus. Nous ne blâmerons pas une détermination qui, par suite de recommandations maladroites, nous a privés longtemps du plaisir d'étudier une collection aussi précieuse; nous ne grossirons pas non plus la foule des gens légers par lesquels on entend répéter que Sauvageot était un homme atrabilaire et fantasque. Nous comprenons trop bien les ardeurs de cette vie fié

vreuse.

Livré le jour aux labeurs ingrats d'une carrière administrative, penché le soir sur son pupitre à l'Opéra, il calcule, le sublime avare, quelles sommes la fin de mois lui permettra de consacrer à ses acquisitions d'objets d'art; puis il classera méthodiquement ces pièces, épaves précieuses d'une grande époque, jetées capricieusement sur les rives du bric-a-brac, et il s'écriera: Dispersa coegi! « J'ai rassemblé ce qui était épars! >>

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Certes, la devise seule de Sauvageot dévoile son caractère et suffit à confondre ses détracteurs. Quelle modestie cachée sous ces deux mots latins, devenus la marque des objets de son cabinet! S'est-il borné à réunir le révélateur de l'histoire, le prophète des études futures? Non assurément, et voilà pourquoi les esprits vulgaires, ne pouvant le comprendre, l'ont dénigré. Il a su reconstituer toute une société tombée, par ces merveilleuses sculptures en bronze ou en bois qui vont nous montrer les héros du XVIe siècle; il a recueilli les signatures ou les monogrammes de cette pléiade d'artistes à peine nommés dans les écrits de la Renaissance; il a retrouvé les œuvres de ces potiers illustres qui, rivaux de Marc-Antoine et d'Albert Dürer, se vouèrent à la reproduction des compositions de Mantegna, de Raphaël, de Jules Romain et du Bandinelli. Réunir ce qui était dispersé, c'eût été mettre côte à côte des objets simplement curieux, et non point choisir les chefs-d'œuvre en tous genres pour en faire le trophée du xvIe siècle. M. Sauzay l'a dit : Sauvageot n'avait point de parti pris de provenance et d'école; l'Italie, la France, l'Allemagne, les Pays-Bas venaient lui offrir les ouvrages de leurs plus éminents artistes; de là cette réunion si diverse, toujours belle, et dont l'intérêt s'accroît par une comparaison continuelle du génie spécial à chaque peuple et à chaque atelier. Quiconque est entré dans le musée où brillent ces merveilles, et n'en est pas sorti plus artiste ou plus philosophe, n'est pas digne d'y remettre les pieds.

Pourtant, en pénétrant dans ces deux modestes salles où circule un jour modéré, l'œil n'est saisi par aucune pièce tapageuse destinée à captiver d'abord l'attention de la foule; point de grands tableaux, point de statues, à peine quelques stalles et dressoirs en vieux chêne, remarquables spécimens du mobilier civil à la Renaissance; mais, si l'on s'approche des vitrines, une émotion profonde vous saisit, tout un ordre d'idées nouvelles se révèle à votre esprit.

En commençant ses Etudes de la nature, Bernardin de Saint-Pierre raconte comment l'immensité de l'univers, l'incommensurable étendue de la création lui furent démontrées par le spectacle d'un fraisier venu spontanément sur sa fenêtre, et dont il essaya, pendant ses heures de loisir, de décrire les nombreux habitants. Observer avec attention les plus petits objets de la collection Sauvageot, c'est acquérir aussi la notion de l'immensité du génie des artistes du xvr siècle. La vie ne peut-elle être aussi bien écrite dans un buste de seize centimètres de haut que sur un marbre colossal; une médaille ne montre-t-elle pas autant de science qu'un bas-relief de grandeur naturelle? Ceci est presque une question d'optique; figurez-vous regarder avec le gros ou

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