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appuyer l'opinion par nous émise que Domenico Veneziano, élève de Giulio, est le même artiste que Domenico Campagnola1? Cette charmante composition semble être gravée d'après Giorgione, qui se plut si souvent à peindre de ces concerts champêtres dans lesquels il aimait à faire sa partie.

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LA JEUNESSE ET LA MORT

Larg. 223 mill. Haut. 180 mill.

Au pied d'une butte plantée d'arbres, un jeune homme est assis à terre. Un large manteau couvre son corps et ne laisse à découvert que son épaule droite. Plongé dans de profondes rêveries que fait naître en lui la vue d'une tête de mort placée devant ses regards, à droite, il porte tristement la main gauche à sa tête. Dans le fond, une ville avec des tours couvre le sommet d'une colline.

Dans un cartouche, ménagé au milieu du bas, nous avons imparfaitement déchiffré, dans la seule épreuve que nous avons vue de cette pièce, l'inscription suivante :

LIVS. ET. FORMAN. MORS.
FAVCVLENTA. RAPIT.

Comme intention, comme dessin, comme attitude, cette pièce est la plus belle de l'œuvre. Elle est la seule où Giulio ait cherché et trouvé la grandeur. Cette composition est même tellement en dehors des préoccupations habituelles de Campagnola, que nous ne la croyons point imaginée par lui. Si nous osions nommer son auteur, ce serait le nom de Bellini qui se présenterait le plus facilement sur nos lèvres.

Aucune signature ne se trouve sur cette estampe exécutée avec des tailles et non au pointillé. Cependant, nous ne croyons point nous tromper en la donnant à Campagnola. Le paysage, avec sa butte plantée d'arbustes semblables à ceux du Vieux berger et de la Samaritaine, avec sa percée qui laisse voir à droite de gracieuses fabriques, rappelle trop le style et le faire familiers à Giulio pour que nous doutions de notre attribution.

44 L'ASTRONOME

Larg. 155 mill. Haut. 98 mill. - Bartsch et Ottley, no 7.

Un astronome assis, à gauche, au pied d'une butte plantée d'arbres, mesure avec un compas un globe sur lequel sont représentés le soleil, la lune, la balance du Zodiaque et divers chiffres. En face de lui le Démon de la vanité, tout gonflé d'orgueil, se rit du savant qui, les yeux fixés sur son globe, fait des rêves de gloire immor

1. Voir à la page 335.

telle, lorsque la Mort, figurée par des emblèmes, un crâne posé sur deux ossements, est là devant lui. Dans le fond, une ville bâtie sur les bords de la mer rappelle par ses monuments Venise, sans cependant offrir l'image fidèle du Palais-Ducal et de SaintMarc. L'année 1509 est gravée sur le globe que mesure l'astronome.

Copie par Augustin Vénitien, qui a mis ses initiales A. V. au haut de la droite. Elle est datée de 1544, et le palais qui fait face n'a que treize fenêtres, au lieu de quatorze, qui se trouvent dans l'original.

Copie médiocre qui se distingue de l'original en ce que le palais n'a que treize fenêtres, au lieu de quatorze qu'on compte dans l'original.

Copie fort belle, gravée en contre-partie; elle porte la date de 1544 au lieu de 4509.

Copie en contre-partie prise par Bartsch pour l'original.

Augustin Vénitien a reproduit le palais dans le fond d'une pièce où il a, d'après Albert Dürer, gravé le bœuf, le cerf et le chat de l'Adam et Ève, ainsi que les chiens du Saint Hubert. Dans une autre pièce représentant un philosophe (no 447 de l'œuvre de Marc-Antoine par Bartsch), il a placé le globe. Ces emprunts misérables indiquent quel pauvre artiste était Auguste Vénitien.

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LE VIEUX PASTEUR

Larg. 135 mill. Haut. 79 mill. Bartsch et Ottley, no 6.

Un vieux pasteur étendu sur l'herbe, la tête appuyée contre un bât, souffle dans une petite flûte. Derrière lui, à gauche, une chèvre et un mouton broutent de grandes herbes. L'horizon est fermé, au milieu de la composition, par de gracieuses fabriques. Cette pièce est signée en haut, à quatre millimètres du trait carré, à droite, des lettres IC enlacées.

Copie par Augustin Vénitien, qui l'a signée de ses initiales A. V., au haut de la droite. Elle peut encore se reconnaître en ce que, au-dessus du balcon qui saillit sur le mur à pignon, on compte cinq fenêtres y compris un œil-de-bœuf, tandis que dans la pièce originale il n'y en a que trois; enfin la maison, vue de face, offre huit fenêtres au lieu de sept.

Copie en contre-partie prise par Bartsch pour l'original. Elle paraît être exécutée par l'artiste, qui a contrefait la Femme couchée.

Augustin Vénitien, dans une pièce composée entièrement de morceaux pris à Albert Dürer, a introduit, de Giulio, la brebis, la chèvre, une des maisons et le berger couché près d'un chien copié sur l'un de ceux du Saint Hubert de Dürer. Cependant, Augustin Vénitien a eu l'audace impertinente de signer de son nom AGVSTINO. DI. MVSI, cette gravure, dans laquelle il ne se trouve point un brin d'herbe qui soit de luimême.

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Une femme nue, vue de dos, est couchée sur un drap, la tête appuyée contre une

souche. Un bouquet d'arbres touffus la défend contre les rayons ardents du soleil. Dans le fond, à droite, on aperçoit quelques maisons bâties sur une légère éminence.

Copie en contre-partie exécutée par un artiste anonyme qui a reproduit également le Vieux Berger et le paysage du Concert. Il paraît avoir décalqué la figure sur celle de Campagnola. Après avoir exécuté sa planche au pointillé, il l'a recouverte de tailles fines et serrées qui produisent un effet extrêmement désagréable. Il espérait peut-être, par ce moyen, obtenir un ton brillant, et il n'a été que dur. Cette copie n'a que 460 millimètres de largeur sur 443 millimètres de hauteur. Le paysage a été diminué des deux côtés.

En dessinant cette figure, Giulio ne s'est point préoccupé de la vraie beauté ; il n'a eu en vue que d'harmoniser les teintes, et il y a pleinement réussi. La lumière pénètre dans les ombres avec un art infini, et produit un effet d'une douceur exquise qui séduit le regard.

Cette figure commune, au visage déplaisant, rappelle assez bien, par ses formes épaisses et lumineuses, les défauts et les qualités de Giorgione, d'après qui on pourrait la croire gravée. Nous savons par l'Anonyme que Giulio a fait, d'après ce célèbre maître vénitien, une miniature représentant une femme nue et vue de dos. Cette gravure ne serait-elle point une répétition de la miniature?

14

LE CERF

Haut. 180 mill. Larg. 120 mill.

Un cerf est représenté au pied d'un arbre auquel le retient attaché une chaîne passée dans un collier. L'animal est tourné à droite. Cette pièce est signée au haut de la gauche IVLIVS CAMPAGNOLA. F.

L'auteur du catalogue Buckingham classe encore dans l'œuvre de Campagnola trois pièces :

Un paysage dans lequel on remarque, parmi diverses fabriques, un clocher au faîte duquel on monte par un escalier extérieur. Cette estampe, conservée au British Museum, semble avoir été gravée très-postérieurement à Giulio Campagnola par un artiste vénitien.

Deux femmes au milieu d'un paysage. L'une d'elles porte une petite figure de la Victoire. Cette estampe est inachevée en quelques parties.

Saint Jérôme, assis sur un banc et occupé à lire. Dans le fond on aperçoit un lion, divers bâtiments et un moulin à eau. Cette gravure, sans marque ni nom, serait, suivant l'auteur du catalogue, due à un artiste contemporain de Giulio Campagnola qui en aurait fourni le dessin.

Nous n'avons jamais eu occasion de voir ces deux dernières estampes.

XIII.

44

IV

Giulio Campagnola n'a point un style personnel, il imite ou traduit tour à tour Bellini, Mantegna et surtout Giorgione. Privé d'une imagination ardente comme d'un cœur ému, il se contente de placer ses personnages au milieu d'un gracieux paysage, sans chercher à plaire par l'heureux agencement de plusieurs figures, ou à frapper par la puissance de l'expression. Cependant, son œuvre ne trahit aucune préoccupation de la beauté idéale; dessinateur inhabile, au contraire, il ne précise point les contours, n'affectionne pas les formes châtiées, et ne demande point à Ia nature tous ses secrets; il s'arrête à la superficie, enveloppe ses figures de lumière et cherche le charme dans la coloration. Les types de ses femmes sont communs; la tête en est triviale, le corps chargé de graisse, et les extrémités seules offrent la finesse et la distinction particulières à l'Italie. Ses hommes sont plus agréables; le Jeune berger, Ganymide, et le Jeune homme réfléchissant à la mort, sont même des figures remarquables par l'aisance et l'élégance des attitudes.

Quant au paysage, Giulio adopta la manière nouvelle inaugurée par Giovanni Bellini, et suivie par Giorgione, qui ne surpassa pas son initiateur, ainsi qu'en fait foi l'admirable tableau possédé par M. Eastlake et dans lequel Bellini a représenté la mort de saint Pierre le Dominicain. Campagnola étudia donc la nature avec sincérité, orna ses paysages de fabriques aux formes pittoresques, et emprunta ses sites aux montagnes du Frioul ou aux lagunes de Venise. Il excella en ce genre, et dans son œuvre nous signalerons tout particulièrement les fonds de la Samaritaine et du Saint Jean-Baptiste comme exprimant à merveille l'impression produite par les paysages de la Vénétie.

Les estampes de Giulio Campagnola sont fort recherchées, et c'est justice. Épris d'une véritable passion pour les œuvres de Giorgione, Giulio en est resté le plus fidèle traducteur. Si ses compositions et ses figures, comme celles de ce maître, offrent peu d'intérêt et sont dénuées de véritable beauté, elles plaisent par la perfection de l'exécution, par l'éclat de la lumière et par une harmonie poussée extrêmement loin. Aussi les gravures de Giulio tiennent-elles dans les cartons des amateurs délicats la place qu'occupent dans l'histoire de l'art les peintures du Giorgione, si difficiles à rencontrer, même dans les galeries nationales.

ÉMILE GALICHON.

MISSIONS SCIENTIFIQUES

DONNÉES

PAR LE GOUVERNEMENT FRANÇAIS EN 1860-1861

MISSION DE PHÉNICIE

PAR M. ERNEST RENAN

Lorsque ce petit écrit paraîtra, les monuments recueillis dans ces missions seront à la veille d'être transportés au Louvre, et le musée Napoléon III, qu'elles ont un instant enrichi, sera bien près du terme marqué pour sa dispersion. J'arrive un peu tard, mais j'arrive encore à temps, puisque je me place entre les souvenirs peut-être affaiblis déjà de la plupart des visiteurs du musée Napoléon III, et la publication plus ou moins tardive des grands ouvrages auxquels l'étude et l'interprétation de ces monuments va donnér naissance. Du reste, il m'a semblé que je pouvais me hasarder de parler ici de ces missions, surtout si je les envisageais par les côtés où elles touchent à l'histoire de l'art. Il est certain qu'elles sont de nature à intéresser bien des lecteurs. Quand l'érudition sait faire d'aussi beaux regains sur un sol où l'on a déjà récolté, quand elle se montre si animée et si féconde en vues d'ensemble, lui payer publiquement un légitime hommage est une satisfaction très-vive. J'ai cru que je pouvais me la donner.

Les missions sur lesquelles je voudrais appeler l'attention de mes lecteurs sont au nombre de trois celle de M. Ernest Renan en Phénicie, l'objet de cet article, celle de MM. Perrot, Guillaume et Delbet, dans le nord de l'Asie Mineure; enfin la mission de MM. Heuzey et Daumet en Macédoine, et particulièrement dans la région du mont Olympe.

Je ne crois pas qu'il soit bien nécessaire d'expliquer, ainsi que je l'ai vu faire ailleurs, car je sais à qui je m'adresse, l'utilité de ces investiga

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