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nous dit qu'un de ses apprentis peignit, dans la maison du célèbre amateur Bembo et avec son aide, un Christ mort soutenu par deux anges, et qu'un nommé Domenico Veneziano exécuta, dans la demeure d'Alvise Cornaro, plusieurs têtes sur les cartons de Raphaël. Quel est ce Domenico Veneziano? Zani ne veut point qu'il soit Domenico Campagnola, parce qu'il ne lui paraît point probable que cet artiste si original et si indépendant ait pu peindre d'après Raphaël, et parce qu'il était Padouan et non Vénitien. Ces raisons ne sont point concluantes, et, malgré Zani, nous pensons que Domenico Veneziano n'est point autre que Domenico Campagnola. Parent de Giulio, auquel il doit, sans nul doute, les premières notions de l'art, il passa de bonne heure dans l'atelier du Titien, ce qui lui valut probablement le surnom de Veneziano que l'Anonyme lui donne. Quant à ces peintures faites d'après des cartons de Raphaël, nous n'y trouvons rien qui doive plus nous étonner que de voir Perino del Vaga, Jean d'Udine, Garofolo, et tant d'autres, étudier sous Raphaël après avoir conquis la réputation.

Mais que Domenico Veneziano soit ou non Domenico Campagnola, il n'en reste pas moins établi que Giulio eut des élèves, et dès lors il nous est permis, jusqu'à preuve contraire, de le regarder comme un artiste véritable, et non point comme un savant cherchant dans l'art une distraction à des études plus sérieuses. Il fut, nous dit l'anonyme, peintre et sculpteur. Mais que sont devenues ses productions dans l'un et l'autre genre? Elles ont subi le sort réservé à beaucoup d'œuvres laissées par des hommes de talent, et non de génie; elles sont détruites ou figurent dans les galeries, sous des noms plus glorieux1. L'histoire même ne nous a conservé que le souvenir de deux petites miniatures exécutées sur peau de chevreau l'une, faite d'après Giorgione, représentait une femme nue et vue de dos; l'autre, exécutée d'après Diana, offrait l'image d'une femme arrosant un arbuste, près de deux enfants qui se battent. Ces deux miniatures appartenaient au commencement du XVIe siècle à Pietro Bembo; mais, depuis cette époque, quel a été leur sort? Nul ne peut le dire. Nous sommes plus heureux pour les dessins de Giulio; on en connaît plusieurs. M. Waagen en signale chez le duc de Devonshire, à

1. M. Waagen, dans Art treasures in Great Britain, t. III, p. 358, dit bien en connaître plusieurs, mais il ne dit point où il les a vues.

2. L'Anonyme de Morelli, p. 19. La première de ces deux compositions ne seraitelle pas celle que Giulio a gravée (no 43) avec un goût giorgionesque très-accentué? La seconde n'aurait-elle point été reproduite par Marc-Antoine? Sa Jeune femme arrosant une plante (no 383 de Bartsch) répond assez bien à l'indication de l'Anonyme, et cette pièce a un caractère vénitien très-prononcé.

Chatsworth. M. Turner Palgrave nous dit aussi que parmi les dessins laissés à Christ Church, à Oxford, par un général Guise, avec des conditions qui les rendent aussi inaccessibles que Ehrenbreistein ou Gibraltar, il en existe un évidemment exécuté par un graveur. « Le fini merveilleux, le clair-obscur si parfaitement rendu, le procédé et la manière d'interpréter la nature rappellent si bien les gravures du Campagnola qu'on peut, sans presque aucune crainte, l'attribuer à ce maître. Signé « Siorsion » (Giorgione), probablement à cause du sujet, par un vieil amateur vénitien, ce dessin pourrait avec une égale raison être donné au Titien. Ainsi que dans les Trois Ages (peinture du Titien appartenant à lord Ellesmere), un jeune homme assis au milieu d'une verte prairie contemple avec passion une belle jeune fille qui tient une flûte de sa main sentimentalement appuyée sur ses genoux, et qui fixe ses regards sur son amant. La jeune fille surpasse en beauté sa rivale du chef-d'œuvre que Titien peignit dans sa plus grande force, et le jeune homme rappelle, par son riche costume vénitien et sa guitare, l'un des personnages du Giorgione, au Louvre. » Nous n'avons vu aucun des divers dessins signalés par MM. Waagen et Turner Palgrave, mais nous en possédons un parfaitement authentique et curieux en ce qu'il peut servir de document pour la biographie des Campagnola. Giulio, frappé de la beauté héroïque du saint Jean-Baptiste que Mocetto a gravé d'après Mantegna, voulut reproduire au pointillé ce morceau superbe; mais, peu satisfait du paysage conventionnel avec lequel cet artiste avait encadré sa figure, il résolut de le changer. Il prit une feuille de papier, et, laissant en blanc tout l'espace que le personnage aurait dû couvrir, il fit entièrement au pinceau, sans le secours de la plume, un gracieux paysage, le même que celui qu'il a gravé. Plus tard, Domenico héritant de Giulio en sa qualité de frère, de neveu ou de fils, fut pris du désir de terminer ce dessin laissé volontairement inachevé, et, avec une plume et un pinceau gonflé de bistre, il traça la figure du saint Jean-Baptiste. Esprit libre et fier, il eut la pensée de modifier la composition de Mantegna, et il voulut faire étendre au saint le bras droit, ainsi que le témoigne une légère esquisse à la pierre noire. Mais il revint de son audace, et conserva l'attitude générale, se contentant de différencier les draperies et de changer la physionomie du visage, qu'il rendit moins significative en désirant la faire plus expressive.

Ce dessin précieux nous montre donc, ainsi que dans la gravure dite le Concert, le travail de Giulio joint à celui de Domenico, et cette particularité singulière ajoutée à la similitude de leur nom, à l'identité de leur ville natale, peut servir à prouver qu'un lien de parenté très rapproché unissait ces deux artistes.

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Les œuvres de Giulio, échappées à la destruction, sont, nous l'avons vu, d'une rareté si excessive qu'il est probable que cet artiste serait actuellement ignoré s'il n'avait signé quelques estampes. Ses premières pièces paraissent être celles qu'il a copiées ou imitées d'Albert Dürer: la Pénitence de saint Chrysostome, et Ganymede. Il n'est donc point probable qu'il ait commencé à graver avant l'année 1506, époque à laquelle les estampes du maître de Nuremberg commencèrent à se répandre en Italie. Peu à peu il introduisit dans sa gravure le pointillé, dont il se servit d'abord pour modeler ses personnages et exprimer ses premiers plans, réservant les tailles pour les fonds. Dans le Vieux Berger, il n'emploie son procédé nouveau que pour façonner la tête du personnage; dans l'Astronome, il l'étend sur tous les premiers plans; dans la Samaritaine, il l'introduit partout, et n'utilise plus la taille que pour les fonds et les ombres principales, couvrant de points même les traits qui arrêtent les contours; enfin, dans la Femme couchée, dans le Saint Jean-Baptiste et l'Enfant aux chats, il se sert exclusivement du pointillé. Les épreuves relativement modernes de ces dernières pièces se reconnaissent facilement, en ce que les points qui recouvrent les traits des contours, s'usant peu à peu, finissent par disparaître complétement.

Bartsch a décrit huit pièces comme ayant été gravées par Giulio Campagnola. Ottley a rejeté une de ces pièces, la Nativité, et a ajouté deux estampes à l'œuvre que nous portons au chiffre de quatorze, en maintenant le rejet d'Ottley1. Toutes ces pièces sont fort rares, ayant été gravées sur un métal très-mou et avec un burin extrêmement fin qui entamait

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4. Le monogramme de cette pièce la Nativité, a été très-diversement lu. Bartsch y a vu F I CA., qu'il a expliqué par Fecit Jiulius Campagnola. Ottley croit plutôt qu'il y a écrit II CA, ou bien peut-être H. CA., qu'il interprète par Hieronymus Campagnola. Brulliot y a vu H. CA. M. Quant à nous, sur l'épreuve conservée au Cabinet des estampes, à Paris, où l'on remarque, dans le fond, l'arrivée des rois mages, et sur le premier plan une sauterelle semblable à celle de la Sainte Famille d'Albert Dürer, nous lisons II. CA. Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons point attribuer à Giulio Campagnola cette estampe, exécutée très-médiocrement par un graveur qui ne savait point dessiner. Nous ne croyons point aussi devoir, comme Ottley, donner cette pièce à Girolamo Campagnola, parce que nous ne voyons rien qui puisse justifier cette attribution, et parce que, malgré sa mauvaise exécution, cette estampe nous paraît être postérieure au xve siècle. Toutefois, elle appartient à l'école de Padoue ou de Venise.

XIII.

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peu la planche. Mal tirées pour la plupart, elles offrent souvent un aspect boueux et lourd, au lieu d'une transparence lumineuse et chaude que présentent les bonnes épreuves.

TOBIE

Larg. 112 mill. Haut. 80 mill.

L'ange du Seigneur accompagne le jeune Tobie suivi d'un petit chien. Ils se dirigent vers la droite. A gauche, on remarque quelques arbrisseaux; à droite, des fabriques construites sur un rocher. Au bas de la gauche on lit: IVLIVS. CAMP. PAT. F.

Cette pièce a été décrite par Brulliot dans son Dictionnaire des monogrammes, 3 part., n° 779; par Malvasia, dans le catalogue de sa collection, et par Nagler.

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«La était la fontaine de Jacob. Jésus donc, fatigué du chemin, s'assit sur la fontaine c'était vers la sixième heure.

« Une femme samaritaine vint puiser de l'eau. Jésus lui dit : Donnez-moi à boire. «Or, cette femme samaritaine lui dit : Comment, vous qui êtes Juif, me demandezvous à boire, à moi, qui suis Samaritaine? Les Juifs ne communiquent point avec les Samaritains, » etc. (Évangile selon saint Jean, ch. IV, v. 6.)

Notre-Seigneur Jésus-Christ s'approche d'un puits orné de têtes de bélier; il adresse la parole à une femme samaritaine venue pour y puiser de l'eau. Étonnée d'être interpellée par un Juif et des préceptes nouveaux qu'il prêche, elle pose son vase sur la margelle, tourne vers lui ses regards et écoute attentivement. A droite, contre le puits, se dresse le tronc robuste d'un arbre, tandis qu'au-dessus d'arbrisseaux touffus qui couvrent les premiers plans l'œil aperçoit, dans le lointain, des îles qui reflètent leurs monuments et leurs habitations dans des eaux tranquilles, et rappellent les lagunes de l'Adige.

1er état avant un accident arrivé tout au commencement du tirage, et qui a donné naissance à plusieurs taches sur le ciel, à droite de la tour.

2e état avec les taches. Les belles épreuves de cet état se reconnaissent à la vigueur des taches.

Cette pièce, l'une des plus importantes de l'œuvre, ne doit être recherchée ni pour la noblesse des attitudes, ni pour la science du dessin; l'un et l'autre y font absolument défaut. Mais colorée et lumineuse comme une peinture du Giorgione, cette estampe est une de celles qui rendent le mieux les qualités de ce maître, d'après qui elle paraît avoir été gravée. Le paysage est très-vénitien et mérite d'être loué.

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