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de quelques touches d'émail, et dû au goût distingué de M. Stanton. Nous y joindrons un autre service, moitié antique, moitié renaissance, où nous aurons à reprendre quelques défauts de proportion, comme de petits enfants accompagnés de très-gros oiseaux. Ce dernier a été dessiné par M. Jackson. D'autres pièces sont l'œuvre combinée de M. Willems pour la composition, et de M. Morel-Ladeuil pour l'exécution du repoussé et de la ciselure, tandis qu'à ce dernier seul appartient un guéridon en argent qui est la « master-piece » de l'exposition de M. Elkington.

Pour reconnaître la part afférente aux artistes anglais dans la composition des pièces d'orfévrerie que nous venons de citer, il nous a suffi de parcourir la galerie affectée aux dessins industriels, et là nous avons trouvé les projets de la plupart des boucliers, des coupes, des aiguières et des services exposés par MM. Hunt et Roskell, et par M. Elkington. MM. H. H. Armstead et Barret pour les premiers, MM. Stanton, Willems et Jackson pour le second, ne le cèdent en rien à nos dessinateurs industriels; et nous avons rarement vu des mines de plomb plus délicates et mieux dessinées que celles de M. Stanton. Ce sont de vrais chefs-d'œuvre.

Il convient de citer encore M. Hancock avant de terminer cette revue. Le Vase de Shakspeare en argent oxydé, composé dans le genre de ceux de M. Wechte; le Vase de l'entrevue du Camp du drap d'Or, de formes très-exagérées, surtout dans la ligne et dans l'attache de ses anses, procèdent de l'art français, qu'ils soient ou non fabriqués par nos nationaux.

Nous en avons dit et montré assez pour que l'on comprenne que l'heure n'est pas éloignée où l'orfévrerie anglaise, étudiant avec la persévérance qui caractérise la race anglo-saxonne les modèles et les formes que nous ont légués les époques antérieures, en jetant même un regard sur ce que l'on fait à Paris, nous le concédons volontiers, deviendra pour nous une rivale redoutable dans les choses de goût, rivale avec laquelle il nous faudra compter.

La Prusse, plus voisine de l'antiquité que de la Renaissance dans son orfévrerie de luxe, un peu lourde parfois et compliquée de formes, a exposé la table, le vase et les candélabres qui ont été offerts au prince de Prusse à l'occasion de son mariage. La galvanoplastie a été largement employée pour les reliefs de ces pièces, et surtout pour la frise, composée par M. Fischer, qui enceint le vase. Elle représente les ministres, les généraux et les savants, les étudiants et les corporations marchandes de la Prusse qui, vêtus à l'antique, font cortége au jeune prince. Cornélius, la palette en main, et Rauch, armé du maillet et du ciseau, figurent aisément Apelle et Phidias.

Le Danemark est trop honoré d'avoir produit Thorwalsden pour oser

voir autre chose que l'antique. Aussi ce sont les bronzes et les terres. cuites qui ont servi de modèles aux aiguières, aux coupes et aux tasses qu'il expose. Des reliefs assez sèchement exécutés et de la gravure décorent cette orfévrerie, qui marque une tendance très-remarquable. Une pratique plus constante la fera sans doute sortir de la période de copie servile pour entrer dans celle de l'imitation libre.

En Russie, c'est le chaos et la tour de Babel de tous les styles. Le byzantin en très-mince proportion, le turc, le persan, la renaissance anglaise, et surtout le rococo y forment un assemblage où il est impossible de rien démêler d'original. C'est dans l'orfévrerie religieuse, ornée surabondamment d'émaux peints d'une fadeur désespérante, que nous signalerons cette absence de caractère. Dans l'orfévrerie usuelle, nous trouvons des imitations, faites en or et en argent, d'ustensiles en bois et en écorce de bouleau d'une réussite aussi complète que d'un art médiocre. Posséder les métaux précieux, et avoir pour idéal un seau d'écurie ou une tabatière de deux sous!

Puisque les Russes possèdent, dit-on, une si merveilleuse aptitude à s'assimiler les facultés des autres peuples, qu'ils se gardent bien de nous prendre cette manie du trompe-l'œil, qui est un des plus grands maux dont notre industrie soit affligée, comme nous n'aurons que trop d'occasions de le constater.

ALFRED DARCEL.

ÉCOLE DE VENISE

GIULIO CAMPAGNOLA

PEINTRE GRAVEUR DU XVI SIÈCLE

La famille de Giulio Campagnola était l'une des plus notables de Padoue, et son père, Girolamo Campagnola, homme considérable par son savoir, avait été revêtu de charges importantes par la république de Venise, alors maîtresse à Padoue. Auteur de plusieurs ouvrages1, versé dans la littérature et la philosophie anciennes, Girolamo savait quel prix on doit attacher à la connaissance des chefs-d'œuvre de l'antiquité; aussi fit-il commencer à son fils, dès l'âge le plus tendre, en 1497, l'étude du grec. Les progrès de Giulio, en cette science comme en d'autres, furent si rapides, « qu'à peine âgé de treize ans, grâce à des habitudes austères et à une éducation bien dirigée, il devint un véritable modèle de talents et de vertus précoces. Il s'exprimait en latin et en grec, et il s'était rendu la lecture de l'hébreu si familière, qu'il semblait avoir sucé à la mamelle les principes de cette langue. » Mais Girolamo Campagnola n'aimait point seulement les lettres, il avait encore un grand goût pour les arts, qu'il avait étudiés sous le Squarcione. Les merveilles créées par les peintres ou les sculpteurs faisaient souvent l'objet de ses conversations avec Leonico Tomeo, célèbre philosophe et grand collectionneur.

1. On connaît, de Girolamo Campagnola, une traduction des Psaumes de David; une lettre à Cassandre Fedele, écrite en 4514; l'oraison funèbre du capitaine Barthélemy d'Aviano (1515), une dissertation sur les Juifs; quelques poésies, et deux volumes ayant pour titre De laude virginitatis; De proverbiis vulgaribus.

Lorsqu'il songea à décrire les œuvres d'art possédées alors à Padoue, ce fut à cet ami qu'il dédia son ouvrage 1.

Giulio devait accompagner son père chez Leonico Tomeo, et peutêtre son amour pour les arts prit-il naissance pendant ces longues visites qui lui donnaient occasion d'admirer les marbres, les médailles, les vases et les camées antiques rassemblés par cet amateur. Son père ne le destinait point à la peinture. « Ce fut tout seul, en prenant pour guide la nature plutôt que l'art, qu'il apprit à jouer du luth et à s'accompagner en chantant, à composer des vers et à les écrire, à peindre et à sculpter des statues et des bas-reliefs. » Ses succès en peinture furent tels et si spontanés que Matteo Bosso, écrivant à Hector Théophanes, ne craint point de dire de Giulio encore jeune, « qu'il pouvait rivaliser avec les plus grands maîtres, et qu'il n'y avait point de tableau si parfait de Mantegna ou de Bellini qu'il ne pût reproduire fidèlement, égaler même s'il voulait en prendre la peine. Quant aux personnages vivants, ajoute-t-il, Giulio sait les rendre avec tant d'exactitude et d'expression qu'il est impossible, à mon avis, de ne point reconnaître chacun des traits de ceux qui ont posé. Il doit moins à l'enseignement des maîtres qu'à l'étude qu'il a faite de la nature, et si Dieu lui accorde une longue carrière, si son ardeur ne se refroidit point, s'il ne trompe pas les desseins de la Providence qui lui a départi ses dons d'une main si prodigue, cet adolescent, que bien des vieillards renommés pourraient envier, cet adolescent, dis-je, est réservé à un avenir que nul ne peut prévoir, et il fera l'orgueil de son père et de sa patrie. Un rayon de sa gloire rejaillira peut-être sur moi, car il est aussi mon fils chéri, mon fils en Dieu. Son père, durant l'exercice de sa magistrature, l'avait emmené avec lui à Ravenne où je l'ai vu, et, bien que nous ayons peu causé ensemble, j'ai conservé de lui un vif souvenir. Les enfants, je ne l'ignore point, sont enclins à changer facilement de goûts, et il faut réserver les louanges pour un âge plus sûr; toutefois, quand je songe à tout ce que promet ce jeune homme, je ne puis m'empêcher d'ètre, non pas le courtisan, mais l'admirateur du mérite extraordinaire qu'il montre déjà. Au reste, mon affection est prudente, et j'agis de façon que, docile aux avis paternels et à mes conseils, il n'ait que plus de courage au travail et rougisse de tromper notre attente. Les esprits généreux et sublimes, lorsqu'ils sont tenus en éveil, s'animent à bien faire, comme les chevaux qui

1. Ce livre ou ce manuscrit, rédigé sous la forme de lettres adressées à Leonico Tomeo, a été perdu. Il ne nous est connu que par les citations de Vasari et de l'Anonyme, citations qui nous permettent de juger que Girolamo tenait en grande estime les œuvres et les opinions de Mantegna, qu'il connut peut-être chez le Squarcione.

courent dans l'arène au bruit des clameurs et des trompettes. Si jamais père fut digne d'un tel rejeton, assurément c'est Girolamo dont la famille s'est depuis longtemps couverte d'illustration. »

La flatterie a-t-elle ruiné le cœur et l'intelligence de Giulio? L'âge mûr a-t-il tenu toutes les promesses faites par l'adolescence, ou bien la mort a-t-elle empêché la réalisation des espérances fondées sur cet enfant? Questions auxquelles nous ne pouvons répondre. Tout ce que nous savons encore de Giulio, c'est qu'il fut appelé, en 1498, à la cour du duc Hercule ler. Ce prince, protecteur des sciences et des arts, cherchait à attirer à Ferrare les hommes les plus distingués de la Péninsule. Il faisait traduire les manuscrits grecs et latins récemment découverts; il portait une attention extrême à sa chapelle, réputée la meilleure de l'Italie, et composée en grande partie de musiciens français; il avait un penchant trèsdécidé pour les constructions, et il se plut à garnir de fontaines et de sculptures merveilleuses les cours et les escaliers du charmant palais qu'il avait fait élever près du dôme, à couvrir de fresques la façade de son vieux château, celle du palais public et les oratoires de plusieurs confréries. A quel titre Giulio Campagnola fut-il reçu à la cour de Ferrare? Est-ce comme savant, comme musicien ou comme artiste? Quelle figure fit-il au milieu de tous les hommes illustres réunis par Hercule Ier? Nous ne pouvons le dire au juste, mais nous savons cependant qu'il y fut remarqué. Les historiens ferrarais, Giambatista Giraldi, Muratori et Giannadrea Bartoli, ne citent point, il est vrai, son nom, mais Panfilo Sasso et Pomponio Gaurico ont célébré dans leurs vers ses mérites.

Ces quelques faits sont les seuls que nous ayons pu recueillir sur la vie de Giulio Campagnola. Quant à l'époque de sa mort, elle nous est inconnue; mais elle doit être placée après l'an 1513, si nous en croyons Morelli, qui dit avoir eu connaissance d'un sonnet écrit par Campagnola sur la mort du pape Jules II, arrivée le 21 février 1513.

II

Giulio Campagnola ne fut point, suivant Zani, un peintre de profession, mais un savant qui s'occupait d'art pendant ses moments de loisir. Nous ne partageons point cette opinion du savant abbé, et nous croyons que la peinture fut au contraire la préoccupation principale de Giulio. Non-seulement la perfection de ses gravures est une preuve de notre assertion, mais encore nous savons qu'il forma des élèves. L'Anonyme

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