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MM. Ch. Christofle et Cie, publiée ici, vaudra mieux, du reste, pour les faire connaître, que toutes nos descriptions.

Une certaine révolution s'est accomplie depuis quelques années dans l'orfévrerie de table. Après avoir suivi à l'aveugle le style rococo, dont on exagérait naturellement les défauts, on s'est pris tout à coup d'une belle passion pour la simplicité. Nous nous rappelons la surprise que causa l'apparition, derrière les vitrines des orfévres, de petites pièces de table d'une forme très-simple, moitié en cristal décoré d'une grecque gravée ou d'un filet, et moitié en argent. Il y avait là un indice et le principe d'une transformation qui s'accomplit peu à peu, et qui nous ramène insensiblement aux formes du Directoire et du Consulat. Là est l'écueil. De qui cette pièce émanait-elle? personne n'en sait rien. Un dessinateur industriel, M. Liénard, M. Riester, M. Ch. Neviller ou M. Rambert, pour citer ceux qui s'appliquent surtout à l'orfévrerie, ou tout autre, aura imaginé ce modèle; un fabricant l'aura essayé; la chose réussissant auprès du consommateur, chacun s'est empressé de travailler à l'envi, tournant autour de l'idée première, et la mode se trouva changée. C'était dans la destinée!

Ce fut une révolution plus grande que fit M. Duponchel, artiste, ancien directeur de l'Opéra et homme de goût, en s'associant avec Morel, il y a une vingtaine d'années, pour transformer l'orfévrerie. Ce que l'on fabriquait alors était monstrueux. Le fondu et l'estampage pour les figures, la molette pour les ornements; on ne connaissait pas autre chose. Et quelle sécheresse de formes sous le prétexte d'imitation de l'antique! L'orfévrerie de table était de la chaudronnerie faite en argent. La fréquentation de l'Angleterre, où l'argenterie a toujours été l'objet de tant de soins; l'introduction de quelques formes nouvelles et bien raisonnées; la nécessité, d'ailleurs, de suivre les transformations dont l'architecture et l'ameublement étaient l'objet, ont enfin introduit l'art dans cette branche importante de l'industrie. Avec l'art sont revenus les procédés anciens de la ciselure et du repoussé; puis la galvanoplastie, aidée des facilités plus grandes que des matières nouvelles offraient pour le moulage, a rendu possibles des choses que l'on n'eût jamais pu exécuter il y

a trente ans.

M. Duponchel, resté seul à la tête de sa maison par suite du départ de Morel, qui avait transporté l'orfévrerie française en Angleterre où il est mort, continue la fabrication de luxe par laquelle il s'était tout d'abord fait connaître. Un service à thé de formes très-étudiées, commandé par M. Émile Péreire, et exécuté en argent avec ornements en ors diversement colorés, ciselés avec une grande perfection; un service en argent

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demi-mat, commandé par M. Lyne Stephen, esq., et exécuté dans le style de Bérain, sont autant des œuvres d'art que de l'orfévrerie. Nous citerons surtout une grande coupe et des candélabres, supportés par des groupes de Nymphes et de Tritons, d'hommes enlevant des femmes. Ces figures, d'une grande tournure, modelées par M. Klagmann, sont exécutées en argent repoussé et ciselées par M. Honoré d'un outil précis et large tout ensemble. Deux épées, l'une pour François II, l'autre pour le maréchal Bosquet, et une coupe en cristal de roche, montée en or émaillé dans le style de la Renaissance, complètent la remarquable exposition de M. Duponchel.

M. Wiese dirigea jadis la fabrication de Froment-Meurice qui, malgré les louanges hyperboliques des poëtes, n'était rien moins qu'un Cellini, mais bien un commerçant fort habile à mettre en œuvre le talent des autres, doublé d'un homme de goût, qui fit une révolution dans la joaillerie. Aujourd'hui, M. Wiese dirige pour son propre compte des ateliers d'où sont sorties des pièces fort remarquables. Nous citerons entre autres une pendule en argent, formée d'un Atlante, portant sur ses épaules un vase ovale décoré d'une frise, représentant en relief les travaux d'Hercule, et une jardinière ovale avec frises en relief. Ces morceaux, composés par M. Rossigneux dans un style néo-grec, qui ne manque ni de grâce ni de style, modelés par M. Liénard, ont été ciselés par M. Honoré. M. Wiese, en montrant la part que chacun de ses coopérateurs a prise dans la confection des pièces les plus remarquables de son exposition, nous révèle celle qui appartient à beaucoup de chefs d'industrie. Elle est assez restreinte, comme on voit, mais elle n'est point sans difficultés ni sans mérites. Il faut savoir choisir, diriger et mettre en œuvre. Au-dessous des « fabricants,» il y a ceux qui achètent les choses toutes faites et qui se bornent à faire valoir leurs capitaux d'une façon lucrative. Au-dessus il y a les exécutants; tels sont MM. Liénard frères.

Fatigués d'être toujours à la merci des autres, et de faire la réputation ainsi que la fortune de fabricants qui les exploitaient, les frères Fannière se sont enfin décidés à travailler pour leur propre compte. Ils conçoivent et exécutent eux-mêmes ce qu'ils ont conçu; pourvu que le métal soit malléable et puisse se modeler sous le marteau, peu leur importe son prix. Le fer leur convient aussi bien que l'or. Un bouclier et un fusil exposés dans la vitrine de M. Lepage-Moutier, ainsi qu'un bouclier inachevé qui fait partie de leur propre exposition, montrent à quel point ils sont maîtres du marteau, et avec quelle largeur et quelle précision ils attaquent avec le burin le fer qu'ils ont repoussé au préalable. Leur bou

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clier inachevé est même précieux dans cet état, parce qu'il laisse apercevoir toutes les phases et tous les progrès du travail.

Parmi leurs pièces d'orfévrerie destinées à composer un service complet, il faut noter une salière formée de deux coquilles, supportées par deux Tritons adossés que surmonte une figure de Neptune d'une tournure toute florentine; puis des pieds de coupes et des seaux à rafraîchir, de formes très-étudiées en même temps qu'élégantes.

La figure de Léda, qui se laisse caresser par le cygne avec une volupté si inconsciente, exécutée en argent repoussé par MM. Fannière, montre leurs qualités comme statuaires; mais c'est la pièce elle-même qui seule peut révéler leur talent comme ciseleurs.

M. Gueyton, qui s'est créé une spécialité dans l'orfévrerie galvanoplastique et fondue, a refait pour son propre compte la Minerve que M. Duponchel avait exécutée naguère pour M. le duc de Luynes. Laquelle des Minerves reproduites par la Gazette des Beaux-Arts celle-ci imitet-elle? Nous n'en savons rien; mais en tout cas c'est une figure d'un grand style, un peu archaïque, et d'une belle exécution. Une épée en or repoussé destinée au maréchal Baraguey d'Hilliers, et quelques services de table assez ordinaires, avec des bijoux en argent fondu et émaillé, complètent l'exposition de M. A. Gueyton.

M. Rudolfi, qui se livre presque exclusivement à la fabrication de la bijouterie en argent, doit être classé parmi les orfévres pour quelques vases qui avaient déjà figuré à l'exposition de 1855. Notons surtout celui que M. Geoffroy Dechaulme a composé et modelé. Des feuilles de fougère à peine développées ornent de leurs vigoureux crochets le pied et les attaches des anses, tandis que les sept péchés capitaux sont symbolisés avec autant de bonheur que d'ingéniosité sur la frise qui enveloppe les flancs. Des coupes en lapis-lazuli, et des coffrets composés dans le style du xe siècle par M. Louis Steinheil, font entrer dans les habitudes modernes des motifs d'ornements et des formes que l'archéologie pourrait réclamer comme siennes, mais que leur composition raisonnée fait de tous les temps.

Quant aux émaux exposés par M. Rudolfi, nous les renvoyons l'article où nous traiterons de cette branche importante des arts décoratifs.

Terminons cette longue revue de l'orfévrerie française en citant deux services, l'un de style grec, l'autre d'une époque un peu différente, du temps de Louis XV, exposés par M. Aucoc.

Aucun style, on le voit, ne caractérise l'industrie française, et la variété la plus grande règne dans les magasins de nos orfévres comme

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