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position, en consomment les produits. Lorsque les gens qui croient avoir le sentiment des belles choses, parce qu'ils possèdent l'argent nécessaire pour les acquérir, seront familiarisés avec les conditions du beau, soyez persuadés qu'on ne verra plus, comme aujourd'hui, de ces œuvres monstrueuses qu'on veut nous forcer d'admirer. On aura un moindre culte pour le tour de force, le paraître et le bon marché, ces trois écueils de l'industrie française.

Nous aurons assez d'occasions de traiter ces questions pour ne point les aborder ici; mais nous en avons déjà dit assez pour que l'on pressente que nous ne professons point une aveugle admiration pour les produits de notre industrie d'art, et que nous tâcherons, dans la mesure de nos lumières, de rendre justice aux efforts de nos concurrents.

Il y a des voyageurs qui sont allés à Londres sans sortir de France pour ainsi dire. Pour nous, nous en sommes sortis le plus qu'il nous a été possible, et si nous péchons par omission, c'est que le spectacle était si vaste, qu'il était bien difficile de n'en point oublier quelque partie.

L'ORFEVRERIE

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Certes, l'art est indépendant de la matière qu'il façonne, et une terre cuite, modelée par Phidias, serait aussi précieuse pour nous que la statue chryséléphantine qu'il cisela en l'honneur de Minerve. Cependant il y a dans la qualité, et même dans le prix de la matière, dans les conditions et les difficultés du travail, des vertus secrètes qui vous attirent malgré vous vers les œuvres formées de métaux précieux. Leur gloire est souvent éphémère, et le creuset en fait justice; mais, quand elles ont vaincu la destinée, elles acquièrent un nouveau prix. On doit supposer que les artistes les plus habiles ont appliqué tous leurs soins à façonner ces ouvrages avec l'or ou l'argent, et que ces derniers sont la plus haute expression de l'art à l'époque où ils furent faits. De là l'importance de l'orfévrerie et de la bijouterie dans l'histoire des arts, et de là aussi la place que nous leur donnons dans cette étude. D'ailleurs, tous les peuples possèdent des orfévres et des

joailliers, et les éléments de comparaison sont plus nombreux dans cette branche des industries somptuaires que dans aucune autre.

Ici, la supériorité appartient sans conteste à la France, mais il y a chez les autres peuples, en Angleterre surtout, des transformations et des progrès qu'il est nécessaire de signaler.

Le centre de la fabrication française est Paris, et de toutes les fabriques de Paris, la plus importante par les ressources dont elle peut disposer et par le bon emploi qu'elle fait de ces ressources est celle de MM. Ch. Christofle et Cie.

Le meilleur emplacement de l'exposition, le plus central et le plus grand, lui a été donné; mais cet emplacement, eu égard à l'exiguïté des autres, nous a semblé disproportionné, malgré les mérites des objets exposés. La pièce du milieu du surtout exécuté pour les fêtes de la ville de Paris occupe la place d'honneur. Sur un grand plateau en glace dont l'encadrement, formé d'une riche moulure surmontée d'une frise, est interrompu par quatre candélabres, vogue le navire de la ville de Paris. Le Progrès, une torche à la main, est assis à la proue; la Prudence tient le gouvernail. La Science, l'Art, l'Industrie et le Commerce se dressent sur le pont et portent la Ville assise sur un pavois. Des tritons domptant des chevaux marins précèdent, suivent et accompagnent le navire symbolique. Voilà certes une plaisante invention de figurer la ville méditerranée, qui est la capitale de la France, par tout cet appareil marin, cela parce que la nef des marchands de l'eau qui occupaient jadis la Cité est devenue le signe héraldique de la ville de Paris. La composition de cette pièce, due à M. V. Baltard, directeur des travaux d'art de la Ville, ne nous semble pas supérieure à l'idée qui l'a fait concevoir; ces grosses figures massives, en équilibre sur le vacillant esquif, seraient beaucoup mieux en basrelief qu'en ronde bosse, et forment une masse fort lourde, malgré les festons qui l'enguirlandent, et sans proportion avec les marins groupes qui sont distribués sur le clair cristal du plateau. Rien ne se tient, et tout vogue un peu à l'aventure. Bref, c'est une œuvre excellente dans toutes. ses parties, mais sans cohésion et fort peu décorative. La statuaire a été modelée par des artistes d'un très-grand talent: par MM. Diebolt, Maillet, Gumery, Thomas, Mathurin Moreau, Rouillard et Capy. Ces messieurs ont fait chacun dans leur atelier des figures très-correctes, fort raisonnables, où un professeur ne trouverait sans doute rien à redire; mais la direction souveraine a fait défaut, et l'on voit trop qu'aucun de ceux qui ont présidé à l'élaboration de cette pièce n'est assez familier avec la décoration pour en avoir fait un tout homogène, ample dans ses formes, et harmonieux dans l'agencement de ses groupes.

Si nous passons maintenant à l'exécution, nous n'hésitons pas à reconnaître que celle-ci est supérieure à la conception. Toutes ces figures exécutées soit au repoussé, soit par la galvanoplastie, sont ciselées avec

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un grand talent. Il en est de même de l'ornementation due à M. A. Madroux. Les ors de couleurs diverses accusent les chairs, les draperies, les fonds et les ornements. Peut-être le demi-mat dont on a revêtu

presque toute la pièce, pour mieux accentuer son modelé, donne-t-il à celle-ci un aspect un peu triste sous la lumière du jour. L'éclat des bougies réveille, dit-on, l'éclat de l'or en s'accrochant aux mille détails de l'œuvre, et en s'y réfléchissant en faisceaux lumineux.

Le surtout dessiné par M. Rossigneux pour la maison antique de S. A. I. le prince Napoléon est bien « antique,» à notre avis. Ce candélabre, formé d'un pilastre carré en argent, où s'emmanchent des volutes portant des lampes, pourrait être monté en maçonnerie: tous ces autels et toutes ces statues mises au point orneraient fort bien une place publique. Allons donc! l'antiquité était plus gaie que cela, et montrait plus de fantaisie. Elle savait rire, et rire avec grâce; nous en avons pour preuve toutes les terres cuites, tous ces rhytons, tous ces ustensiles en bronze qui semblent une révélation depuis qu'on les voit dans l'ancienne collection Campana, et auxquels on ne songeait guère, quoique leurs similaires soient depuis longtemps au Louvre. M. Barre, cependant, a su avec bonheur s'inspirer de quelques-unes des admirables terres cuites que l'on y voit pour modeler les Muses aux corps d'ivoire et aux vêtements d'argent qui décorent le surtout de S. A. I. le prince Napoléon.

Quelques teintes rosées donnent le ton de la chair à l'ivoire de ces statuettes qu'elles dissimulent, étant employées avec trop peu de discrétion, à notre avis. Dans la figure de la Tragédie, seule, l'on sent que le poli de cette belle matière transperce la couleur, et revient à la surface qu'il agathise.

A ces pièces ambitieuses, que M. Ch. Christofle n'est pas maître de disposer à son gré, nous osons préférer celles qui, destinées à satisfaire à des besoins plus journaliers, lui appartiennent en propre. Il y a là de quoi contenter les désirs du luxe le plus exigeant, à côté de pièces dont l'élégance des formes est le mérite principal. Nous ne voudrions pas dire que tout y soit également à priser, et que l'on ne sacrifie point parfois au goût de ceux qui préfèrent la richesse à la forme. Mais cela possède du moins le grand mérite d'être de l'orfévrerie, c'est-à-dire quelque chose composé avec un métal précieux, résistant, ductile et brillant, et non de la sculpture et de l'architecture en argent. La coupe des concours régionaux; un service de dessert, dû à M. Dieterle, un des dessinateurs industriels de notre époque qui montrent le plus d'ampleur dans leurs compositions; des vasques à fleurs en cristal monté; des services à thé inspirés des styles orientaux ou de notre xvIIIe siècle, forment une série de modèles d'un art élégant et judicieux qu'on ne saurait trop encourager. La représentation de plusieurs des pièces de

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ORFÉVRERIE DE TABLE DE MM. CH. CHRISTOFLE ET ce

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