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l'ouvrage de Donatello, actuellement en Russie, et représentant la Vierge et l'enfant Jésus. Pour aider au modelé des figures, les traits sont rehaussés de touches bleues adroitement posées, qui animent l'expression et le regard; les draperies ont reçu des teintes d'or et de rubis, mêlées et quelque peu affaiblies, qui enrichissent le bas-relief sans lui nuire. Derrière on lit: PERESTINVS 1536; la date est répétée en outre sur la moulure supérieure de l'encadrement. Les œuvres de Perestino ou Prestino sont restées jusqu'ici douteuses pour quelques critiques, et l'on s'est demandé s'il ne fallait pas les attribuer à maestro Cencio qui, à son titre de maître, se serait contenté d'ajouter l'expression de sa rapidité manuelle, de sa prestesse. Nous croyons fermement à l'existence de Perestino, et nous pensons, au caractère de son vernis et de ses couleurs, qu'il a dù être l'un des artistes de Nocera.

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Un bas-relief analogue par le sujet, mais où domine le jaune nacré relevé de touches bleues, est inscrit à sa base des signes S. M°. P., dans lesquels on pourrait peut-être retrouver la marque de Perestino.

Quel était l'artiste inconnu qui, en 1536, au moment où Francesco Xanto était dans toute la vigueur de son talent, osait employer les mêmes émaux à la représentation misérable d'une scène mal comprise et plus mal exécutée, Hercule vainqueur de Cerbère? L'éclat d'un rouge rubis, incroyable par sa vigueur, de touches dorées vives comme la topaze, ne saurait racheter ici la lourdeur et l'incorrection du dessin, la barbarie du modelé; le seul intérêt de cette pièce est dans sa marque (*), sorte de toit surmonté d'un épi ou d'un clocheton, indiquant un lieu important, forteresse, château ou monastère.

Quatre ans plus tôt, en 1532, un artiste d'Urbino employait les couleurs à reflets pour peindre la fable de Diane et Actéon, si souvent reproduite sur les majoliques. Sa signature (") diffère trop du chiffre de Nocera pour que nous ne la signalions pas tout particulièrement. A la même fabrique est attribuée une pièce marquée d'un L fourchu suivi d'une sorte d'arbre dénudé ().

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Quant à Pesaro, si les œuvres dorées ont commencé sa réputation, les peintures polychromes en fine majolique l'ont honorablement soutenue. Parmi les pièces sorties de ce centre, nous remarquons le plat no 171, de 1541, et surtout le sujet de l'Ecce homo, sous lequel figure une

croix (") peinte en jaune. Est-ce une armoirie, celle des Machiavelli, par exemple? Est-ce une marque d'artiste ou de possession?

Les auteurs ont attribué tantôt à Pesaro', tantôt à Faenza, le signe () que nous trouvons sur un plat à fond de berettino avec arabesques en jaune pâle mêlées d'entrelacs presque rouges, et quelques touches blanches et bleues. Une pièce, avec le sujet souvent répété de la vestale Tucia portant de l'eau dans un crible, semble nous fournir une variante de cette marque; c'est l'X ou la croix sans entourage, avec deux points (*).

Il faut certainement citer, parmi les signatures intéressantes et nouvelles, le chiffre () que nous trouvons dissimulé dans la peinture d'un beau plat représentant une fête en l'honneur de Neptune. Correct de dessin, élégant de style, ce spécimen est rehaussé encore par un blason partie aux armes des Sforce et des Farnèse.

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Les époques récentes se montrent aussi riches en pièces instructives; sous le n° 2, nous trouvons un grand plat à fond blanc décoré d'une bordure bleue du genre porcellana; au fond, en couleurs pâles, est Roger délivrant Angélique, et, au revers, un grand soleil radié en bleu occupe tout le bassin. Un autre plat, entièrement couvert du sujet de la Résurrection, exécuté en camaïeu bleu, porte cette inscription: FEDERIGO ROI. 1628.

On voit quelle suite de documents la collection Napoléon III apporte à l'histoire des faïences émaillées; les fabriques connues y sont représentées par des œuvres de premier ordre, les signatures d'artistes célèbres y abondent, et beaucoup de marques nouvelles promettent aux investigateurs des découvertes importantes. Il n'est plus possible aujourd'hui de se contenter de désignations empiriques ressortant de l'examen superficiel des pièces; c'est en comparant le faire des artistes et jusqu'aux écritures des légendes qu'ils traçaient sous leurs œuvres, c'est en tenant compte de leur exactitude à reproduire le modèle placé sous leurs yeux, qu'on peut arriver à délimiter la part de chacun. Lorsqu'on rencontre des pièces anonymes d'un style à part, les difficultés s'accroissent sans doute, mais elles ne doivent pas décourager le critique laborieux. Voici un plat représentant la délivrance des âmes du purgatoire; son aspect est certainement insolite. Les nus, bien dessinés, modelés avec soin, conservent toutefois une teinte froide et argentine peu commune dans les majoliques; 4. Alex. Brongniart, Bohn. 2. Marryat.

les rochers et les terrains sont au contraire d'une vigueur poussée à l'extrême, qui contraste d'autant plus avec les chairs. On peut pourtant retrouver certaine analogie d'émaux entre cet ouvrage et de rares pièces attribuées à Urbino.

La Cène, d'après Raphaël, qui couvre le beau plat no 534, est difficile à déterminer parce qu'elle est tracée sur un berettino qui enlève une grande partie du caractère de la peinture; mais la perfection du dessin, la belle expression des têtes, la fermeté du modelé, ne permettent de retrouver son auteur que parmi les majolistes de premier ordre.

Quant aux centres, les délimiter exactement c'est chose presque impossible, de l'aveu des plus grands connaisseurs; chaque fabrique a donné naissance à des ateliers secondaires, parfois inconnus; les potiers et les peintres ont voyagé d'un lieu dans un autre et travaillé souvent pour les différents princes de l'Italie. Les secrets se sont ainsi répandus de proche en proche, et les usines ont perdu tout caractère de distinction technique. Pourrait-on espérer quelque secours des nombreux écussons peints sur les pièces? Peut-être; mais encore ici faudrait-il faire preuve d'une excessive prudence. Le prince qui commandait un service à ses armes pouvait ne pas s'adresser toujours à la fabrique la plus voisine; le caprice, le désir de la nouveauté devaient le porter même à rechercher les ouvrages des usines éloignées ou des artistes en renom, dans quelque lieu qu'ils fussent. Parfois, d'ailleurs, les armoiries sont celles du donateur et non du destinataire; tel est le blason placé sous le plat no 188, et qu'on retrouve à Sèvres et dans d'autres collections où se sont dispersées les pièces de cette crédence.

Quoi qu'il en soit, sous ce rapport comme à tous les autres points de vue, la collection Campana apporte aux études futures un secours manifeste. Certes, dans le brillant ensemble que forme le musée Napoléon III, les majoliques italiennes n'étaient pas le point le plus attractif pour la curiosité de la foule. Il faut avoir pratiqué déjà les études historiques et sondé les arcanes de la technologie pour apprécier complétement des œuvres d'un autre âge dont les plus solides qualités découlent d'une filiation plus ou moins directe des grands maîtres de l'art. Mais lorsque le temps aura permis de tout décrire, de tout expliquer au public, avide, quoi qu'on dise, de connaissances variées, lorsqu'une classification méthodique aura groupé ces spécimens nombreux en les faisant valoir l'un par l'autre, force sera bien de reconnaître que l'acquisition de cette série particulière dote le pays de richesses toutes nouvelles.

ALBERT JACQUEMART.

LES ARTS INDUSTRIELS

A L'EXPOSITION DE LONDRES

« Messieurs, disait dernièrement lord Granville aux exposants français, qui l'avaient invité au banquet offert par eux à S. A. I. le prince Napoléon, messieurs, j'espère que vous voudrez bien pardonner aux industriels anglais d'avoir profité des leçons que vous leur avez données aux expositions de 1851 et de 1855. » L'industrie anglaise, en effet, a fait d'immenses progrès depuis dix ans, comme le lord commissaire de l'exposition internationale le constatait avec un légitime orgueil, et ces progrès doivent donner à réfléchir à tous ceux d'entre nous que n'aveuglent

point les succès de l'heure présente et qui songent à l'avenir. Nous savons bien quelles sont les prétentions des exposants français, et surtout parisiens, les seuls, à peu près, qu'intéressent les industries de luxe. « Les progrès que l'on constate en Angleterre, disent-ils, sont plus apparents que réels. On les obtient parce qu'on emploie nos dessinateurs, nos modeleurs et nos ouvriers. Parfois même, on nous oppose nos propres produits. Mais nous avons pour nous le goût, pour nos agents l'habileté et la pratique; aussi, nous n'avons rien à craindre. »

Dans ces dires, il y a une part de vérité, mais non la vérité tout

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XIII.

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entière. Eût-on raison aujourd'hui, qu'au train où nous semblent aller les choses, on aurait tort demain. Pour tout dire, l'Angleterre marche à grands pas dans la voie du progrès, et, usant de cette force de volonté qu'on lui sait, elle nous laisse prévoir le jour où elle sera notre rivale dans le domaine de l'art industriel, comme elle l'est dans celui de l'industrie pure. Pourvu qu'elle n'aille pas au delà !

Elle nous semble être aujourd'hui à notre égard dans la position où nous nous trouvions, par rapport à l'Italie, à l'aurore de la Renaissance. Barbares! disaient les Italiens, en parlant des Français qui marchaient à la suite de Charles VIII et de Louis XII. Mais ces barbares, après avoir quelque peu détruit autour d'eux, ont fini par appeler dans leur pays les artistes et les ouvriers de l'Italie, et par y transporter les chefsd'œuvre auxquels ils s'étaient enfin laissé prendre. Ces barbares sont devenus les maîtres, auxquels leurs initiateurs ont fini par demander des leçons. Et les leçons durent encore.

Hommes sans goût! nous contentons-nous de dire en parlant des Anglais. Mais ces hommes sans goût empruntent celui des gens qui passent pour le posséder, et, à force de pratiquer les belles choses, nous avons bien peur qu'ils ne finissent par l'acquérir, de telle sorte que l'on soit un jour forcé de parler d'eux avec trop d'égards. Voyons d'abord le point où ils sont arrivés, puis nous étudierons les institutions à l'aide desquelles ils prétendent marcher plus avant.

Après avoir examiné et comparé les arts industriels de la France et de l'Angleterre, tels qu'ils se présentent à l'exposition, car c'est entre ces deux peuples que la lutte existe surtout; -après avoir cherché en quoi ils se rapprochent ou s'éloignent de ce que peuvent nous offrir les autres pays, qui progressent aussi, et qu'il ne faut point négliger; après avoir indiqué quels exemples nous pourrons trouver chez ces derniers, nous n'aurons accompli que la moitié de notre tâche. Il nous restera à parler du musée de South-Kensington, et de l'ensemble des institutions qui se groupent autour de lui.

Lorsque nous aurons développé la magnifique organisation de cet établissement, nous espérons que plus d'un pensera que tout n'est pas pour le mieux chez le plus spirituellement routinier de tous les peuples, qu'il y a quelque chose à faire, et qu'il est grand temps de pousser le

cri Caveant consules!

D'autres viendront et sont déjà venus, qui nous diront par quels moyens il faut transformer ce qui existe déjà, afin d'utiliser toutes les forces vives que l'on a sous la main pour améliorer le goût de ceux qui, par état, pratiquent les arts industriels, et de ceux surtout qui, par

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