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XVII

DANS L'ORDRE DORIQUE, LES PROPORTIONS SONT MALES, LES FORMES
SONT INDICATIVES DE LA CONSTRUCTION,

LES ACCENTS DE LA SOLIDITÉ TIENNENT LIEU D'ORNEMENTS.

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L'ordre dorique est le plus ancien des trois ordres. Il fut apporté en Grèce, selon toute apparence, par la race dorienne qui était la race hellénique pure, tandis que les races ionienne et achéenne étaient mélangées de sang pélasge. C'est ce que symbolise la tradition qui fait de Dorus le fils d'Hellen, dont Achæus et Ion n'étaient que les petits-fils. Descendus des montagnes de la Thessalie où on les trouve établis dès le xvIe siècle avant notre ère, les Doriens s'étaient emparés du Péloponèse, environ quatre cents ans plus tard, conduits par les descendants d'Hercule, qui les avait jadis protégés contre les Lapithes. C'était une race sérieuse et mâle. Ils avaient des mœurs rigides, une religion austère et solennelle, un dialecte rude, le goût de l'agriculture, la passion de la gymnastique et de la guerre. Leur génie formait le plus éclatant contraste avec celui des tribus ioniennes, qui se caractérisaient par un culte pompeux, des mœurs plus faciles et plus élégantes, un esprit mobile et ouvert à toutes les jouissances morales, une langue harmonieuse, de l'aptitude au commerce et le goût des arts. Cette opposition des deux races fut représentée historiquement par l'antagonisme de deux républiques à jamais illustres, Sparte et Athènes.

On devine que l'architecture des Doriens portera l'empreinte de leur génie sévère. Elle sera solide, massive, puissante, et elle accusera sa puissance comme un athlète montre ses muscles. Tels sont, en effet, les caractères saillants de l'ordre dorique, surtout dans ses commencements. C'est la nécessité même de la construction qui engendre la principale beauté de cet ordre. L'ossature du monument dorique est visible et si bien accentuée que le spectateur, passant par toutes les phases de la construction, bâtit l'édifice une seconde fois dans sa pensée.

Si nous analysons l'architecture dorique, nous allons en voir toutes les

parties s'agencer, se pondérer, se soutenir avec une logique rigoureuse. Chaque membre occupera une place inévitable; chaque pierre dira ellemême sa fonction; chaque moulure s'expliquera, et l'expression du monument ressemblera à cette éloquence laconique dont tous les mots portent. Nous connaissons déjà la colonne dorique; elle est sans base; elle a une forme conique très-prononcée avec un léger renflement. On y a traîné des cannelures profondes à vives arêtes. L'image d'une forte ligature a été figurée en haut du fût et répétée à la gorge du chapiteau. Les formes végétales de l'Égypte ont été remplacées par un tore évasé dont les contours, rappelant ceux d'une patère, ont été empruntés de l'art céramique, cultivé en Grèce de toute ancienneté. Cette moulure du chapiteau se nomme échine, nom dérivé sans doute du mot echinos (xivo;) qui signifie cuvette. Sur le tore est posée une dalle carrée appelée tailloir ou abaque. Tel est le support dorique chez les Grecs, inventeurs des trois ordres. Vitruve dit que ce support est proportionné comme le corps de l'homme dans lequel le pied est égal à la sixième partie de la hauteur du corps; mais, d'une part, ce rapport n'est pas bien observé, ainsi que nous l'avons établi dans le chapitre sur les Proportions du corps humain ; d'autre part, si ces proportions avaient été appliquées aux colonnes doriques, elles auraient toujours six diamètres de hauteur, ce qui jamais ne se vérifie. En effet, dans les temples de l'ordre dorique véritable, du dorique grec, la colonne la plus élancée, y compris son chapiteau, a toujours moins de six diamètres.

Maintenant, que va porter cette colonne ? L'espace entre deux supports est couvert, nous l'avons dit plus haut, par une seule pierre horizontale, une plate-bandę, qui va d'une colonne à l'autre, joignant les deux axes, et qui est posée à joints vifs sans mortier. Dans la construction en pierre, cette plate-bande, l'architrave, rappelle par son nom, qui signifie maîtresse-poutre, la construction primitive en bois. En effet, les temples les plus anciens de la Grèce, même lorsqu'ils étaient bâtis en pierre, étaient couverts en charpente, ainsi qu'en témoignent plusieurs passages d'Euripide (tragédies d'Oreste et des Bacchantes), de Polybe, de Pline, de Pausanias. Le temple de Junon à Métaponte, dans la Grande-Grèce, le temple de Neptune à Mantinée, étaient portés sur des colonnes de chêne ou d'autre bois. A Éphèse, le fameux temple de Diane fut aisément brûlé par Érostrate, parce que la couverture était en bois de cèdre. Leur ancienneté même donnait aux colonnes en bois un caractère sacré, et, souvent, c'est Pausanias qui l'affirme, elles étaient conservées comme des modèles vénérables, dans les édifices en pierre qui avaient succédé aux temples primitifs. Il est certain que ces temples eurent en tous cas des

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toitures en bois, et nous verrons que le souvenir s'en perpétua dans les constructions de l'ordre dorique qui conservèrent ainsi, en pierre ou en marbre, une image commémorative de l'antique charpente.

Sur la maîtresse-poutre étaient posées des solives qui la coupaient à angles droits, et qui étaient soutenues à l'autre bout par le mur principal du temple. Mais ces solives étaient séparées de l'architrave par un cours de planches qui la couvrait pour la garantir de l'humidité, précaution d'autant plus nécessaire qu'une maîtresse-poutre se compose toujours de deux demi-poutres jumelles, juxtaposées et reliées par des clefs, mais qui laissent entre elles un joint, de manière que, si l'une des deux vient à fléchir, l'autre puisse résister encore quelque temps, la solidité ayant ainsi deux chances pour une. Les solives étaient couvertes à leur tour par une sablière, c'est-à-dire par une pièce de bois couchée horizontalement dans le même sens que l'architrave, et supportant les chevrons du comble, lesquels faisaient saillie au dehors pour écarter la chute des eaux de pluie, et portaient le plancher incliné de la couverture. Mais comme ces chevrons présentaient à leur extrémité une suite de petites surfaces carrées d'un effet mesquin et déplaisant, on en rabattait les angles et on y clouait des planches qu'on plaçait sur un plan vertical, afin que la pluie n'y pût séjourner. La même chose était pratiquée sur la face inférieure, tant pour la préserver que pour épargner au spectateur placé en dessous un effet semblable à celui dont nous venons de parler. Cependant, au bas de la toiture règne un canal appelé chéneau, destiné à recevoir la masse des eaux de pluie et à les conduire dans les tuyaux de gouttière; on évite par là de laisser couler des torrents de pluie tout le long de l'édifice. C'est ainsi que se construisait en général et que se construit encore une couverture en charpente.

Voyons à présent comment les Grecs ont imité ou plutôt rappelé ces dispositions, particulièrement dans l'ordre dorique. On entend, en architecture, par le mot ordre proprement dit, le rapport établi entre la colonne et les parties qu'elle supporte. Ces parties, au nombre de trois, forment ce qu'on appelle l'entablement. L'édifice pouvant se terminer en terrasse ou se couronner d'une toiture qui varie, le comble n'est pas compris dans l'entablement, ni par conséquent dans l'ordre. Les trois seules parties de l'entablement sont l'architrave, la frise et la corniche. L'architrave, encore une fois, représente la maîtresse-poutre; elle est donc posée horizontalement sur les colonnes. La frise est l'espace occupé au-dessus de l'architrave par la rangée des solives qui s'y appuient et qui la coupent à angle droit, à moins que l'édifice ne soit rond, et qu'alors l'architrave ne soit courbe. La corniche (du grec yopovis, achèvement,

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