Page images
PDF
EPUB

poney gris. L'auteur s'est complu à éclairer son personnage par des jours de reflets et des lumières frisantes: sa peinture y a perdu un peu de solidité et de relief. L'effet est plus sobre et plus vrai dans le portrait de Raeburn par lui-même, tête résolue et intelligente qui a été supérieurement gravée par William Walker.

John Hoppner, qui fut élève de l'Académie royale de Londres et dont Lawrence a parlé comme d'un rival redoutable, me paraît être demeuré assez fidèle aux procédés du XVIIIe siècle. On a placé tout en haut-peutêtre parce qu'elle montre un peu trop son épaule le portrait d'une jeune dame en blanche toilette qui fait grand honneur à Hoppner. Un ruban bleu joue dans les dentelles de son bonnet du matin, et sa robe, très-mal agrafée, laisse voir une gorge amoureuse; les joues sont fraîches et roses; l'ensemble est très-harmonieux, très-printanier, et assez voisin de Fragonard lorsqu'il peignait dans les tons clairs. Mais Hoppner n'est pas seulement le peintre des élégances et de la jeunesse; il a fait aussi, et non sans gravité, les portraits de William Pitt (au musée de Kensington), de W. Gifford, éditeur de la Quarterly Review (chez M. Murray), et bien d'autres effigies sérieuses de lettrés, de politiques, comédiens.

et de

Henri Howard (1769-1847), obéissant à deux influences, a peint des mythologies d'une grâce un peu fade, comme Diane et les Nymphes, et des portraits historiés avec une coquetterie qui se souvient de Gainsborough. Dans ce genre, où il a le mieux réussi selon nous, l'exposition nous montre un groupe d'une mère avec ses filles jouant dans un jardin. A l'accent de la couleur, à la liberté de l'exécution, à la nonchalance des attitudes, on voit que, pour Howard, le xvIII° siècle a duré longtemps.

Cette époque, particulièrement heureuse pour le portrait, s'achève avec sir Thomas Lawrence (1769-1830). Onze portraits représentent à l'exposition de Kensington le talent varié de ce maître, qui peut-être fut trop fécond, et qui à coup sûr fut inégal. Nous savions déjà que Lawrence n'est pas seulement un charmant peintre; il est sérieux aussi, et je ne vois pas quel reproche on pourrait faire à son portrait de Sir Humphry Davy, si parfaitement gentleman dans son attitude élancée, si digne dans son maintien, si noblement compris comme révélation de l'homme. Les portraits de femmes (Lady Bentinck, la Comtesse Grey et ses filles, etc.), les portraits d'enfants (la petite Comtesse de Shaftesbury par exemple) sont des modèles d'élégance et de grâce attendrie. Les Anglaises, et quel malheur que les critiques n'aient pas le temps d'aimer! les Anglaises ont des fraîcheurs de coloration, des transparences de teint, des pâleurs lumineuses qui semblent faites pour désespérer les peintres,

[graphic][merged small][subsumed][merged small][subsumed]

car comment traduire avec un pinceau et de la couleur ces regards où brille un rayon mouillé, ces blancheurs doucement attiédies, ces délicatesses d'épiderme qui, si les fleurs avaient une âme, feraient le désespoir du camellia et de la rose thé? Mais Lawrence a réalisé l'impossible; ses portraits de femmes ont une limpidité de lumière, un éclat, une morbidesse dont on ne peut se douter quand on n'a pas vu les jeunes misses chevauchant dans la grande allée de Hyde-Park aux heures élégantes de la promenade du matin. Le charme secret de la désinvolture britannique, la fantaisie de la grâce anglaise ont aussi trouvé dans Lawrence un peintre d'un rare bonheur. Certes, il n'est pas à la hauteur de Reynolds et de Gainsborough, mais il est leur dernier disciple, et quoique son dessin soit parfois un peu chimérique, son œuvre doit rester, pour ceux qui ne savent pas l'Angleterre, comme une véritable révélation.

Ainsi, au moment où West et ses amis menaçaient de compromettre l'école en la conduisant vers des hauteurs qui ne sont pas faites pour elle, le portrait maintenait dignement le rôle et le caractère de l'art anglais. La peinture de genre lui vint en aide dans cette œuvre de salut national. Hogarth, nous l'avons dit, n'avait pas eu de successeur immédiat. Nous passerons donc vite sur Wheatley, que l'exposition de Kensington, moins complète que celle de Manchester, a cru pouvoir omettre; sur Smirke, qui mêle la poésie à la caricature, et sur Stothard, qui, au moment où chacun l'oublie, se souvient tout à coup de Watteau.

Mais un vrai peintre de genre, un artiste charmant dans ses négligences, c'est George Morland (1764-1804). Ce Morland était un étrange personnage, un bohémien toujours aux abois, un esprit perdu dans les chimères. Sa vie fut un combat perpétuel contre les créanciers, contre la prison, contre la faim. On a parlé de la misère de Lantara, mais Lantara était un capitaliste auprès de Morland. Malgré les difficultés d'une existence aussi troublée, et bien qu'il soit mort à quarante ans, Morland a trouvé le temps de produire beaucoup. Ses tableaux ne lui coûtaient pas un grand effort; la pensée y est indiquée plutôt qu'écrite. Ce sont des scènés familières d'une rusticité adoucie, des intérieurs de chaumière, des haltes de bohémiens, des pastorales ou des troupeaux, mais tout cela léger d'intention et plus léger encore de travail. Morland avait des créanciers à payer, et il peignait vite. Aussi son dessin est sommaire, son coloris est faible et comme effacé; mais la veine chez Morland est facile et prompte, et, gravés en couleur par Smith ou par Ward, les tableaux de ce pauvre diable faisaient assez bonne figure dans la salle à manger des marchands de la Cité.

Nous ne mentionnerons Edward Bird (1772-1819) que parce qu'il pré

:

pare, dans son œuvre encore timide, la venue de David Wilkie. Les Hollandais l'ont évidemment charmé, et il a voulu, de son pinceau médiocrement habile, traiter des sujets analogues. La Montre en loterie et le Samedi soir, exposés aujourd'hui au palais de Kensington, font voir dans ce peintre, peu illustre d'ailleurs, un artiste plein de bonnes intentions et un ouvrier secondaire. Il n'est pas douteux, cependant, qu'il n'ait ouvert. la voie où Wilkie allait bientôt entrer. Celui-ci, qui naquit dans le comté de Fife en 1785, et qui ne mourut qu'en 1841, est tout simplement un des maîtres qui honorent le plus l'école anglaise. La France le connaît par les gravures de Raimbach le Jour des fermages, le Doigt coupé, la Première boucle d'oreilles, le Lapin sur le mur et vingt autres scènes pleines d'esprit et d'humour ont fait à ce peintre heureux une renommée qui ne doit pas périr. On a réuni à l'exposition une dizaine de ses plus fins ouvrages, et le duc de Buccleuch y a joint quelques eauxfortes, qui, pour l'étude de Wilkie, demeurent un document définitif. Ces. gravures, où le cuivre est attaqué avec une spirituelle vaillance, disent bien haut en effet que Wilkie n'a eu qu'un maître : Adrien van Ostade. C'est chez lui qu'il a étudié l'art de grouper ses petits personnages, de les baigner dans la pénombre d'une lumière intérieure, d'accentuer les types et les physionomies; seulement Wilkie n'a jamais perdu de vue la nature, aussi est-il resté parfaitement anglais dans ses caractères et dans ses expressions. J'ajouterai que son coloris est d'ordinaire un peu plus clair que celui d'Ostade, et aussi - ai-je besoin de le dire? que son pinceau est plus maigre, son exécution plus petite. Mais tel qu'il se révèle à nous dans le Bedenu de la paroisse et dans la Fête de village, Wilkie est un observateur de premier ordre, un artiste spirituel, délicat et doucement comique. Il conserva ces qualités jusqu'en 1825, ou à peu près. Mais il lui arriva alors une étrange aventure. A la suite d'un long voyage en Italie, en France et en Espagne, Wilkie imagina qu'il avait jusque-là fait fausse route, et que la grande peinture, ou du moins la peinture des scènes historiques, était sa vocation véritable. Il changea alors sa manière, et, au lieu d'une exécution fine et précise, il adopta un procédé lâché, large et presque décoratif. En même temps il aborda des sujets qui touchent de près à l'histoire, et il agrandit démesurément la dimension de ses figures. Pour un artiste qui dessinait à l'anglaise, je veux dire très-peu, ce changement de méthode était dangereux. Dès ce jour, les défauts jusque-là voilés apparurent éclatants; la Jeune fille de Saragosse, les Nymphes cucillant des raisins, et les autres tableaux de la seconde manière de Wilkie font presque peine à voir; car, bien que l'habileté du peintre s'y révèle çà et là à des traits heureux, il est

malheureusement trop évident que l'artiste est hors de son domaine, et que Van Ostade, trahi sans raison, n'a plus qu'à regretter son disciple perdu. Oublions donc le pire pour nous souvenir du meilleur; et, pour faire loyalement notre devoir, c'est-à-dire pour aimer Wilkie, supposons qu'il n'a vécu que quarante ans.

Le paysage, nous l'avons dit tout à l'heure, protesta comme le portrait et comme la peinture de genre contre les tendances classiques de Benjamin West. C'est encore là une page glorieuse dans l'histoire de l'école anglaise, et nous regrettons que les développements, peut-être excessifs, dans lesquels nous sommes entré plus haut, ne nous permettent pas de raconter à notre aise la naissance et les progrès de cet art spécial. Nous rappellerons, toutefois, que le sentiment du paysage ne se manifesta que tardivement chez les Anglais. Les livres assurent, mais nous ne sommes pas en mesure de contrôler le fait, qu'un artiste dont nous avons parlé, Robert Streater, s'était essayé dans ce genre sous le règne de Charles II. Les commencements du XVIIIe siècle nous montrent aussi un certain Woodcock, qui peignait, dit-on, des marines dans la manière de W. Van de Velde, et ensuite Samuel Scott (1710-1772), qui était plutôt un architecturiste ́qu'un peintre de paysages. L'intérêt historique, bien plus que le mérite de l'art, donne un certain prix à ses vues du Vieux pont de Londres en 1745 et du Pont de Westminster, conservées aujourd'hui au musée de Kensington.

Richard Wilson succéda à ces maîtres timides (1714-1782): les Anglais le considèrent comme leur premier paysagiste, du moins dans l'ordre. des dates. Wilson avait débuté par faire des portraits, et il n'y réussissait qu'à demi, lorsque vers 1749 il partit pour Rome. Il y rencontra Joseph Vernet, qui avait exactement son âge, mais qui était déjà agréé à l'Académie royale de Paris, et que les Italiens commençaient à prendre au sérieux. L'exemple de Vernet et les conseils de Zuccharelli déterminèrent Wilson à étudier le paysage: il se fit une manière mixte qui, tout à fait dans le goût du temps, mêle dans une proportion inégale la sincérité de la nature avec la routine solennelle du paysage académique. Wilson arrange quelque peu les arbres, il modifie la forme des rochers; aux chaumières pittoresques que lui montrent ses courses dans les champs, il substitue des architectures régulières et « dans le bon style. » Des personnages en costume antique -Niobé et ses enfants, Apollon et les Muses peuplent ses campagnes arcadiennes. Sans doute il a peint quelquefois des vues de la Tamise ou des prairies de l'Angleterre, mais sans avoir le courage de ses sujets, et d'un pinceau qui se souvint toujours de l'Italie. La peinture de Wilson, très-vantée jadis, est assez

« PreviousContinue »