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poétiques paysages. La Porte du cottage est, dans ce genre, un chefd'œuvre le groupe de la mère et des enfants, debout au seuil de la chaumière, est étincelant de lumière et de chaleur; et il en faudrait écrire autant de tous les tableaux champêtres de Gainsborough, la Fille à la cruche, la Ferme, etc. Le paysage moderne doit saluer dans ce maître hardi un de ses premiers initiateurs. Mais, ce point résolu, c'est notre devoir de dire qu'il y a un peu de manière, un peu de parti pris dans les colorations chaudes et bistrées dont Gainsborough revêt ses terrains, ses gazons et ses bois. Watteau, avant lui, avait eu un goût pareil pour ces feuillages rougis par l'automne. Je reconnais dans ce système, d'abord une concession faite à la mode du temps, « on ne peut placer dans un paysage que des arbres bruns, » disait sir George Beaumont; mais j'y retrouve aussi la preuve de la persistante admiration que Gainsborough eut toujours pour les maîtres flamands. Comment relire sans émotion, dans les pages sympathiques d'Allan Cunningham, le récit des dernières heures du peintre, qui, sentant la mort approcher, recueille ses dernières forces, et, dans un entretien suprême, invoque le nom de Van Dyck!

L'école anglaise fut très-féconde au XVIIIe siècle. Même après Reynolds et Gainsborough, il est permis de citer, mais au second rang, le portraitiste George Romney (Dalton, 1734-1802). Les organisateurs de l'exposition n'ont eu qu'un médiocre souci de sa renommée, car le portrait de l'Amiral Hardy, qu'ils ont emprunté à la galerie de Greenwich, ne représente qu'à demi ce talent souple et facile. Mais Romney brille dans tout son éclat à l'exposition de tableaux anciens récemment ouverte dans Pall-Mall par les soins de la British Institution. On y peut voir, entre autres, les portraits de Lady Russell et de son fils, de la Comtesse de Warwick avec ses enfants, de Romney lui-même, et une charmante ébauche d'après mistress Tickell, celle qui avait déjà inspiré Gainsborough et qui portait bonheur à tous les peintres. Romney n'a pas la puissance de Reynolds, il n'a pas la grâce enchantée de l'auteur de l'Enfant bleu; peut-être, en cherchant bien, lui trouverions-nous des affinités avec nos maîtres du règne de Louis XVI; ses portraits sont clairs, lumineux, bien arrangés, et, comme la Séréna exposée à Manchester, ils sont quelquefois conçus dans une gamme de tons sobres et de nuances analogues d'une harmonie un peu pâle, mais très-douce au regard.

Toutefois, le temps allait arriver où l'ambition de l'école anglaise ne se contenterait plus de briller dans le portrait. La création de l'Académie royale en 1768, les leçons de Reynolds, qui n'avait pas cessé d'exalter ' l'art italien, le souffle qui passait sur le monde, poussèrent peu à peu

XIII.

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l'école dans les voies de l'histoire et lui firent désirer d'acquérir ce qui lui manquait, le style. Il est singulier que deux étrangers, deux Américains, aient eu la plus grande part dans ce mouvement, qui, je n'hésite pas à le dire, marque une crise, un déraillement dans la marche de l'école anglaise mais ces deux maîtres, Copley et West, eurent des ambitions inégales et une influence différente. Le premier, John Singleton Copley (Boston, 1737-1815), n'osa pas s'aventurer dans le domaine héroïque. L'histoire ou plutôt l'anecdote historique lui suffit. La Mort de lord Chatham et la Mort du major Pierson à Jersey sont les plus célèbres de ses peintures. Lord Lyndhurst, le fils de Copley, a bien voulu prêter pour l'exposition le second de ces tableaux. C'est une scène tumultueuse qui se compose à peu près comme une gravure de Duplessis-Bertaux, et qui emmêle dans une confusion correcte les uniformes rouges des soldats, les femmes effrayées et fuyantes; des drapeaux agités au milieu de la fumée de la fusillade ajoutent leur fracas à cette composition, à la fois mouvementée et sage. Copley avait d'ailleurs un talent assez souple, et il pouvait, non sans bonheur, aborder des sujets d'un autre genre. On aurait peine à reconnaître le peintre de la Mort du major Pierson dans le joli tableau qui appartient à la reine, et qui nous montre les portraits des jeunes princesses Amélie, Sophie et Augusta jouant dans un jardin, en compagnie de chiens de fine race; l'une des petites filles se fait traîner dans un chariot, ses deux compagnes courent à côté d'elle; tout cela est vif, égayé et plein de couleur. Copley, sous ce rapport, tient beaucoup de l'école du XVIIIe siècle, et l'on peut dire qu'il en fut un des derniers représentants.

Son compatriote Benjamin West (Springfield, 1738-1820) eut la prétention de pousser l'art anglais dans des voies plus sévères. Sans doute il a peint, comme Copley, des scènes historiques, telles que la Mort du général Wolfe, dont nos lecteurs connaissent la gravure, et les Batailles de la Hogue et de la Boyne, auxquelles le marquis de Westminster a donné dans sa galerie une place qui pourrait être mieux occupée. Mais West a aimé de préférence les sujets religieux et les créations des poëtes. Sans sortir de l'exposition, nous avons de lui le Serment d'Annibal et le Départ de Régulus. La peinture de West a un défaut considérable : elle est absolument ennuyeuse; nulle trace de style d'ailleurs, quoique l'artiste y ait évidemment songé; mais la mollesse de son dessin, la banalité doucereuse des types, l'absence complète d'expression ne permettent de voir, dans les prétentieux essais de l'artiste américain, que l'effort mal venu d'un écolier sans personnalité et sans génie. West a un autre défaut, un défaut impardonnable dans le pays de Reynolds et de Gainsborough :

il peint mal. Le sens de la couleur lui manque tout à fait, et son pinceau débile ne sait accuser ni le jeu de la lumière et de l'ombre, ni le relief d'une forme accentuée.

Il n'est pas dans notre pensée de nous étendre longuement sur cette période maladive de l'histoire de l'art anglais. Chacun sait que le peintre Henry Fuseli a passé longtemps pour un autre Michel-Ange. Hélas! son Satan expulsé du paradis est une grande figure aux attitudes à la fois violentes et naïves; Fuseli a trouvé le moyen d'être en même temps extravagant et froid. Du reste, il peint encore plus mal que West, car tous ces régénérateurs de la peinture étaient de déplorables ouvriers. James Barry (1741-1806) est peut-être un peu plus serré dans l'exécution. L'étude de l'antique est visible dans son groupe d'Adam et Eve. L'Adam est un décalque d'après une statue, et la couleur, assez chaude dans ce tableau, rappelle vaguement celle de l'Education d'Achille, du baron Régnault. William Hamilton (1750-1801) est encore un maître dépourvu de toute saveur. Son Apollon à la fontaine est de la plus fade élégance. Enfin, il est fâcheux aussi que l'élève et le biographe de Reynolds, James Northcote (1746-1831), se soit montré si oublieux de ses leçons. Le Dernier sommeil d'Argyll est une œuvre académique; les têtes des personnages sont sans caractère, et les vulgarités du mélodrame tiennent la place du sentiment... Non, la peinture de ce genre, celle qui met en jeu les grandes passions de l'homme, celle qui le transfigure et le divinise, ne semble pas dans le tempérament de l'école anglaise. Deux tentatives répétées dans ce sens, sous Charles II d'abord et ensuite sous George III, ont également échoué. Si nos voisins tiennent quelque compte des enseignements de l'histoire, ils devront se rappeler que, descendus deux fois sur le terrain de l'idéal, ils y ont été vaincus deux fois.

Mais à l'heure où, sous l'influence de West et de Fuseli, le XVIIIe siècle paraissait devoir finir si tristement, l'art anglais, demeuré fidèle à sa tradition dans les genres secondaires, s'affirmait encore avec éclat dans le portrait, dans les scènes de la vie intime, et se préparait à triompher dans le paysage. Même après Reynolds, après Gainsborough, après Romney, l'Angleterre a eu d'excellents portraitistes. Ce n'est pas un maître indigne d'estime que sir William Beechey (1753-1839), dont on peut voir à Hampton-Court un excellent tableau, le Prince de Galles passant une revue, et à l'exposition un bon portrait de John-Philip Kemble. Comment oublier Henry Raeburn (1756-1823) et John Hoppner (1759-1810)? Raeburn a du goût pour les effets singuliers, et il lui arrive parfois d'exagérer un peu les accidents du rayon ou de l'ombre. La galerie nationale d'Édimbourg a prêté pour l'exposition un portrait du jeune fils de l'artiste monté sur un

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