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haute. Que lui importe un homme périssable, une chair mortelle, et ce cœur qui bientôt ne battra plus; il sait mourir, quoiqu'il n'aille pas chercher la mort, mais mourir pour une idée. Je sais dans telle forteresse tel homme qui, au milieu des plus rudes épreuves, gardera jusqu'à la mort le secret de la liberté. Tout autre dévoûment est simplicité, enfance aux yeux des compatriotes de Machiavel. La recherche aventureuse des périls inutiles, la déification de la femme, la religion de la fidélité, la rêverie enthousiaste du monde féodal, tout cela excite en eux un rire inextinguible. Leur poème chevaleresque est la satire de la chevalerie, l'Orlando furioso. Point d'association industrielle ni militaire, si ce n'est pour un but précis, pour un intérêt, pour une idée.

Le génie italien est un génie passionné, mais sévère, étranger aux vagues sympathies. Ce n'est point le monde naturel de la famille, de la tribu, c'est le monde artificiel de la cité. Circonscrit par la nature dans les vallées de l'Apennin, isolé par des fleuves peu navigables,

il s'enferme encore dans des murs. Il y règne loin de la nature dans des palais de marbre, où il vit d'harmonie, de rhythme et de nombre; s'il en sort, c'est pour se bâtir dans ses villa des jardins de pierre. Et d'abord, il se caractérise par l'harmonie de la vie civile, par la législation, par la jurisprudence. Après tant d'invasions barbares, l'indestructible droit romain reparaît à Bologne et par toute l'Italie. Les subtilités de Tribonien sont subtilisées par Accurse et Barthole. A côté des juristes, reviennent les mathématiciens. Cardan et Tartaglia continuent Architas et Pythagore. Leur géométrie abstraite est reçue dans la géométrie concrète de l'architecture, l'art de la cité matérielle, comme la législation est l'art de la cité morale. A Rome, à Florence, la figure humaine, dans les tableaux, reproduit la sévérité, quelquefois la sécheresse architecturale. Ce n'est guère qu'au nord, dans le coloris vénitien, dans la grace lombarde, que la peinture consent à humaniser l'homme. Pour la nature, elle osera rarement se montrer

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dans les tableaux. Peu de paysages, peu de poésie descriptive en Italie.

La poésie s'y inspire du génie de la cité. Sans doute dans ce pays tout homme chante; le climat y délie toute langue. Mais le vrai poète italien, c'est l'architecte de la cité invisible, dont les cercles symboliques sont la scène de la Divina Commedia. Dante est l'expression complète de l'idée italienne du rhythme, du nombre; il a mesuré, dessiné, chanté son enfer. C'est encore sous la forme harmonique de la cité, que l'histoire de l'humanité apparut au fondateur de la philosophie de l'histoire, le Dante de l'âge prosaïque de l'Italie, Giambatista Vico. Dans la dualité du corso et du ricorso, dans la triplicité des âges, dans la beauté géométrique de sa forme, la Scienza nuova me représente le génie rhythmique de l'Étrurie et de la Grèce pythagoricienne.

Lors même qu'il sort de la cité, l'Italien en transporte, en imprime partout l'image. On sait avec quel soin sévère la religion étrusque

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et la politique romaine mesuraient et orientaient les champs. Partout l'agrimensor et l'augure venaient, derrière les légions conquérantes, calquer la colonie nouvelle sur la forme sacrée de la métropole. Tandis que, chez les nations germaniques, l'homme s'attache à son champ, s'y enracine, et aime à tirer son nom de sa terre; l'Italien lui donne le sien ; il n'y voit qu'un rapport de plus avec la cité, qu'une matière d'intérêt civil. Le juriste, le stratégiste, viendront reconnaître la terre pour en régler ou déplacer les limites, pour transférer ou maintenir la propriété selon les moyens divers de leur art.

La mère de la tactique comme de la jurisprudence, c'est l'Italie. La guerre est devenue une science entre les mains des condottieri italiens, les Alberic, les Sforza, les Malatesta de la Romagne, les Braccio, les Baglioni, les Piccinino de l'Ombrie. L'Italie fournit le Levant d'ingénieurs. Les fondateurs de l'architecture militaire sont des Italiens. Le premier capitaine de l'antiquité, César, appartient à l'Ita

lie; le premier des temps modernes, fut un homme de race italienne adopté par la France. Quand nous ignorerions l'origine de Napoléon, le caractère à la fois poétique et pratique de son génie, la beauté sévère de son profil, ne feraient-ils pas reconnaître le compatriote de Machiavel et de Dante?

est temps d'en finir avec ces ridicules déclamations sur la mollesse du caractère italien. Voulez-vous juger la valeur italienne par la populace de Naples? Jugez donc la France par les canuts de Lyon. Laissons les gentlemen anglais et les poètes allemands aller chercher à la table des Italiens de Rome et de Milan, des inspirations de mépris sublime et de colère généreuse. N'ont-ils pas aussi insulté la Grèce au tombeau, la veille de sa résurrection? Hommes légers et cruels, qui confondez sous le même opprobre les lazzaroni et les romagnols, les héros et les lâches, avez-vous donc oublié l'armée italienne de Bonaparte, et tant de faits d'armes des Piémontais? Et naguère encore, ceux que vous accusiez de ne pas sa

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