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ouvre à tous, dans la société, dans la religion, l'égalité de l'amour et du sein paternel.

Comment s'est accompli dans l'Europe le travail de l'affranchissement du genre humain? Dans quelle proportion y ont contribué chacune de ces personnes politiques qu'on appelle des états, la France et l'Italie, l'Angleterre et l'Allemagne ?

Le monde, depuis les Grecs et les Romains, a perdu cette unité visible qui donne un caractère si simple et si dramatique à l'histoire de l'antiquité. L'Europe moderne est un organisme très complexe, dont l'unité, dont l'ame et la vie, n'est pas dans telle ou telle partie

prépondérante, mais dans leur rapport et leur agencement mutuel, dans leur profond engrènement, dans leur intime harmonie. Nous ne pouvons dire ce qu'a fait la France, ce qu'elle est et sera,.sans interroger sur ces questions l'ensemble du monde européen. Elle ne s'explique que par ce qui l'entoure. Sa personnalité est saisissable pour celui-là seul qui connaît les autres états qui la caractérisent par leur opposition.

Le monde de la civilisation est gardé à ses deux portes, vers l'Afrique et l'Asie, par les Espagnols et les Slaves, voués à une éternelle croisade, chrétiens barbares opposés à la barbarie musulmáne. Ce monde a pour ses deux pôles, au sud et au nord, l'Italie et la Scandinavie. Sur ces points extrêmes pèse lourdement la fatalité de race et de climat.

Au centre s'étend l'indécise Allemagne. Comme l'Oder, comme le Wahal, ces fleuves vagues qui la limitent si mal à l'orient et à l'occident, l'Allemagne aussi a cent fois changé

ses rivages, et vers la Pologne et vers la France. Qu'on suive, si l'on peut, dans la Prusse et la Silésie, dans la Suisse, la Lorraine et les PaysBas, les capricieuses sinuosités que décrit la langue germanique. Quant au peuple, nous le retrouvons partout. L'Allemagne a donné ses Suèves à la Suisse et à la Suède, à l'Espagne ses Goths, ses Lombards à la Lombardie, ses Anglo-Saxons à l'Angleterre, ses Francs à la France. Elle a nommé et renouvelé toutes les populations de l'Europe. Langue et peuple, l'élément fécond a partout coulé, pénétré.

Aujourd'hui même que le temps des grandes migrations est passé, l'Allemand sort volontiers de son pays; il y reçoit volontiers l'étranger. C'est le plus hospitalier des hommes. Entrez sous ce toit pointu, dans cette laide maison de bois bariolée; asseyez-vous hardiment près du feu, ne craignez rien, vous obligez votre hôte, Telle est la partialité des Allemands pour l'étranger. L'Autrichien, le Souabe, si maltraités par nos soldats, pleuraient souvent au départ du Français. Dans telle cabane enfumée, vous

trouverez tous les journaux de la France. L'Allemand sympathise avec le monde; il aime', il adopte les modes, les idées des autres peuples, sauf à en médire.

Le caractère de cette race, qui devait se mêler à tant d'autres, c'est la facile abnégation de soi. Le vassal se donne au seigneur; l'étudiant, l'artisan, à leurs corporations. Dans ces associations, le but intéressé est en seconde ligne; l'essentiel, ce sont les réunions amicales, les services mutuels, et ces rites, ces symboles, ces initiations qui constituent pour les associés une religion de leur choix. La table commune est un autel où l'Allemand immole l'égoïsme; l'homme y livre son coeur à l'homme, sa dignité et sa raison à la sensualité. Risibles et touchans mystères de la vieille Allemagne baptême de la bière, symbolisme sacré-des forgerons et des maçons, graves initiations des tonneliers, des charpentiers; il reste bien peu de tout cela, mais, dans ce qui subsiste, on retrouve cet esprit sympathique et désintéressé.

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Rien d'étonnant si c'est en Allemagne que nous voyons pour la première fois l'homme se faire l'homme d'un autre, mettre ses mains dans les siennes et jurer de mourir pour lui. Ce dévoûment sans intérêt, sans condition, dont se rient les peuples du Midi, a pourtant fait la grandeur de la race germanique. C'est par-là que les vieilles bandes des conquérans de l'Empire, groupées chacune autour d'un chef, ont fondé les monarchies modernes. Ils lui donnaient leur vie, à ce chef de leur choix; ils lui donnaient leur gloire même. Dans les vieux chants germaniques tous les exploits de la nation sont rapportés à quelques héros. Le chef concentre en soi l'honneur du peuple, dont il devient le type colossal. La force, la beauté, la grandeur, tous les nobles faits d'armes s'aecumulent en Siegfrid, en Dietrich, en Frédéric Barberousse, en Rodolphe de Hapsbourg. Leurs fidèles compagnons ne se sont rien réservé.

Au-dessus du seigneur, au-dessus des comtes et des ducs, et des électeurs, et de l'Empe

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