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furieux de pillage et de guerre, avides de blessures et de mort, comme les autres de fêtes et de banquets, impatiens d'aller boire la bierre au Wahalla, dans le crâne de leurs ennemis. Ceux-là marchaient presque nus au combat, se jetaient dans une barque pour tourner l'Océan, du Bosphore à la Batayie. Sous leur domination farouche et impitoyable, l'esclavage domestique ne laissa pas de disparaître; le servage lui succéda; le servage fut déjà une délivrance pour l'humanité opprimée.

Ces barbares apportaient une nature vierge à l'Église. Elle eut prise sur eux. Les Goths et Bourguignons, qui ne voyaient qu'un homme en Jésus, n'avaient reçu du christianisme ni sa poésie, ni sa forte unité. Le Franc adopta l'hommeDieu, adopta Rome purifiée, et se fit appeler César. Le chaos tourbillonnant de la barbarie, qui, dès Attila, dès Théodoric, voulait se fixer et s'unir, trouva son centre en Charlemagne.

été légèrement modifiées par l'auteur dans d'autres ouvrages. Il a cru aussi devoir expliquer la théorie de la p. 40 sur Satan.

core,

Cette unité, matérielle et mensongère endura une vie d'homme, et, tombant en poudre, laissa sur l'Europe l'aristocratie épiscopale, l'aristocratie féodale, couronnées du pape et de l'empereur. Merveilleux système dans lequel s'organisèrent et se posèrent en face l'un de l'autre l'empire, de Dieu et l'empire de l'homme. La force matérielle, la chair, l'hérédité, dans l'organisation féodale; dans l'Église, la parole, l'esprit, l'élection. La force partout, l'esprit au centre, l'esprit dominant la force. Les hommes de fer courbèrent devant le glaive invisible la roideur de leurs armures; le fils du serf put mettre le pied sur la tête de Frédéric Barberousse. Et non-seulement l'esprit domina la force, mais il l'entraîna. Ce monde de la force, subjugué par l'esprit, s'exprima par les croisades, guerre de l'Europe contre l'Asie, guerre de la liberté sainte contre la nature sensuelle et impie. Toutefois, il lui fallut pour but immédiat, un symbole matériel de cette opposition; ce fut la délivrance du tombeau de Jésus-Christ. Tous, hommes et

femmes, jeunes et vieux, partirent sans armes, sans vivres, sans vaisseaux, bien sûrs que Dieu les nourrirait, les défendrait, les transporterait au-delà des mers. Et les petits enfans aussi, dit un contemporain, suivaient dans des charriots, et à chaque ville dont ils apercevaient de loin les murs, ils demandaient dans leur simplicité : N'est-ce pas là Jérusalem?

Ainsi s'accomplit en mille ans ce long miracle du moyen-âge, cette merveilleuse légende dont la trace s'efface chaque jour de la terre, et dont on douterait dans quelques siècles, si elle ne s'était fixée et comme cristallisée pour tous les âges dans les flèches, et les aiguilles, et les roses, et les arceaux sans nombre des cathédrales de Cologne et de Strasbourg, dans les cinq mille statues de marbre qui couronnent celle de Milan. En contemplant cette muette armée d'apôtres et de prophètes, de saints et de docteurs échelonnés de la terre au ciel, qui ne reconnaîtra la cité de Dieu, élevant jusqu'à lui la pensée de l'homme?... Chacune

de ces aiguilles qui voudraient s'élancer, est une prière, un vou impuissant arrêté dans son vol par la tyrannie de la matière. La flèche qui jaillit au ciel d'un si prodigieux élan, proteste auprès du Très-haut que la volonté du moins n'a pas manqué. Autour rugit le monde fatal du paganisme, grimaçant en mille figures équivoques de bêtes hideuses, tandis qu'au pied les guerriers barbares restent pétrifiés dans l'attitude où les a surpris l'enchantement de la parole chrétienne; l'éternité ne leur suffira pas pour en revenir.

Le charme s'est pourtant rompu pour le genre humain. Le dernier mot du christianisme dans l'art, la cathédrale de Cologne est restée inachevée. Ces nefs immenses se sont trouvées trop étroites pour l'envahissement de la foule. Du peuple s'est levé d'abord un homme noir, un légiste, contre l'aube du prêtre, et il a opposé le droit au droit. Le marchand est sorti de son obscure boutique pour sonner la cloche des communes et barrer au chevalier sa rue tortueuse. Cet homme enfin (était-ce un

homme?), qui vivait sur la glèbe à quatre pattes, s'est redressé avec un rire terrible, et, sous leurs vaines armures, a frappé d'un boulet niveleur le noble seigneur et son magnifique coursier.

La liberté a vaincu, la justice a vaincu. Le monde de la fatalité s'est écroulé. Le pouvoir spirituel lui-même avait abjuré son titre en invoquant le secours de la force matérielle. Le triomphe progressif du moi, le vieil œuvre de l'affranchissement de l'homme, commencé avec la profanation de l'arbre de la science, s'est continué. Le principe héroïque du monde, la liberté, long-temps maudite et confondue avec la fatalité sous le nom de Satan, a paru sous son vrai nom. L'homme a rompu peu à peu avec le monde naturel de l'Asie, et s'est fait, par l'industrie, par l'examen, un monde qui relève de la liberté. Il s'est éloigné du dieunature de la fatalité, divinité exclusive et marâtre qui choisissait entre ses enfans, pour arriver au dieu pur, au dieu de l'ame, qui ne distingue point l'homme de l'homme, et leur

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