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Grèce et l'Orient, que Rome avait cru asservir, l'avaient elle-même envahie et soumise. Dès les guerres de Philippe et d'Antiochus, les dieux élégans d'Athènes s'étaient, sous les noms des vieilles divinités latines, insinués dans les temples de Rome, et avaient occupé les autels des dieux vainqueurs. Le Romain barbare se mit à étudier la Grèce. Il en adopta la langue, en imita la littérature, relut le Phédon à Utique, mourut à Philippes en citant Euripide, ou s'écria en grec sous le poignard de Brutus. L'expression littéraire de cette Rome hellénisée est le siècle d'Auguste; son fruit fut Marc-Aurèle, l'idéal de la morale antique.

Derrière la Grèce, s'avançait à cette conquête intellectuelle de Rome, le monde oriental qui s'était fondu avec la Grèce dans Alexandrie. La translation de l'empire dans l'Orient, qui réussit à Constantin, avait été, de bonne heure, tentée par Antoine. Il voulut faire d'une ville orientale la capitale du monde. Cléopâtre jurait : Par les lois que je dicterai dans le Capi

tole. Il fallut, pour que l'Orient accomplît cette parole, qu'il eût auparavant conquis l'Occident par la puissance des idées. Alexandrie fut du moins le centre de ce monde ennemi de Rome, le foyer où fermentèrent toutes les croyances, toutes les philosophies de l'Asie et de l'Europe, la Rome du monde intellectuel.

Ces croyances, ces religions n'entrèrent pas sans peine dans Rome. Elle avait repoussé avec horreur dans les bacchanales la première apparition du culte orgiastique de la nature. Et voilà qu'un moment après, les prêtres fardés de Cybèle amènent le lion de la bonne déesse, étonnant le peuple de leurs danses frénétiques, de leurs grossiers prestiges, se tailladant les bras et les jambes, et se faisant un jeu de leurs "blessures. Leur dieu, c'est l'équivoque Athis, dont ils fêtent par des rires et des pleurs la mort et la résurrection. Puis arrive le sombre Sérapis, autre dieu de la vie et de la mort. Et ⚫ cependant sous le Capitole, sous le trône même de Jupiter, le sanguinaire Mithra creuse sa chapelle souterraine, et régénère l'homme

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avide d'expiation, dans le bain immonde du hideux taurobole. Enfin une secte sortie des Juifs, et rejetée d'eux, célèbre aussi la mort et la vie; son Dieu est mort du supplice des esclaves; Tacite ne sait que dire de l'association nouvelle. Il ne connaît les chrétiens que pour avoir illuminé de leurs corps en flamme les fêtes et les jardins de Néron.

La différence était cependant profonde entre le christianisme et les autres religions orientales de la vie et de la mort. Celles-ci plongeaient l'homme dans la matière, elles prenaient pour symbole le signe obscène de la vie et de la génération. Le christianisme embrassa l'esprit, embrassa la mort. Il en adopta le signe funèbre. La vie, la nature, la matière, la fatalité, furent immolées par lui. Le corps et la chair, divinisés jusque-là, furent marqués dans leurs temples même du signe de la consomption qui les travaille. On aperçut avec horreur le ver qui les rongeait sur l'autel. La liberté, affamée de douleur, courut à l'amphithéâtre, et savoura son supplice,

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J'ai baisé de bon cœur la croix de bois qui s'élève au milieu du Colysée, vaincu par elle. De quelles étreintes la jeune foi chrétienne dut-elle la serrer, lorsqu'elle apparut dans cette enceinte entre les lions et les léopards! Aujourd'hui encore, quel que soit l'avenir, cette croix chaque jour plus solitaire, n'estelle pas pourtant l'unique asile de l'ame religieuse? L'autel a perdu ses honneurs, l'huma→ nité s'en éloigne peu à peu; mais, je vous en prie, oh! dites-le moi, si vous le savez, s'estil élevé un autre autel?

Dans l'arène du Colysée se rencontrèrent le chrétien et le barbare, représentans de la liberté pour l'Orient et pour l'Occident. Nous sommes nés de leur union, et nous, et tout l'avenir.

« Je vois devant moi le gladiateur étendu. » Sa tête sur sa main s'affaisse par degrés. Les » dernières gouttes de son sang s'échappent » lentement... Déjà l'arène tourne autour de » lui... il entend encore les barbares accla

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>>mations... Il a entendu, mais ses yeux, son » cœur, étaient bien loin. Il voyait sa hutte » sauvage près du Danube, et ses enfans qui » se jouaient, et leur mère... Lui égorgé pour » le passe-temps de Rome!... Il faut qu'il >> meure, et sans vengeance!.... Levez-vous, >> hommes du Nord!... » S'écroulent l'Empire, et le cirque, et cette ville enivrée de sang

!

Alaric assurait qu'une impulsion fatale l'entraînait contre Rome. Il la saccagea et mourut. Le premier ban des barbares, Goths, Bourguignons, Hérules, révérèrent la majesté mystérieuse de la ville qu'on ne violait pas impunément. Celui même qui se vantait que l'herbe ne poussait jamais où avait passé son cheval, tourna bride, et sortit de l'Italie. Les premiers barbares furent intimidés ou séduits par cité qu'ils venaient détruire. Ils composèrent avec le génie romain, et maintinrent l'esclavage. A eux n'appartenait pas la restauration du monde.

la

Ensuite vinrent les Francs1, enfans d'Odin,

1 Les idées qui suivent sur le caractère des Francs, ont

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