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comme dans l'antique Babylone, on bâtit en brique; les maisons sont de légers kiosques, des pavillons élégans, espèces de tentes dressées pour passage; on n'habite point celle de son père; chacun s'en bâtit une, qui meurt avec le propriétaire. Ils ne gardent pas même d'alimens pour le lendemain; ce qui reste lé soir, on le donne aux pauvres. Ainsi, à son premier élan, l'activité humaine retombe découragée et expire dans l'indifférence. L'homme cherche l'oubli de soi dans l'ivresse. Ici, l'enivrement n'est point, comme dans l'Inde, celui de la nature; l'ivresse est volontaire. Le Persan trouve dans le froid opium les rêves d'une vie fantastique, et, à la longue, le repos de la mort.

La liberté humaine, qui ne meurt pas, poursuit son affranchissement de l'Égypte à la Judée, comme de l'Inde à la Perse. L'Égypte est le don du Nil; c'est le fleuve qui a apporté de l'Éthiopie, non-seulement les hommes et la civilisation, mais la terre elle-même. Le grand

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Albuquerque conçut, au seizième siècle, le projet d'anéantir l'Égypte. Il suffisait pour cela de détourner le Nil dans la mer Rouge; le sable du désert eût bientôt enseveli la contrée. Tous les étés, le fleuve, descendant des monts inconnus, vient donner la subsistance annuelle. L'homme qui assistait à cette merveille précaire, à laquelle tenait sa vie même, était d'avance vaincu par la nature. La génération, la fécondité, la toute-puissante Isis domina sa pensée, et le retint courbé sur son sillon. Ce-) pendant, la liberté trouva déjà moyen de se faire jour; l'Égypte, comme l'Inde, la rattacha au dogme de l'immortalité de l'ame.. La personnalité humaine, repoussée de ce monde, s'empara de l'autre. Quelquefois, dans cette vie même, elle se souleva contre la tyrannie des dieux. Les deux frères Chéops et Chéphrem, qui défendirent les sacrifices, et furent maudits des prêtres, passent pour les fondateurs des Pyramides, ces tombeaux qui devaient éclipser tous les temples. Ainsi, le plus grand monument de ce monde fatal

de l'Égypte est la protestation de l'humanité.

Mais la liberté humaine ne s'est point reposée avant d'avoir atteint dans sa fuite les montagnes de la Judée. Elle a sacrifié les viandes et les oignons de l'Égypte, et quitté sa riche vallée pour les roches du Cédron et les sables de la mer Morte. Elle a maudit le veau d'or égyptien, comme la Perse avait brisé les idoles de l'Inde. Un seul dieu, un seul temple. Les juges, puis les rois, dominent le sacerdoce. Héli et Samuel veulent faire régner le prêtre, et n'y parviennent pas. Les chefs du peuple sont les forts qui l'affranchissent de l'étranger; un Gédéon et ses trois cents; un Aod, qui combat des deux mains; un Samson, qui enlève sur ses épaules les portes des villes ennemies; un David, qui n'hésite point à manger les pains de proposition. Et à côté du génie héroïque, le sacerdoce voit la liberté humaine lui susciter un plus formidable ennemi dans l'ordre même des choses religieuses. Les voyans, les prophètes s'élèvent du peuple, et

communiquent avec Dieu sans passer par le temple. La nature, chez les Perses, prolongeait, non sans combat, son règne dans la religion; elle est détrônée chez les juifs. La lumière ellemême devient ténèbres à l'avénement de l'esprit; la dualité cède à l'unité. Pour ce petit monde de l'unité et de l'esprit, un point suffit dans l'espace, entre les montagnes et les déserts. Il n'est placé dans l'Orient que pour le maudire. Il entend avec une égale horreur retentir par-dessus l'âpre Liban les chants voluptueux d'Astarté, et les rugissemens de Moloch. Qu'au Midi vienne la horde errante de l'Arabe, sans demeure et sans loi, Israël reconnaît Ismaël pour son frère, mais ne lui tend pas la main. Périsse l'étranger; la ville sainte ne s'ouvrira pas. Il lui suffit de garder dans son tabernacle ce dépôt sans prix de l'unité, que le monde reviendra lui demander à genoux, quand il aura commencé son œuvre dans l'Occident par la Grèce et par Rome.

Si, dans l'histoire naturelle, les animaux

d'ordre supérieur, l'homme, le quadrupède, sont les mieux articulés, les plus capables des mouvemens divers que leur activité leur imprime; si, parmi les langues, celles-là l'emportent qui répondent par la variété de leurs inflexions, par la richesse de leurs tours, par la souplesse de leurs formes, aux besoins infinis de l'intelligence, ne jugerons-nous pas aussi qu'en géographie, certaines contrées ont été dessinées sur un plan plus heureux, mieux découpées en golfes et ports, mieux limitées de mers et de montagnes, mieux percées de vallées et de fleuves, mieux articulées, si je l'ose dire, c'est-à-dire plus capables d'accomplir tout ce qu'en voudra tirer la liberté. Notre petite Europe, si vous la comparez à l'informe et massive Asie, combien n'annonce-t-elle pas à l'œil plus d'aptitude au mouvement? Dans les traits même qui leur sont communs, l'Europe a l'avantage. Toutes deux ont trois péninsules au midi, l'épais carré de l'Espagne et de l'Arabie, la longue arête de l'Italie et de l'Indostan, avec leur grand fleuve au nord, et leur île au

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