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les Athéniens pour protéger les statues contre la pluie et la fiente des oiseaux. Les plaques de cuivre qui couvraient les chaussures, et dont il reste des fragments, préservaient ces parties des dégradations qu'aurait occasionnées le passage de la foule. Pausanias mentionne un portrait de Ménandre, placé dans le théâtre d'Athènes, parmi beaucoup d'auteurs dramatiques. Les deux images que nous possédons étaient probablement du nombre. La construction de l'édifice qu'elles embellissaient n'ayant commencé que cent cinquante ans après Pausanias, ces marbres avaient sans doute quitté la Grèce pour venir décorer le nouveau palais.

Mais les archéologues ne se trompent pas seuls; des villes entières ont commis aussi bien qu'eux des erteurs iconographiques. Les Mantouans, par exemple, se plaisent à reconnaître le portrait de Virgile, leur immortel compatriote, dans un hermès antique qui ne fut certainement pas sculpté à son intention. Les formes tiennent trop de l'idéal; c'est un de ces termes qu'on plaçait au coin des rues ou des carrefours, et qui représentaient les Lares viales, les Lares ou bons génies des grands chemins.

La seule image authentique de Virgile que l'on connaisse nous vient d'un enlumineur de manuscrits. Les œuvres du grand poëte, incessamment transcrites, offraient, à l'époque de Martial, son effigie, en tête de la première colonne. Une de ces copies, sur vélin, nous l'a conservée. Elle appartint d'abord à l'abbaye de SaintDenis, et passa par la suite dans la bibliothèque du Vatican. On en rapporte l'exécution au quatrième siècle de l'ère chrétienne. Le portrait orne le haut de plusieurs pages et se répète exactement. Virgile y paraît encore jeune; il se présente de face, assis sur un large siége sans dossier, garni d'un coussin. Son habillement ressemble beaucoup au costume grec, et consiste en une tunique par dessus laquelle tombe un pallium. L'une et l'autre de ces draperies sont blanches; mais de petites bordures, pretextæ, et quelques morceaux de pourpre, tesseræ, décorent le manteau. Il a pour chaussure des sandales ou crepidæ, qui laissent voir les pieds nus. Un pupitre, portant une feuille de papyrus ou de parchemin, s'élève à sa droite. De l'autre côté, on aperçoit une boîte ronde ou scrinium, que l'on peut comparer aux cartons des marchandes de

modes. Une serrure la ferme. C'est dans cette espèce de meuble que l'on déposait les livres en rouleaux. Virgile tient à la main des tablettes. Sa coiffure est bien celle de son siècle. Rien de frappant ne distingue sa physionomie. Selon les grammairiens qui nous ont transmis des détails sur ses traits, ils n'auraient jamais attiré les regards, si son génie ne leur eût prêté un intérêt indépendant de leur configuration. Tel, en effet, que la miniature le met sous nos yeux, peu de dames seraient flattées de faire sa conquête. Ses petits yeux fortement en saillie laissent entre eux un si grand intervalle, qu'ils peuvent sans peine regarder en même temps, l'un au sud, l'autre au nord. Ses cheveux raides et parallèlement rangés descendent comme du chaume jusqu'auprès de ses sourcils, véritables gouttières. Sa tête elle-même a la forme triangulaire d'un van; le front imite la partie la plus large, le menton la plus étroite. Une expression moutonnière règne dans l'ensemble de son visage; on dirait qu'un bêlement va sortir de la bouche. Enfin l'habitude générale du corps rappelle quelque peu la grâce d'une borne milliaire.

Quoique cette peinture n'ait été faite que longtemps après la mort du poëte, bien des motifs engagent à la croire authentique. Un écrivain célèbre dut fixer pendant sa vie l'attention des artistes et fournir un but à leur talent. De nombreux ouvrages conservaient donc probablement encore, au quatrième siècle, le souvenir de ses traits. La miniature présente d'ailleurs des indices concluants. Ainsi le scrinium n'aurait été d'aucun usage au temps du manuscrit, puisque, à cette époque, les livres formaient des volumes carrés et non plus des rouleaux. Le costume, inusité dans le siècle de Constantin, prouve aussi que l'original reproduit par notre copie ne datait pas de ce siècle. Comme Virgile habitait ordinairement les villes grecques de l'Italie, il semble naturel qu'on l'ait revêtu de l'habillement qu'il y portait.

Quant aux prétendues images de Virgile, dont on illustre ses éditions et dont on grossit les recueils d'antiquités, on les a depuis longtemps signalées comme apocryphes. Leur chevelure est une faute contre le costume romain. Ces têtes appartiennent à des personnages mythologiques, et presque toutes à

une des muses que désigne spécialement l'attribut du masque

scénique.

Ainsi, malgré ses luttes et ses besoins, au milieu de ses joies, de ses tristesses, de ses passions et de ses misères, l'humanité trouve moyen de se livrer aux recherches les plus minutieuses, aux travaux les plus délicats, aux plus difficiles analyses comme aux plus longues investigations, aux entreprises les plus patientes et les plus nobles. Si quelquefois elle s'égare, si elle tombe dans la subtilité, si elle se préoccupe de choses vaines, le temps redresse ses erreurs, dissipe ses illusions, jette impitoyablement au rebut les fausses idées, les faux systèmes, les gloires menteuses, les ouvrages inutiles, mal conçus ou mal exécutés. Nulle cause mauvaise ne triomphe devant ce juge clairvoyant et inflexible. Après bien des agitations, des doutes et des épreuves, quand le brouillard se dissipe, on voit apparaître en plein soleil, brillante et majestueuse, rehaussée par la tempête qui fuit à l'horizon, la statue de la Vérité.

ALFRED MICHIELS.

NOTE SUR LE COLORIS

Si, dans les œuvres de la peinture, la science du dessin, l'idéal de la forme, les conceptions les plus touchantes ou les plus hardies de la pensée, excitent à bon droit notre admiration, le colorjs aussi, par un charme irrésistible, nous attire vers les œuvres des peintres favorisés, par la Nature, de ce don précieux.

Par le prestige du coloris, de vastes horizons se déroulent au loin, la lumière resplendit sur l'étendue, l'harmonie des couleurs charme le regard, la planimétrie du tableau fait place à des reliefs, à des profondeurs; l'air circule, environne les objets; la chaleur et la vie animent toutes choses, les figures respirent..., elles semblent se mouvoir!

Le spectateur émerveillé, cédant au charme de l'illusion, est tenté de croire à la réalité de la Nature, en admirant ces créations de l'Art.

Dire de quelle source secrète jaillit l'inspiration du coloriste; comment il est initié à la perception de la riche, de la puissante coloration dont la Nature aime à se parer; par quelle faculté innée, enfin, de sa brillante palette, de ses fiers pinceaux, s'épandent à l'envi et sans aucun effort ces magiques apparences d'un effet saisissant, d'un charme qui transporte... on essayerait vainement de l'expliquer.

C'est à une impulsion intérieure que le coloriste obéit; il est en quelque sorte l'instrument prédestiné de cette force inconnue qui le guide et l'anime.

C'est par l'émotion de son âme à l'aspect des beautés de la Nature, par l'admiration passionnée qu'il en ressent et le vif souvenir

qu'il en conserve, que le coloriste, surmontant les difficultés matérielles qui semblaient devoir enchaîner son audace, fait apparaître la lumière, illumine d'un vif éclat les couleurs les plus variées, et, de l'accord des tons, crée un harmonieux coloris qui saisit et charme la vue. En un mot, la faculté du coloris est toute de sentiment, et, par cela même, repousse les froides investigations du raisonnement.

Analyse-t-on l'amour? Définit-on la vie?

Toutefois, dans tous les arts, c'est après l'apparition des œuvres du génie, que l'observation, constatant des beautés admirées, s'efforce d'en établir les règles...

Des règles!... Quant au coloris, on peut avancer qu'il échappe à toute tentative d'en fixer les lois.

Voyez cette harmonie blonde et chaude, ce coloris tendrement brillant du peintre de la grâce, de l'inimitable Corrége... Rien de plus charmant, direz-vous: mais aussitôt votre émotion change de caractère les toiles du Titien, de Georgion, captivent, étonnent, transportent par la fierté, par la chaleur brûlante de leur couleur...

Rubens, Paul Véronèse, éblouissent par l'éclat dont ils ont le secret; l'air, la lumière et de prodigieuses couleurs y sont si généreusement prodigués !

Cependant, parmi ces divers coloristes, voici venir Rembrandt. Lui, tout au contraire de ses brillants émules, semble redouter le grand jour; l'éclat du soleil l'importune; ce qu'il préfère, ce sont de furtifs rayons de lumière cédant avec un humble empressement aux masses obscures, transparentes et profondes, à ces ombres que l'on pourrait nommer lumineuses, tant le regard pénètre dans ces mystérieuses dégradations de tons nuancés, variés à l'infini, et pourtant admirables d'harmonie et d'unité.

Cette magie prodigieuse des effets nous inspire l'idée d'invoquer par la pensée Apelles, ce prince des peintres de l'antiquité. Nous présumons que d'abord, charmé du coloris de Corrége, dans lequel peut-être il reconnaîtrait le sien, l'artiste grec, étonné de la puissance de couleur, conquête des Titien, des Georgion, ébloui de l'éclatante somptuosité de Rubens, mais frappé de l'étrangeté du

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