Page images
PDF
EPUB

done seule aux jardins de l'Académie. Là rien d'improvisé, de soudain, rien de ce que nous appelons du naturel, ni gaîté, ni entraînement. La piquante raillerie du chevalier de Grammont, la fougue de Diderot, la pétulance caustique et moqueuse de Voltaire auraient été autant d'actes de folie. Pourtant, Voltaire et Diderot étaient aussi beaux pour leur siècle, qu'Alcibiade ou le favori d'Hadrien l'étaient pour leur époque.

Bien entendu que nous ne parlons ni de Sophocle, ni d'Euripide, parce que ces gens-là n'étaient pas types, n'étaient pas beaux de cette beauté, qui, pour son utilité, n'a pas d'analogue de nos jours; parce que, à Sparte, un guerrier vigoureux valait dix poëtes, et cela était juste: dans un pays où chaque citoyen est soldat, et défend corps à corps sa patrie, c'est-à-dire sa hutte, sa femme et son enfant, les plus forts sont les meilleurs, les plus utiles, partant sont les plus beaux.

Ainsi, nous pouvons conclure de ceci, que les sujets pourvus des signes extérieurs du tempérament athlétique seront plus particulièrement dévolus à la sculpture, qui en tirera un bien plus grand parti que la peinture, parce que, nous le répétons, il faut avant tout à la sculpture des formes saillantes et prononcées, des habitudes, des passions, des hommes qui se traduisent par des muscles; parce que l'intime, le sensum, l'âme, lui échapperont toujours.

EUGÈNE SUE.

LE

PORTRAIT DANS L'ANTIQUITÉ

Nous traversons une époque décisive pour l'archéologie. Forcée d'abord de se frayer un chemin parmi des landes arides, qu'ombrageaient à peine d'espace en espace, et comme de rares nopals, quelques notions incertaines, éparses, contradictoires, elle avançait lentement et semblait perdue au sein de ses propres recherches. Or, si la faveur publique récompense d'ordinaire les travaux accomplis, elle s'inquiète peu des entreprises inachevées; on n'attire ses insouciants regards qu'en passant devant elle avec la pompe d'un triomphateur. Aussi l'archéologie commença-t-elle par marcher humblement et la tête basse dans sa route isolée. Mais, quelle que fût son attitude, elle marchait, c'est-à-dire que tôt ou tard elle devait arriver. Dès la fin du dix-huitième siècle, deux antiquaires firent sensation; la foule admira Winckelmam et Barthélemy, l'un à cause de la patiente imagination qui vivifiait son savoir, l'autre à cause de l'aptitude philosophique qui lui permettait de généraliser et d'étendre sa vue sur les masses, quand ses confrères erraient encore au milieu des détails.

On comprit alors quel intérêt ces fouilles du passé jettent sur les abstraites narrations de l'histoire; en creusant le sol antique, elles tirent de ses entrailles mille faits intéressants, mille circonstances locales, avec le secours desquels le savant rebâtit les sociétés écroulées et nous transporte sous le toit des grands hommes, dont nous nous contentions d'admirer la pâle et lointaine image.

De nouveaux horizons se dévoilaient; un mouvement extraordinaire se manifesta dans la science. Il semblait que les érudits

venaient de manger l'agneau pascal : tous, le bâton à la main, partaient pour la terre sainte de l'archéologie. Pèlerins pleins de ferveur, ils inventorièrent, soit en personne, soit en parcourant les livres, ce que la Grèce, l'Asie Mineure, la Perse, l'Indoustan et l'Égypte renferment de trésors. Quoique le catalogue présente encore beaucoup de lacunes, elles diminuent chaque jour, et la France ne contribue pas moins que les autres nations à les faire disparaître. MM. Champollion, Letronne, Langlès, Beulé, PetitRadel, Texier, Désobry, Raoul-Rochette ont déjà comblé mainte ravine et fait sauter maint rocher, qui nous barraient le passage. A cet idolâtrique amour de l'antiquité s'est jointe une pieuse passion pour les temps intermédiaires. Des hommes que fatiguait la poésie empruntée du grand siècle et de son successeur, promenèrent leur pensée dans l'ombre humide des cloîtres, sur les tours solitaires des châteaux abandonnés. Un charme tout-puissant les entraînait vers les abbayes en ruine; leur imagination prêtait une âme aux ifs taciturnes des cimetières, une voix à l'asphodèle mélancoliquement bercé par les vents d'automne. Goethe, Chateaubriand et Walter Scott, ainsi qu'une trinité glorieuse, tirèrent le moyen âge du chaos où l'avaient plongé l'ignorance et l'aveuglement universels.

Au signal qu'ils donnèrent, on s'élança à la suite des Bénédictins. Montfaucon, Millin, Lobineau, Ducange, Félibien eurent pour héritiers, en France, MM. Nodier, Delaborde, Villemin, Gilbert, de Caumont; en Allemagne, Moller, Stieglitz, Boisserée, Fiorillo; en Angleterre, Hawkins, Britton, Rickmann, Hall, Haggit et Milner. A l'heure qu'il est, des chœurs d'archéologues chantent partout le génie mystique et guerrier de nos pères. Enfin, M. Michelet, le plus poétique de nos historiens, le plus savant de nos poëtes, a, par son exemple, mis ses concurrents dans l'obligation de raconter les formes successives des idées, aussi bien que les événements politiques et les variations du dogme social. Les temps modernes et l'antiquité partagent donc maintenant les affections des archéologues; les uns vénèrent Phidias et Ictinus; les autres adorent Erwin de Steinbach, Gérard et Pierre de Montereau. Ils se tournent, il est vrai, mutuellement en ridicule;

mais la lutte ne sera pas éternelle. Tôt ou tard nous les verrons voguer de compagnie, poussés par les mêmes brises et guidés par un même amour de l'art étudié sous toutes ses faces. C'est à cette condition seulement qu'ils pénétreront le sens des diverses époques, car s'il est possible de les connaître en elles-mêmes, il faut les examiner tour à tour pour les comprendre et les juger. Le développement rapide du musée de Cluny, la foule qui le visite sans relâche, les nombreuses, les importantes acquisitions que l'État vient de faire, dans le but d'augmenter nos collections d'œuvres antiques, montrent la nécessité d'une prochaine transaction. Les richesses du musée Campana seront bientôt exposées à tous les regards; les monuments trouvés, achetés en Thessalie vont également satisfaire la curiosité publique; on attend avec impatience les antiquités provenant de Syrie, et les fouilles que l'on opère sur l'emplacement du palais d'Auguste, au compte de l'Empereur, nous donnent lieu d'espérer quelques statues, quelques bas-reliefs d'une haute importance. Le moment est donc bien choisi pour appeler l'attention sur l'art grec et l'art romain, sans préjudice de l'art qui florissait dans l'époque intermédiaire. Pendant que la conciliation se prépare, nous allons donner l'exemple de la bonne volonté, en utilisant quelques recherches, quelques notes prises aux cours publics et ailleurs, afin de montrer comment les anciens ont compris le portrait, comment ils l'ont exécuté.

I

Quoique monotone quand on l'examine de loin, l'art hellénique possède au fond une grande variété, une extrême souplesse. Tout en gardant son caractère et sa perfection habituelle, il offre les aspects les plus divers et les plus opposés. Assise entre deux solitudes, l'Égypte, dans sa grandeur mystérieuse, devient uniforme comme le désert lui-même. Ses pylones énormes, ses lon

gues allées de sphynx et de béliers accroupis côte à côte, ses nombreux avant-portiques, ses obscurs secos ne font guère que de se répéter l'un l'autre, et leur inféconde multiplicité attriste bientôt le voyageur. Si jamais on déchiffre les énigmes dont ses monuments sont couverts, on recueillera peut-être pour unique fruit de ses peines un petit nombre de formules incessamment reproduites. La religion, dans cette vallée sacerdotale, avait réduit en esclavage la statuaire et l'architecture. Défense aux artistes de modifier le type hiératique, de laisser trace de conceptions individuelles sur les symboliques images des dieux nationaux. L'Étrurie, pays de mélange, qui jette confusément au pressoir les fruits de la vigne grecque et les raisins de ses propres ceps, embarrasse le jugement par la nature hybride de sa civilisation. Quand la liqueur a fermenté, l'on reconnaît difficilement le vin étranger du vin indigène. Pourtant, on ne voit ses arts approcher de leur perfection que sous l'influence de la pensée hellénique et proportionnellement à cette influence. Ils soutiendraient donc mal la comparaison avec ceux de la métropole, puisque, s'ils marchent, c'est appuyés sur elle.

Quant à Rome, nous en savons tout ce que nous en saurons jamais. Elle ne peut nous apparaître plus magnifique et plus puissante que dans la Cloaca-Maxima, dans le Colisée, dans la colonne Trajane, dans Tacite et dans Cicéron. Comme le grandiose et la majesté sont ses traits distinctifs, la découverte de quelques centaines de vases et de statues n'ajouterait absolument rien à l'idée colossale que nous nous en formons. La Grèce, au contraire, semble incommensurable, infinie. Il n'est pas une portion de son territoire qui n'enrichisse journellement la science de quelque nouveau débris, et pas un de ces débris qui ne nous révèle des qualités encore inappréciées. Les instruments, les ustensiles les plus communs témoignent de son infatigable amour pour l'art. Partout elle voulait jouir de sa présence, sous le toit domestique aussi bien qu'au milieu des temples. Or, si les moindres productions des ouvriers grecs attestent la scupuleuse attention qu'ils mettaient à les achever, on doit croire qu'ils auraient regardé comme une négligence impardonnable d'exécuter à la hâte le por

« PreviousContinue »