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Boucher, Greuze, Prud'hon, Géricault, Decamps, et divers maîtres de l'école française, sans compter quelques Flamands, quelques Italiens, quelques Espagnols; sans compter aussi beaucoup de contemporains de haute valeur, tels que M. Meissonier et M. Leys d'Anvers.

Pour décrire, même sommairement, la galerie de M. le comte de Morny, il faudrait un petit volume, qui intéresserait surtout l'histoire de la peinture hollandaise et celle de la peinture française. Malheureusement, nous n'avons ici que la place d'une nomenclature incomplète, à laquelle nous ajouterons toutefois, en nous aidant des indications spéciales de M. W. Bürger, certaines appréciations sur les tableaux les plus remarquables de cette splendide collection.

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REMBRANDT. Le portrait d'homme, désigné sous le nom du Doreur, est à mi-corps, de grandeur naturelle, tourné de trois quarts à droite, la main droite glissée, contre la poitrine, sous la casaque brune. Le chapeau à grands bords ombrage une figure expressive; la moustache et la barbiche sont un peu frisées ; une collerette molle retombe sur le pourpoint. La lumière vient de gauche; le fond est d'un ton verdâtre, glacé d'argent; autour de la tête, l'air circule. C'est un prodige de vie et de réalité. Signé : Rembrandt f. 1640; c'est-à-dire deux ans avant la fameuse Ronde de nuit. Ce superbe portrait est catalogué sous le n° 334, dans l'ouvrage de Smith, qui indique à tort la date de 1646. Il était à vendre à Paris, lorsque Smith publia son volume sur Rembrandt (1836), et l'on n'en demandait alors que 15,000 fr.; il vaudrait trois ou quatre fois plus aujourd'hui.

Le second tableau de Rembrandt rappelle un peu Frans Hals ou Theodor de Keyser; c'est un portrait de vieille femme, assise sur une chaise en bois, presque de face, la tête légèrement tournée vers la gauche; cornette blanche, large fraise ronde et tuyautée, manchettes, costume de soie noire ouvragée. Les mains posent sur les bras du siége. Le fond, assez clair autour du torse, devient plus sombre sur les bords. Les mains sont surtout extraordinaires.

Le troisième tableau de Rembrandt, dans lequel des critiques

compétents ont voulu voir un chef-d'œuvre de van den Eeckhout, représente l'Enlèvement d'Europe. Une femme, habillée de rouge et montée sur un taureau blanc, traverse les flots; sur la rive où elle doit aborder, deux femmes l'attendent, et une troisième se tient près d'un char attelé de quatre chevaux blancs et conduit par un esclave noir. Toute la droite est un paysage sombre, avec de grands arbres qui montent jusqu'en haut de la toile; à gauche, au-dessus de l'eau, un fond de lointain, avec des ruines et une percée de ciel. Les personnages ont environ 20 centimètres de hauteur (1). METSU. Outre le grand et admirable tableau de l'Accouchée, importé d'Allemagne par M. Otto Mündler, deux autres tableaux du maître sont encore de belle qualité : la Partie de musique; jeune femme assise, souriante, un gentilhomme débout, un petit page en bleu, qui apporte un plateau; et la Faiseuse de kocks, avec un petit garçon qui achète de ses gâteaux. Le premier tableau est dans la manière fine et exquise de Metsu; le second, dans lä manière large et magistrale.

TERBURG. — Un Intérieur d'appartement avec quatre personnages, et un Portrait de femme, à mi-corps, de grandeur naturelle; de trois quarts à gauche, les mains croisées contre la taille; guimpe blanche, corsage noir Un peu mince d'exécution, mais très-délicat et très-distingué.

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PIETER DE HOOCH. Le Départ du cabaret, un vrai chefd'œuvre, d'assez grande dimension; un Intérieur avec trois figures, etc.

(1) Nous croyons devoir reproduire ici cette note curieuse de M. W. Bürger : « Ge tableau est incontestablement de van den Eeckhout, quoiqu'il soit signé R H (en monogrammc) van Ryn, 1632. Par malheur, il manque deux points sur l'y, ce qui prouve que cette signature a été écrite par une main, française. La femme sur le taureau est un des types familiers de van den Eeckhout, et l'exécution, aussi bien que le style, démontre évidemment que cette peinture est de lui. Un tableau absolument semblable, mais avec des figures demi grandeur naturelle, porte le nom de Salomon Koninck (no 406) dans la galerie Weyer de Cologne. Rembrandt aurait-il fait une composition analogue, que plusieurs de ses élèves auraient imitée? On trouve, en effet, dans Smith, no 188: Jupiter, sous la forme d'un taureau, enlevant la nymphe Europe, comme ayant été vendu 501 livres, à la vente de la comtesse de Verrue, en 1737. Qu'est devenu ce tableau? Serait-ce celui de M. de Morny ou celui de M. Weyer, qui aurait été catalogué à tort, comme Rembrandt, dans la vente de la comtesse de Ve:rue? »

J. HACKAERT. — Un élégant Paysage, avec figures d'Adrien van de Velde.

Enumérons maintenant: un Jan Steen superbe, trois Philips Wouwerman, un Wynants, Everdingen et Jacob Ruisdael, Adrien van Ostade et Cornelis Duyart, Karel du Jardin, Psnacker, Rachel Ruysch, Willem Mieris, etc.

Le Hobbema, de M. Patureau, est trop connu pour qu'on puisse le vanter comme une des peintures les plus lumineuses et les plus réalistes du grand paysagiste.

Nous trouvons ensuite plusieurs Flamands: Teniers, Jan Fyt, Huysmans de Malines; un seul Allemand, Denner, représenté par quatre portraits qui font un effet singulier en face du Doreur de Rembrandt; cinq ou six Italiens, Salvator Rosa, Guardi, etc.

VELAZQUEZ. La petite Infante, fille de Plilippe IV, debout, én pied, touchant de la main droite un chien qui dort sur une chaise; elle porte un costume noir avec quelques bijoux. Dans le haut, grand rideau rougeâtre; le reste des fonds est d'un gris neutre, tirant sur les tons de perle. C'est d'une couleur, d'une touche, d'une pâte, qui n'appartiennent qu'à Velazquez! Cette peinture vient, dit-on, de la vente Laperière (no 65). Il y a encore un autre portrait d'Infante en buste.

Le Murillo, qui accompagne les deux Velazquez, est beau, sans être de la même beauté que ces chefs-d'œuvre.

La série de l'école française commence par un paysage de Claude le Lorrain et finit par cinq tableaux de genre, de M. Meissonier.

WATTEAU. - Le Rendez-vous de Chasse, grande composition très-riche, avec une douzaine de figures, des chevaux, des chiens, du gibier mort, de grands arbres et un ciel digne de Rubens, au milieu d'une clairière de forêt (1). Ce merveilleux tableau vient de la vente du cardinal Fesch, où M. Horsin Déon l'avait acquis à un prix fort élevé, ainsi que son pendant les Amusements cham

(1) Ce tableau a été exposé à la grande Exhibition de peinture française, dans les salles du boulevard des Italiens, et celui de lord Hertford, à l'Exposition de Manchester. L'un et l'autre ont été longuement décrits par M. W. Bürger, dans la Gazette des Beaux-Arts et dans les Trésors d'art.

pêtres, lequel appartient maintenant à lord Hertford. M. le comte de Morny possède encore deux ou trois autres tableaux de Watteau, de moindre importance, dans sa galerie et dans ses appartements.

CHARDIN. La Serinette, un petit bijou; BOUCHER, les Grâces et l'Amour, délicieuse peinture de sa première manière (daté de 1738); FRAGONARD, l'Escarpolette; GREUZE, des portraits de femmes ou de jeunes filles; PRUD'HON, le Zéphire et la Vénus au bain, esquisses, ou plutôt préparations délicieuses qui rappellent les procédés de Corrége et de l'école de Parme; GERICAULT, un portrait de M. de Dreux-Dorcy, qui fut l'ami du peintre, et qui a même travaillé avec lui au tableau du Radeau de la Méduse, etc.

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Puis, les meilleurs peintres contemporains, morts ou vivants: Decamps, Saint-Jean, MM. Robert Fleury, Gudin, Ziem, Mme Browne, et même un Vase, par M. Blaise Desgoffe, dont la peinture s'accorde très-bien avec celle de Mieris ou de Denner.

La galerie de M. le comte de Morny peut donc satisfaire tous les goûts, par une sorte d'éclectisme qui plaît aux gens du monde; mais ce qui lui donne une importance exceptionnelle, ce sont les œuvres consacrées des grands peintres hollandais et espagnols, ainsi que des charmants artistes de l'école française du dix-huitième siècle.

PAUL LACROIX.

CABINET DE M. EUDOXE MARCILLE.

M. Marcille père aimait les arts avec l'enthousiasme du véritable amateur, et ne bornait pas cet amour à une simple admiration: il pratiquait la peinture avec distinction même. Nous avons vu de cet amateur des portraits, des têtes, dans le genre de Greuze, que bien des peintres de quelque renom ne désavoueraient pas.

Les beaux tableaux de toutes les écoles étaient également admirés par lui, mais l'école nationale avait toutes ses sympathies. Il fut un des premiers à secouer la poussière sous laquelle étaient

ensevelis nos jolis maîtres du dix-huitième siècle, et à remettre en honneur leurs œuvres si injustement dépréciées. Amateur éclairé, il recueillit tous les tableaux et dessins qu'il eut le bonheur de rencontrer et souvent il les sauva d'une destruction presque certaine.

Il fit plus : le talent d'un de nos plus grands maîtres était contesté par les peintres, ses émules; lui, au contraire, plein d'admiration pour l'artiste, il rassembla avec avidité tous ceux de ses ouvrages qu'il put se procurer et forma ainsi une collection unique qui contribua puissamment à populariser l'œuvre du plus modeste et du plus malheureux de nos artistes : nous voulons parler de Prud'hon.

On comprend, jusqu'à un certain point, que les écoliers de David aient repoussé avec dédain les ouvrages de Boucher, de Greuze, de Watteau, eux, les peintres savants qui n'admiraient et ne comprenaient que la statuaire grecque et romaine en peinture. Mais qu'ils aient abreuvé de dégoût le seul peintre peut-être qui eût résumé victorieusement leurs principes, il y avait là évidemment autre chose que de l'aveuglement : il y avait la hideuse envie, cherchant à écraser le génie qui devait tôt ou tard les éclipser.

M. Marcille est mort, léguant à ses deux fils, avec son riche héritage, son amour pour les beaux-arts, héritage non moins précieux que le premier. Sa collection fut divisée, sans doute, mais les soins de M. Eudoxe Marcille ne tardèrent point à lui rendre sa première splendeur, car chaque jour on a vu de nouveaux chefs-d'œuvre s'ajouter à ceux qui lui échurent en partage.

C'est donc de la collection de M. Eudoxe Marcille que nous allons parler.

Cette collection renferme une histoire complète du talent de Prud'hon. On y suit pas à pas les progrès de l'artiste. De son enfance, c'est-à-dire avant son départ de Cluny, on y voit une enseigne qu'il fit pour un nommé Charton, chapelier. Elle ne manque pas déjà d'un certain style, surtout dans le médaillon du centre qui représente des ouvriers foulant du feutre. Un Album de croquis, faits à Rome, nous donne une juste idée du goût instinctif qui a dirigé ses études, et de la perfection de ligne à laquelle il a

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