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en rumeur. Tels qu'aux Jeux Olympiques on voit arriver les Athletes au lieu des Exercices avec le plus grand cortege, tels on vit paroître les deux Champions. Ce qu'il y avoit de plus diftingué parmi les Perfes, accompagnoit Denys, & Chereas étoit porté par le Peuple. On n'entendoit que voeux & qu'acclamations de ceux qui favorifoient l'un ou l'autre parti, & qui leur fouhaitoient toute forte de fuccès. Votre Cause eft la meilleure, difoient-ils à l'un: Soyez fûr de la Victoire, crioit-on à l'autre. Ce n'étoit pas une Couronne d'Olivier fauvage ou de Pin, une Pomme qu'ils alloient fe difputer; il s'agiffoit d'un Prix bien plus précieux, d'une Beauté rare, pour

Dieux même auroient pu,

qui les

fans rou

gir, entrer en lice. Le Roi ayant mandé Artaxate, de tous fes Eunuques celui qui étoit le plus en crédit auprès de lui: Les Dieux de mes Peres me font apparus, lui dit-il ; ils exigent de moi des facrifices; la Piété m'ordonne de commencer par ce qui leur est dû: Que pendant trente jours tous les Tribunaux foient fermés, & que pendant ce tems l'Afie entiere ne s'occupe que de Fêtes. L'Eunuque fit publier les ordres du Roi. A l'inftant tout fut plein de gens qui couronnés de fleurs offroient des facrifices. On entendoit de tous côtés des voix harmonieufes fe mêler aux fons mélodieux des flutes & des chalumeaux, l'encens fumoit par-tout, on ne voyoit dans les rues que feftins;

» La vapeur, enveloppée dans la

» fumée, montoit jufqu'au ciel. » Le Roi immola de riches Hécatombes. Ce fut alors qu'il facrifia pour la premiere fois à l'Amour, & qu'il fupplia Vénus de lui rendre fon fils propice.

Tandis que toute la Ville étoit plongée dans les plaifirs, Callirrhoë, Chereas & Denys, bien loin d'y prendre part, ne s'occupoient que de leurs chagrins, & Chereas encore plus que les deux autres. Callirrhoë obfervée de près, n'ofoit s'attrifter publiquement. Elle gémiffoit en fecret, & fefoit des imprécations contre la Fête. Mais Denys en fefoit contre lui-même pour avoir quitté Milet. Infortuné ! fe difoit-il, fupporte cette difgrace; c'est toi qui te l'es attirée, c'est toi qui en es l'artifan. Tu pouvois jouir de Callir

rhoë pendant la vie même de Chereas. Tu étois le Maître à Milet; jamais on n'eut remis de Lettre à Callirrhoë fans ta permiffion. Qui l'eût vue? Qui l'eût approchée ? Tu t'es précipité au milieu de tes ennemis, & plût aux Dieux qu'il n'y eut que toi! Mais tu expofes aux mêmes dangers un tréfor bien autrement précieux que ta vie ; & c'eft ce tréfor qui occafionne la guerre qu'on te fait de tous côtés. Infenfé! que t'en femble? Tu avois Chereas pour ennemi, & maintenant tu trouves un Rival en ton Maître. Le Roi a des fonges, & les Dieux exigent de lui les victimes qu'il immole tous les jours. N'est-ce pas le comble de l'impudence? de différer un Jugement, tandis qu'il tient renfermée dans fon Palais une Femme

qui ne lui appartient pas, & cependant il fe donne pour un Juge integre! Tels étoient les gémiffemens & les, plaintes que fefoit Denys. Chereas, de fon côté, ne prenoit aucune nourriture, il vouloit ceffer de vivre. Son ami Polycharme tâchoit de l'en détourner. Sous l'apparence d'un ami, lui dit-il, tu es le plus cruel de mes ennemis. Tu prolonges mon fupplice, & tu vois d'un œil fatiffait les tourmens que j'endure. Si tu m'étois véritablement attaché, tu n'envierois pas la liberté à un malheureux qu'un méchant Génie prend plaifir à tourmenter. Que d'occafions de bonheur ne m'as-tu pas fait manquer. Enfeveli à Syracufe dans le Monument de Callirrhoë, j'euffe été heureux. Je voulois alors mourir > tu m'en empêchas, & tu me privas

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