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fe donner la mort. Quoi ! lui dit Chereas en riant ne fais

,

tu

donc point la maniere dont il faut s'y prendre auprès des femmes ? Les prieres, les flatteries, les promeffes ont beaucoup de poids fur leur efprit, fur tout fi elles viennent de quelqu'un qui en paroit amoureux. Peut-être lui as - tu fait violence, & l'as - tu infultée ? Non Seigneur, repondit - il, & j'ai fait deux fois autant que ce que vous venez de dire. Car je lui ai dit que vous la prendriez pour femme: mais cela n'a fervi qu'à exciter davantage fa colere. Je suis en vérité, reprit Chereas bien favorifé de l'Amour! fi elle a de la haine & de l'averfion pour moi, avant même que de m'avoir vû. Cette femme montre de la grandeur d'ame & des

fentimens élevés ; que personne ne lui faffe violence, & qu'on la laiffe vivre comme elle le defire. Il eft beau d'honorer la vertu, & peutêtre pleure-t-elle la perte de fon

mari.

LIVRE HUITIEME.

N

OUS avons raconté dans le
Livre précédent, que Che-

reas cherchant à fe

venger

d'Arta

xerxe, qu'il croyoit avoir remis Callirrhoë à Denys, avoit paffé du côté des Egyptiens, & qu'ayant été créé Amiral, il avoit vaincu les Perfes fur mer, & s'étoit emparé après fa victoire de l'Ifle d'Arade, où le Roi avoit mis en dépôt fa femme, Callirrhoë & tous fes efclaves. La Fortune préparoit à Chereas le tour

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le plus étrange & le plus fanglant Il avoit, fans le favoir, Callirrhoë entre les mains, & prêt à faire embarquer les autres femmes fur fes galeres; il alloit laiffer dans cette Ifle la fienne propre, non comme Théfée laiffa Ariadne endormie à Bacchus mais comme une riche dépouille qu'il abandonnoit à fes ennemis. Mais ce coup parut trop affreux à Venus dont la colere commençoit à s'appaifer. D'abord elle s'étoit irritée contre lui, de ce qu'ayant reçu d'elle en pur don une Beauté dont Hélene n'approchoit point, il s'étoit porté, par un mouvement de jalousie hors de faison, à la maltraiter. Chereas ayant fatisfait l'Amour par les malheurs fans nombre qu'il effuya en mille endroits dif férents, cette Déeffe en eut pitié,

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& voulut rendre l'un à l'autre, ce couple charmant qu'elle avoit uni autrefois, & qu'elle avoit enfuite pris plaifir à tourmenter par terre & par mer. Je me flatte que mes Lecteurs trouveront ce dernier Livre agréable; il expiera en quelque forte ce que les premiers ont contenu de trifte & de fâcheux. On n'y verra ni brigandages, ni efclavages, ni procès, ni combats, ni défefpoir, ni guerre, ni captivité, mais un Amour jufte & un mariage légitime. Je vais dire comment la Déeffe dévoila la vérité, & procura la reconnoiffance de ces deux Amans, qui ne se croyoient pas fi près l'un de l'autre.

Il fe fefoit déjà tard, & il reftoit encore beaucoup de prifonniers à tranfporter fur la flotte. Quoique

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Chereas fût fort fatigué, il ne laiffa pas de fe lever pour donner les ordres concernant le départ. Il paffoit près de la Place lorfque l'Egyptien lui dit : C'est ici Seigneur, qu'eft la femme qui, bien loin de vouloir venir vous trouver, a réfolu de fe laiffer mourir d'inanition. Peut-être la perfuaderezvous de fe relever : & pourquoi laifferiez-vous à vos ennemis ce qu'il y a de plus précieux dans le butin Polycharme, qui fouhaitoit le jetter, de quelque maniere que ce pût être, dans une autre paffion, afin de le diftraire & de le confoler de la perte de Callirrhoë, appuya ce difcours. Que n'entrons-nous dit-il à Chereas ? Ayant paffé le feuil de la porte, & voyant par terre une femme couverte d'un

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