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la tue. Callirrhoë ne doit jamais perdre le fouvenir d'un tel mariage : mais ce qui affure la Victoire à Denys, c'eft qu'elle l'a rendu pere. Tel étoit le langage des hommes. Les femmes, d'un autre côté, non contentes de s'entretenir entr'elles de Callirrhoë, lui donnoient des confeils, comme fi elle eût été à portée de les entendre. N'abandonnez pas, lui difoient-elles, l'Epoux que vous avez pris étant encore Vierge, donnez la préférence à celui qui le premier vous a aimée; il est votre Compatriote, & c'est le feul moyen qui vous refte pour voir votre Pere; autrement vous pafferez, comme une exilée, vos jours dans une terre étrangere. D'autres au contraire: Choififfez votre Bienfaicteur, celui qui bien loin de vous tuer, vous a

confervé la vie. Si jamais Chereas fe mettoit en colere, craignez le tombeau de vos peres. Ne trahiffez point votre fils, & montrez plus d'égards pour celui qui lui a donné le jour. Tels étoient les difcours qu'on entendoit de toutes parts. L'on eût dit que Babylone entière fût devenue un vafte Tribunal.

Cette nuit, la derniere de celles qui avoient précédé le jour du Jugement, le Roi & la Reine qui repofoient près l'un de l'autre, étoient agités de pensées bien différentes. La Reine attendoit le jour avec impatience pour remettre un dépôt qui lui étoit devenu onéreux. La beauté de Callirrhoë l'accabloit; près d'elle la comparaison ne tournoit pas à fon avantage d'ailleurs, les vifites fréquentes du Roi, fes politeffes hors

de faifon lui étoient devenues fufpectes. Auparavant il n'entroit que rarement dans l'appartement des femmes; mais depuis que Callirrhoë y étoit, il y alloit fouvent. Elle avoit auffi obfervé que dans la converfation, il regardoit en-deffous Callirrhoë & fans parler,qu'il jettoit fur elle un coup d'œil à la dérobée, & que fes regards fe portoient d'euxmêmes & fans réflexion fur cet objet. Statira voyoit par cette raison venir avec plaifir ce jour. Il n'en étoit pas de même du Roi, qui passa toute la nuit fans fermer les yeux.

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» Tantôt se tournant d'un côté, &

» tantôt d'un autre. «<

Voici le jour, fe difoit-il en luimême, où je dois prononcer. Hélas! je me fuis trop précipité d'affigner un terme fi court. Que vais-je faire

ce matin? Il faut que Callirrhoe parte pour Milet ou pour Syracufe. Infortuné que je fuis je n'ai plus qu'un inftant à jouir d'une vue fi agréable, & un de mes efclaves fera plus heureux que moi. Réfléchis, Prince malheureux, fur ce que tu dois faire; rentre en toi-même, tu n'as point d'autre ennemi que toi; c'eft ta paffion qui te tend des embûches. Réponds-moi donc : Qui es. tu? l'Amant de Callirrhoë, ou fon Juge? Ne cherche point à t'en imposer; tu l'aimes fans le fçavoir, & tu en feras bien plus convaincu en ne la voyant point. Mais à quoi bon t'attrifter? Le Soleil, Auteur de ta Race, ce Dieu aux regards de qui rien n'échappe t'a choisi cette Créature comme ce qu'il a vu de plus beau, & tu rejettes un don

qu'il te fait. Les intérêts de Chereas & de Denys me font donc bien précieux ! ces vils esclaves me tiennent donc bien au coeur ! pour remettre à celui des deux qui l'emportera le Prix de la Victoire, & moi qu'on appelle avec raison le Grand Roi, je m'abbaiffe au vil emploi d'une, vieille qui s'entremet de mariage. Mais j'ai pris fur moi la décifion de cette affaire, tout le monde le fait, & je dois fur-tout des égards à Statira. Eh bien ! ne rends point pu blic ton amour, ne te preffes point de terminer. Il te fuffit de voir Callirrhoë; remets à une autre fois la décifion; cela eft bien permis à un Juge fubalterne.

2

Le jour venu, on prépara la falle d'Audience. Le Peuple accouroit en foule au Palais, Babylone étoit toute

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