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d'une fi agréable compagnie. Peutêtre qu'elle n'auroit pas voulu fortir du lieu de ma fépulture, peut-être qu'elle ne m'auroit point abandonné. Plût aux Dieux que cela me fût arrivé, je n'aurois été ni vendu, ni chargé de fers, & je n'aurois pas eu à foutenir la vue d'un Roi encore plus cruelle pour moi que la Croix. Que j'aurois été heureux de mourir avant que d'avoir appris fon fecond mariage! Quelle occafion favorable ne m'as-tu point fait manquer après le Procès ! J'ai vu Callirrhoë, & je n'ai point accouru pour l'embraffer. C'eft un prodige nouveau, incroyable. On met en queftion, fi Chereas eft l'époux de Callirrhoë, & un Génie jaloux de mon bonheur ne permet pas qu'on la décide. Eveillé, & en fonge, les Dieux

m'ont également en horreur. En finiffant ces mots, il faifit fon épée; Polycharme le retint, & l'obferva par la fuite, comme s'il eut été fon prifonnier.

Le Roi, ayant mandé l'Eunuque en qui il avoit le plus de confiance n'ofa d'abord lui avouer ce qui fe paffoit dans fon ame: mais Artaxate voyant le rouge lui monter au visage, & qu'il avoit quelque chofe à lui dire, prit la parole: Que cachezvous, Seigneur, à un Efclave qui fait fe taire & dont l'attachement vous eft connu? Vous eft-il arrivé quelque grand malheur ? que je crains qu'on ne vous ait dreffé des embûches! Ta crainte eft jufte, répondit le Roi; on m'en a tendu, mais ce ne font point des hommes, c'est un Dieu. J'avois bien lu & en

Poëfie &oen Profe que l'Amour tenoit affervis fous fon empire tous les Dieux & Jupiter même. Je doutois cependant qu'il s'en trouvât un feul plus puiffant que moi. Ce Dieu s'eft préfenté, il s'eft infinué dans mon cœur, il y exerce son empire, &, je fuis forcé d'en convenir, me voilà fon efclave. Les larmes qu'il répandit en finiffant ces mots, l'empêcherent de continuer. Artaxate comprit d'abord d'où étoit parti le trait dont le Roi avoit le coeur percé. La bleffure n'étoit pas récente, & Artaxerxe n'ayant aimé perfonne depuis l'arrivée de Callirrhoë, il ne pouvoit méconnoitre le feu dont il étoit confumé. Il feignit cependant de l'ignorer. Quelle Beauté, Seigneur, lui dit-il, a pu vous affervir, vous qui voyez fous votre Empire,

tout ce qu'il y a de beau? Vous avez de l'or, de l'argent, des habillement fuperbes, des chevaux, des Villes, des Nations. Les Femmes de Perse ne font pas fans beauté, mais Statira eft la plus belle perfonne qui foit fous le Soleil, & vous la poffédez fans rival. Mais la jouiffance eft l'écueil de l'Amour. Quelque Déeffe feroit-elle defcendue du Ciel; une autre Thetis fe feroit-elle élevée des mers ? Je ne doute point que les Divinités ne s'empreffent de partager votre lit. Peut-être, ré. pondit le Roi, que ce que tu dis eft vrai; fa beauté n'a rien d'humain, c'est une Déeffe ; cependant elle n'en convient pas; elle fait au contraire femblant d'être Grecque & de Syracufe. Mais ce qui dévoile l'artifice c'eft que ne voulant point être convaincue,

vaincue; elle ne fe dit point d'une Ville qui foit fous ma puissance & qu'elle nous renvoie, pour la Fable qu'elle débite, au delà de la mer Ioniene & de la grande Mer. Sous prétexte de ce procès, elle m'est venue trouver, & toute la Piece eft de fa façon. J'admire qu'ayant vu Callirrhoë, tu donnes la préférence à Statira. Il faut cependant examiner comment je pourrai me délivrer de ce chagrin. Cherche de tous côtés fi tu pourrois y trouver un remede. Le Remede que vous cherchez Seigneur, fe rencontre également parmi les Grecs & les Barbares. Il n'y en a point d'autre pour l'amour,' que la poffeffion de la perfonne aimée; & peut-être eft-ce-là le fens de cet Oracle fi vanté : Celui qui a fait la bleffure la guérira. Le

Tome II

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