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22. Jules César. Ce beau buste offre une grande ressemblance avec la tête du César voilé de la collection Mattei. (Voy. Clarac, V, pl. 910.)

23, 24, 25. Têtes colossales de rois daces, dont l'une pourrait être le portrait du roi Décébale, vaincu par Trajan.

26. Cornutus, philosophe stoïcien, ami de Perse.

27. Antinous. Buste trouvé à la villa Adriana; une des merveilles de la renaissance de l'art grec sous les Antonins. La couronne de lierre en bronze a été restituée d'après les indications antiques.

III.

SARCOPHAGES, BAS-RELIEFS, VASES, ETC.

1. Sarcophage colossal, trouvé sur la voie Latine, avec bas-reliefs représentant l'histoire de Phèdre et d'Hippolyte. Pièce unique comme travail et comme dimension; le plus beau peut-être de tous les sarcophages existants. (Longueur du sarcophage : 2 m. 65 cent. Hauteur des figures: 80 cent.)

2. Sarcophage trouvé auprès de Monticelli. Le bas-relief de face représente le mariage d'un personnage romain, que sa coiffure et sa barbe placent au siècle des Antonins. Celui du couvercle personnifie un jour de l'existence humaine. (Longueur du sarcophage, 1 m. 99 cent.)

3. Bas-relief des Niobides, en marbre grec, transporté d'Athènes à Venise à l'époque des victoires de Francesco Morosini sar les Turcs. La description est impuissante à rendre la suprême beauté de cette œuvre, qui saisit l'âme et la remue profondément, sans jamais s'écarter de cette noble réserve qui distingue le goût hellénique à la belle époque de l'art. Ni le groupe de la galerie de Florence, ni le sarcophage des Niobides, au Vatican (P. Cl., IV, 17), n'approchent de la grandeur de cette composition; c'est un poëme en marbre, dont les motifs font penser à Raphaël, l'exécution à Scopas ou à Praxitèle. Ce beau fragment, de même que les deux sarcophages qui précèdent, a été illustré dans les Annales de l'Institut archéologique. (Longueur, 1 m. 80 cent.)1 4. Bas-relief ayant pour sujet l'enlèvement de Déjanire par le centaure Nessus.

5. Panthère dévorant la tête d'un veau. 6 et 7. Vases en marbre, avec ornements de feuillage et colonnes en cipolin et noir antique pour piédestaux.

8. Trépied en albâtre oriental; les pieds, sculptés en forme de tête de lion, sont en rouge antique.

PORTRAIT EN CAMÉE

DE L'IMPERATRICE LIVIE.

Ce beau camée en calcédoine, un des plus 1. Voir la Gazelle, t. I, p. 142.

grands connus, offre le portrait en buste de l'impératrice Livie, sous les traits de Vénus Genitrix. On lui voit sur l'épaule gauche un petit Amour ailé. C'est sous cette forme et avec ces accessoires que Vénus est représentée sur les médailles de Jules César. On sait que la famille Julia faisait remonter son origine jusqu'à cette déesse, par Énée. La morbidesse des chairs, le dessin irréprochablement pur des contours, l'extrême fini de la chevelure, témoignent du mérite supérieur de cette œuvre hors ligne, déjà célèbre au temps du pape Alexandre VII (Chigi), son premier possesseur connu. Les deux petits trous dont la plaque en calcédoine est percée ont fait supposer que ce camée avait été incrusté dans quelque cuirasse impériale, et c'est au point de vue de cette hypothèse que M. Castellani en a restitué la monture en or massif.

A ce camée on a joint un bel anneau en or, reproduisant le portrait de Livie sous les mêmes formes de Vénus Genitrix. Ce bijou, d'un travail très-fin, a été trouvé, en 1844, dans les ruines du mont Palatin.

PEINTURES A FRESQUES

DE RAPHAEL.

Une tradition séculaire a attaché le nom de Raphaël aux peintures à fresque que l'on admirait autrefois dans la villa Spada, ou Mills, sur le Palatin, et dans le casino dit de Raphaël près de la porte Pinciana: villa et casino qui paraissent avoir, en effet, sinon appartenu, du moins servi de villégiature passagère au grand peintre d'Urbin.

Dans une salle du rez-de-chaussée de la villa Mills, soutenue par quatre colonnes de granit gris, on voyait encore, en 1856, les compositions suivantes, peintes à fresque sur les murs:

1. Vénus, peut-être Thétis ou Galathée, assise sur une espèce de dauphin ou de monstre marin, la tête tournée vers le spectateur. A sa droite est un Amour monté sur un autre dauphin, qu'il excite au moyen d'une baguette. Dans le fond, un rivage.

2. Vénus, assise sous un arbre et le bras appuyé sur un Amour que l'on voit debout à sa gauche, se plaint d'avoir été blessée par lui. L'Amour, une flèche à la main, paraît peu compatir à la douleur de sa mère.

3. Vénus, assise sous un arbre, se chausse une sandale au pied droit. Derrière elle on voit une colombe.

4. Pan et Syrinx. Au sortir du bain, la nymphe est occupée à peigner sa longue chevelure. Caché derrière un buisson, Pan la regarde à la dérobée.

5. Vénus et Adonis: selon d'autres, Ariane et Bacchus, ou bien encore, Angélique et Médor. Un jeune homme, la tête ceinte d'une

couronne de feuillage, est assis sous un arbre; à ses pieds, et la tête appuyée sur ses genoux, une jeune femme à demi vêtue.

6. Paysage. Dans la partie supérieure, Uranus et Saturne assis dans les nuages. Au-dessous, campagnes verdoyantes, chutes d'eau, ponts, rochers, etc.; divers épisodes de la vie des champs.

7. Lunette au-dessus de la porte d'entrée. Un Amour lançant une flèche.

8. Autre lunette. Paysage: Nymphes endormies surprises par un Faune.

Ces fresques (les lunettes exceptées) ont 2m 50 de haut sur 1m 50 de large. Les figures des numéros 1, 2, 3, 5 et 7 sont de grandeur naturelle.

Les origines de la villa Palatine ne sont pas bien connues. On y trouve, sculptées en plusieurs endroits, les armes du pape Jules II, della Rovere; celles des ducs Mattei sont peintes ou plutôt surpeintes à fresque sur le plafond de la Loggia. Plus tard, cette villa porta les noms de villa Spada, Magnani, de Brunati et Colocci. L'abbé Rancureuil, l'ayant achetée dans les dernières années du siècle passé, y fit faire des fouilles qui, entre autres, amenèrent la découverte du célèbre Apollon Sauroctone du Vatican 1. Revendue à un Anglais, M. Charles Mills, elle passa en dernier lieu aux religieuses salésianes, qui en ont fait un couvent et donné, plutôt que vendu, au marquis Campana les peintures, trop mythologiques à leur gré, de la Loggia. M. Succi, inventeur de l'art de transporter les fresques sur toile, fut chargé par le marquis d'en appliquer le délicat procédé aux peintures qu'il venait d'acquérir; l'opération, comme il est facile de s'en convaincre, réussit à merveille.

A quelle époque et pour qui ces peintures furent-elles exécutées? Ici encore les documents historiques nous font défaut; il en est un pourtant qui, d'accord avec la manière et le style même de nos fresques, semblerait nous autoriser à en rapporter l'origine aux années 1512-1515. C'est une lettre de Pietro Bembo au cardinal da Bibiena; elle porte la date du 19 avril 1516, et nous apprend que les mêmes sujets que ceux de la villa Palatine ont été exécutés par Raphaël, en petit, pour une salle de bain faisant partie de l'appartement que le cardinal occupait au troisième étage du Vatican. «Raphaël me charge de vous prier, écrit Bembo, de vouloir bien lui envoyer les autres historiettes destinées à être peintes dans votre salle de bain, c'est-à-dire leur description; car celles que vous lui avez envoyées seront commencées dans le courant de la semaine. >> Ces historiettes forment un ensemble mythologique ayant pour objet la puissance et la glorification de l'amour; elles sont au nombre de sept, et reproduisent les numéros 1 à 5 des

1. Voyez Guattani, ann. 1785, p. 4.

fresques de la villa Palatine, en y ajoutant une représentation de la naissance de Vénus, et une autre de Minerve luttant contre Vulcain. En outre, la Vénus se chaussant de la villa Mills y apparaît sous l'aspect d'une Vénus qui s'arrache une épine du pied, et dont le sang répandu change en rouge la couleur blanche jusqu'alors de la rose. A chaque panneau correspond une représentation allégorique de l'Amour, qui complète ainsi la pensée dominante. Il est permis de croire que, frappé de la beauté des peintures déjà existantes à la villa Palatine, le cardinal da Bibiena aura voulu les faire entrer dans la décoration de sa salle de bain avec les modifications que comportait son idée. Je dis « les peintures déjà existantes,» car, en admettant avec Passavant (voy. plus bas) l'antériorité des fresques vaticanes (dont celles de la villa seraient une réplique faite par Jules Romain), comment expliquer parmi ces dernières l'absence de la plus gracieuse des peintures de la salle de bain, celle qui représente la naissance de Vénus? ou bien encore la transformation de l'histoire de la rose en une figurine dénuée de toute signification mythologique, de la Vénus se chaussant une sandale? L'esprit humain va du simple au composé, et non au rebours; ni Raphaël ni aucun de ses élèves n'auraient été défaire à la villa Palatine la composition imaginée pour le Vatican. Au reste, il paraît certain que les deux séries de peintures furent également estimées dans le temps et indifféremment reproduites comme ouvrages de Raphaël. Ainsi, tandis qu'une gravure de Marc de Ravenne reproduit la Vénus se tirant une épine du pied de la salle de bain, un ancien tableau à l'huile (aujourd'hui à la galerie publique de Manheim, gravé par Pierre Audouin) copie le même sujet d'après la fresque palatine, c'est-à-dire une Vénus se chaussant une sandale.

Voici ce que dit de nos fresques le savant Missirini, d'après une note du Longhena, dans sa traduction de la Vie de Raphaël, par Quatremère de Quincy, imprimée en 1829 :

« L'autre villa de Raphaël est celle dite villa Magnani, aujourd'hui villa Mills, sur le Palatin, où se trouve un portique précieux, entièrement couvert de peintures magnifiques, de grandeur naturelle, exécutées sur les cartons de Raphaël par ses meilleurs élèves, en même temps que retouchées en plusieurs endroits par le maître, au dire des intelligents en peinture. Il est impossible de rien imaginer de plus beau ni de plus exquis, soit que l'on considère la pureté du dessin, ou la grâce de la composition, ou la nouveauté des sujets; car on admire ici une ravissante Galathée et une Vénus sor

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tant du bain, toute revêtue de pudeur, bien que pleine d'animation; et le groupe d'Hermaphrodite et Salmacis1, que l'on dirait une peinture pompéienne de la plus grande beauté; et Cupidon, qui, par un geste plein de mutinerie, montre une flèche à Vénus; et Vénus ellemême se chaussant dans une attitude pleine de grâce et de volupté. Ces figures font un merveilleux effet sous une voûte couverte d'arabesques par Jean d'Udine. » (P. 205.)

Sans vouloir désavouer ces expressions d'un enthousiasme légitime, nous croyons pourtant que l'on ne peut signaler comme émanant directement du maître (quant à la composition et au dessin) que les numéros 1, 2, 3 et 7 de nos fresques; on y retrouve l'empreinte tout entière du génie de Raphaël, si gracieux et si noblement chaste à la fois. La fable de Syrinx et de Pan, celle aussi des amours de Vénus et d'Adonis, révèlent une conception plus hardie, un faire moins délicat et moins sobre; et nous savons en effet qu'un beau dessin au crayon rouge ainsi que le carton (fig. de grandeur naturelle) de la dernière de ces fresques, par Jules Romain, se trouvent à Vienne dans la collection de l'archiduc Charles.

La villa de la porta Pinciana (détruite par la Révolution de 1848) contenait également des peintures à fresque attribuées à Raphaël et à son école, et, dans le nombre, la plus célèbre de toutes (car on la croit due tout entière au pinceau du maître), représentant :

L'Enlèvement d'Hélène. Deux Troyens antraînent la belle Grecque vers une barque; Hélène, à genoux, se retourne éplorée vers Pâris, qui la retient par un bout de son voile. Dans le fond, combat de Troyens et de Grecs; à gauche, des vaisseaux; à droite, un palais. (Haut., 1 m. 10 cent.; larg.; 1 m. 45 cent.)

En 1785 (car les documents authentiques connus ne vont pas au delà), le marquis Olgiati, alors possesseur de la villa de Raphaël, la vendit au cardinal Joseph Doria. Plus tard elle passa à l'avocat Nelli, et en dernier lieu au prince Camille Borghese, qui l'enclava dans son parc de la porte du Peuple et en fit enlever et transporter dans sa galerie les trois fresques représentant les noces d'Alexandre et de Roxane, le tir à la cible et la Fête de Flore. L'Enlèvement d'Hélène, la plus belle et la plus célèbre de toutes, avait été extrait plusieurs années auparavant, pour le compte de M. Nelli, par le peintre Palmaroli. En 1820 nous la retrouvons dans l'atelier du peintre baron Camuccini (voy. pl. bas), dont les héritiers l'ont finalement vendue au marquis Campana.

Raphaël paraît avoir fait plusieurs esquisses de cette merveilleuse composition, avant d'en aborder l'exécution sur les murs de la villa.

1. C'est celui que l'on appelle encore Vénus el Adonis, Angélique et Médor, etc.

Parmi les dessins originaux de ce maître faisant partie des collections de sir Thomas Lawrence et du duc de Devonshire (à Chatsworth) il en est deux qui ont pour sujet l'enlèvement d'Hélène, et dont les variantes témoignent des modifications successivement apportées par le peintre à son idée première. L'un est une composition de six figures seulement : deux hommes se sont emparés d'Hélène, qui paraît leur résister. Un guerrier accourt, portant des objets précieux dans une caisse; deux autres semblent le protéger. L'autre dessin, riche d'une vingtaine de figures, reproduit le même motif principal: Hélène en larmes est entraînée par Paris et ses compagnons vers le vaisseau qui l'attend; deux serviteurs les précèdent, portant des objets précieux. Les mêmes variantes se font remarquer dans quelques plats en majolique qui répètent le sujet de l'enlèvement d'Hélène, d'après les dessins de Raphaël. En revanche, la célèbre gravure de Marc-Antoine et de Marc de Ravenne (Bartsch XIV, no 209-210) reproduit notre fresque avec une exactitude scrupuleuse; il en est de même d'un grand plat en majolique faisant partie de la collection Campana et signé au revers du nom de Francesco-Xanto Rovighese. D'anciennes copies au pastel de l'Enlèvement d'Hélène et des autres peintures de la villa de Raphaël se voient aussi à la galerie Doria, à Rome, comme autant de témoignages de la constante admiration des contemporains et de la postérité pour ces précieuses peintures.

NOTA. M. Passavant croit les fresques de la villa Palatine répétées par Jules Romain d'après les peintures de la salle de bain (Rafael, etc., von J. D. Passavant. I, 287); ces dernières auraient été exécutées à leur tour par des élèves de Raphaël, sur les dessins du maître (ibid., II. 279). Même appréciation des peintures de la villa Pinciana (ibid., I, 288, 289; II, 288, 289, 662). Tout au plus admet-il l'action à peu près directe de Raphaël sur les figures principales des fresques du Vatican (ibid., I, 163). C'est pousser trop loin l'esprit de critique et de doute. Raphaël est inséparable de son école, et rien ne nous autorise à admettre que son pinceau soit demeuré systématiquement étranger à l'exécution des merveilleuses peintures qui portent son nom.

Trois mois, jour pour jour, - après notre acquisition conclue, le Musée du Louvre s'est rendu acquéreur, à son tour, des objets restant du musée Campana. A la suite de nos choix faits et limités, comme il a été dit aux œuvres de premier ordre, la France a payé le surplus 812,000 écus romains, ou 4,360,440 fr.

Paris, juin 1861.

CORRESPONDANCES PARTICULIÈRES

DE LA GAZETTE DES BEAUX-ARTS

EXPOSITION DE ROUEN

Rouen, le 20 juin 1861.

L'exposition d'œuvres d'art et de curiosités archéologiques, qui vient d'avoir lieu à Rouen dans la salle des assises du Palais de Justice, est loin de présenter autant d'intérêt que celle qui avait été organisée l'année dernière à Amiens par la Société des antiquaires de Picardie. Préparée en quelques jours et installée dans un local merveilleusement décoré, mais insuffisant, cette exposition ne se composait que d'un nombre assez restreint d'œuvres vraiment importantes, et, faute de place, le comité n'a pu ajouter aux curiosités proprement dites les peintures anciennes que les amateurs de la Normandie lui eussent si généreusement confiées. Enfin, les choses ont été menées de telle sorte que le catalogue n'a paru qu'au dernier moment. Nous n'approuvons pas tout à fait ces façons d'agir. De semblables expositions ne s'improvisent point: il ne convient pas qu'elles soient seulement une distraction frivole pour les esprits oisifs; leur rôle est meilleur, elles doivent être un spectacle sérieux, une leçon. Mais, pour atteindre ce noble but, il faut donner à l'artiste, au passant qui veut s'instruire, les moyens de se reconnaître dans le dédale des curiosités qu'on lui montre. Combien d'œuvres d'art sont muettes, faute d'un catalogue qui les fasse parler!

Pour nous, il nous est impossible, dans ces conditions fâcheuses, de présenter de l'exposition de Rouen un compte rendu exact et complet. Nous nous contenterons donc d'indiquer les pièces les plus singulières, ou du moins celles qui se sont le plus vivement imposées à notre attention.

A peine entré dans la grande salle du Palais de Justice, le visiteur était appelé tout d'abord à étudier les produits d'un art local, qui a conquis sa place dans l'histoire de la céramique française: nous voulons parler de la faïence de Rouen. Un correspondant, très-bien informé de la question, M. C....., a déjà entretenu les lecteurs de la Gazette des Beaux-Arts des mérites de cette industrie, qui fut jadis une des gloires, une des richesses de Rouen. Je n'ajouterai que peu de mots à ce qu'il en a dit. Ce n'est pas à nous d'ailleurs qu'il convient de raconter l'histoire de cet art. Les lignes principales en ont été tracécs, en février 1847, dans la Revue de Rouen, par le savant bibliothécaire de la ville, M. André Pottier; M. Ouin-Lacroix a reproduit les mêmes faits dans son Histoire des anciennes corporations de la capitale de la Normandie; enfin, M. Pottier

revenant à un sujet qui lui appartient par droit d'invention, a ajouté à ces premières recherches des informations plus précises et plus complètes, et il en a récemment fait l'objet d'une communication à la Société française d'archéologie. Les bonnes choses qu'il a dites, il compte les imprimer bientôt, et ce jour-là nous saurons comment est née la faïence de Rouen, à quelle époque elle a brillé, à quelle date elle a péri.

Qu'il nous suffise de rappeler que, bien que Rouen paraisse avoir fabriqué de la faïence au XVIe siècle, ce n'est qu'après la mort de Louis XIII que Nicolas Poirel, sieur de Grandval, et huissier du cabinet d'Anne d'Autriche, établit, en 4644, la première manufacture dont il nous reste des produits authentiques. Deux plats, qui faisaient partie de l'exposition, et qui portent tous deux au revers les mots : Faict à Rouen en 1647, paraissent pouvoir être attribués au sieur de Grandval. Les dessins qui ornent ces plats sont colorés d'un bleu très-doux et rappellent le système décoratif que les faïenciers de Nevers avaient emprunté à l'Italie; l'art, pendant cette première période, est déjà charmant, mais il n'est pas encore émancipé, il n'a pas son cachet intime et définitif.

Un privilége de trente ans avait été accordé à Poirel de Grandval: au moment où sa concession allait expirer, en 4673, on vit arriver à Rouen un autre fabricant muni d'un nouveau brevet. C'était Louis Poterat, écuyer, sieur de Saint-Étienne. Les lettres patentes que lui avait octroyées Louis XIV, et dont nous trouvons le texte dans le livre de M. Ouin-Lacroix, sont infiniment curieuses. Louis Poterat avait fait remontrer au roi que, « par des voyages dans les pays étrangers et par des applications continuelles, il avoit trouvé le secret de faire la véritable porcelaine de Chine et celui de la faïence de Hollande; » mais il prétendait, dans sa supplique, qu'à cause des difficultés de la cuisson il ne pouvait fabriquer l'une sans l'autre, et il demandait l'autorisation d'établir au faubourg Saint-Sever une manufacture « pour y faire toutes sortes de vaisselles, pots et vases de porcelaine semblables à ceux de la Chine, et de faïence violette, peinte de blanc et de bleu et d'autres couleurs, à la forme de celle de Hollande. » L'autorisation qu'il sollicitait lui ayant été accordée, les lettres royales furent enregistrées par le parlement de Rouen, le 9 décembre 1673.

La fabrication de Louis Poterat et celle de ses imitateurs inaugurent la plus brillante époque de la faïence rouennaise, dont le développement viril coïncide ainsi avec la fin du règne de Louis XVI. Le caractère de l'art à cette date nous est déjà signalé par la requête de Louis Poterat qui prétend faire de la faïence « violette, peinte de blanc et de bleu et d'autres couleurs. » Mais ces indications un peu vagues sont précisées de la manière la plus éloquente par les monuments réunis à l'exposition de Rouen. Un beau saladier, au fond duquel on lit cette inscription: Brument, 1699, montre combien la gamme de la coloration avait gagné en étendue et en intensité. Les tons, harmonieux d'ailleurs, dessinent, sur l'émail d'un blanc laiteux, des dessins symétriques diversement colorés qui, en décorant les bords du plat, se lient à l'ornement central, et qui représentent des cartouches, des enroulements réguliers, des lambrequins analogues à ceux qu'ont peut voir dans les recueils du temps, dans celui de Daniel Marot, par exemple. Cette ornementation est élégante et riche, mais, constamment raisonnée dans sa fantaisie, elle demeure entièrement française. Le dessin est d'ailleurs presque toujours d'accord avec le galbe et le style du vase qu'il décore. Quant aux formes qu'affecte la faïence de Rouen, elles se diversifient à l'infini. La vaisselle de table fut la branche la plus féconde de cette industrie, qui n'était pas encore un art populaire, puisque ses produits s'adressaient surtout à la riche bourgeoisie, mais qui le devint vers la seconde

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