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Théodore de Keyser, de Van der Helst. Paysagiste avec les peintres de paysages, il a parlé en poëte des ciels mélancoliques de Jacques Van Ruysdael, des vertes prairies d'Hobbéma, des clairs de lune de Van der Neer, et de ces marines si sobres et si justes où W. Van de Velde fait glisser ses bruns navires sur l'eau blonde de la mer du Nord. Les appréciations de M. Charles Blanc sont exactes et senties; à peine pourrait-on y noter çà et là une exagération, bien pardonnable d'ailleurs, dans le sens de l'éloge; mais en général elles sont conçues dans la vraie mesure. Quant au talent littéraire que l'auteur a fait paraître en ce long ouvrage, il serait superflu de le louer dans une Revue où il en a donné tant de preuves. Il est maître en l'art de bien dire; sa phrase ondoie et se replie, elle a le rhythme et l'élan. Enfin, dans cette série de portraits où la monotonie de la forme semblait presque une des fatalités du sujet, M. Charles Blanc a su adapter son style à l'étude de chaque maître, et changer de manière sans altérer la grande harmonie de son œuvre. Ce sont là certes des qualités dont tout le monde lui tienda compte, et ceux-là surtout qui, s'étant essayés dans cet art difficile, y ont si peu réussi.

Toutefois, à prendre l'Histoire de l'école hollandaise au point de vue purement historique, il y a peut-être une observation à faire. Toutes les biographies qui composent ce livre n'ont pas été écrites à la même époque, et il en est quelques-unes qui datent déjà de dix ou douze ans. Il en résulte que M. Charles Blanc n'a pu, dans ces premiers portraits, tenir compte des informations nouvelles que des chercheurs, acharnés à fouiller les archives et à scruter les œuvres, ont pu apporter depuis à l'histoire de quelques maîtres. Nous n'en citerons qu'un exemple: M. Charles Blanc fait naître Jacques Van Ruysdael en 4635. Cette date a été longtemps vraisemblable, mais elle a cessé de l'ètre depuis qu'on a trouvé des tableaux de ce maître authentiquement signés de 1645 et de 1648. Résignons-nous donc à vieillir un peu l'éminent paysagiste : lorsque M. Charles Blanc réimprimera son livre, il devra, je crois, ainsi que l'ont d'ailleurs proposé M. Bürger et M. Villot, faire naître Ruysdael vers 1630. Quelques autres indications devront aussi être revisées. Mais je remarque en même temps que pour les biographies qu'il a rédigées en dernier lieu, M. Charles Blanc est tout à fait au niveau de la « science, » comme nous disons, nous autres amants de la chronologie. Nous avons l'espoir que son livre contribuera à convertir ces pécheurs endurcis qui s'obstinent à faire mourir Metsu en 1658 et Wynants en 1670, et qu'il fera hàter le pas aux retardataires qui refusent de comprendre le prix des dates, ces agrafes d'or dont se sert l'Histoire pour retenir les plis flottants de son manteau.

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Les deux volumes de l'École hollandaise se complètent et s'éclairent par un grand nombre d'illustrations intercalées dans le texte. La biographie de chaque maître est accompagnée d'un portrait quand il existe de lui une effigie authentique - et d'une ou de plusieurs gravures représentant les pages les plus significatives de son œuvre. Ainsi l'image se mêle à la parole écrite, et ajoute aux jugements de l'historien l'autorité de la démonstration et de l'évidence. La plupart de ces illustrations sont choisies avec un soin qui témoigne d'une direction intelligente, et il est facile de remarquer que les artistes et les graveurs attachés à cette grande entreprise semblent faire chaque jour des progrès, les livraisons récemment publiées étant en général mieux réussies que les premières. Les Joueurs de Thomas Wyck, les Chiens de Pierre de Laar, et la Dame au luth de Terburg, qui accompagnent cet article, disent assez ce que les graveurs de l'Histoire des Peintres savent faire, lorsqu'ils sont guidés par des dessins savamment préparés. M. Bocourt a crayonné, avec

une libre élégance, la plupart des portraits qui ornent les deux volumes; on lui doit aussi l'illustration de plusieurs monographies, notamment celle de Lucas de Leyde, qui est parfaite. MM. Daubigny et Villevieille ont reproduit les œuvres des paysagistes. Les scènes historiques, les intérieurs de tavernes, les tableaux de la vie intime sont dus à MM. Charles Jacque, Cabasson, L. Marvy, Pasquier, Freeman, et à quelques autres encore. Quant aux graveurs, il serait trop long d'en donner la liste; mais, on le sait, ce sont les meilleurs parmi les artistes qui, rajeunissant un art oublié, ont appris à tailler le buis d'une main tour à tour vigoureuse et légère.

Ainsi les deux volumes de l'École hollandaise sont au niveau de la grande histoire dont ils racontent, avec la plume et avec le crayon, les phases glorieuses. Les quelques imperfections qu'une critique sévère y pourrait relever sont inséparables d'une œuvre de cette importance, et ne sauraient en diminuer la valeur. Un point doit nous toucher surtout lorsque M. Charles Blanc, qui a si bien le sentiment de l'art héroïque, se prit, en ces dernières années, à étudier de plus près les merveilles de l'antiquité; lorsqu'on le vit, après avoir invoqué la muse grecque, entreprendre son voyage à la recherche du canon de Polyclète, on put craindre un instant que cette noble préoccupation de l'idéal ne nuisît dans son esprit aux maîtres de l'école hollandaise. Pour nous, nous tremblions qu'à son retour d'Athènes l'auteur de la Grammaire des Arts ne traitât un peu durement les buveurs d'Ostade, qui, il faut bien le reconnaître, ne ressemblent guère aux demi-dieux taillés dans le paros par Lysippe ou par Praxitèle. Mais M. Charles Blanc sait que l'art est infini dans ses manifestations, comme la pensée humaine dans son rêve; il a senti que, malgré la distance qui les sépare, il y a un trait d'union entre l'idéal et la vérité, et il a conservé à ces maîtres naïfs de la comédie éternelle la place qu'ils s'étaient faite dans sa sympathie et dans sa justice. Aussi son livre demeurera-t-il comme un des plus éclatants hommages qui aient été rendus jusqu'à présent au génie de l'art hollandais.

PAUL MANTZ.

PRUDHON, par Edmond et Jules de Goncourt; étude contenant ↳ dessins gravés à l'eau-forte. Paris, 1861; imprimé à Lyon par Louis Perrin.

Des trois études que MM. de Goncourt ont déjà publiées', celle-ci est la plus finement ciselée. Pour louer un maître chez qui la grâce est la qualité la plus visible, mais non pas la plus sérieuse, ils ont su tempérer le mouvement parfois trop agité de leur style; ils sont entrés dans l'intimité la plus parfaite de cette âme toujours altérée d'idéal, de ce cœur frappé par le sort avec une persistance étrange, quittant, jeune, une mère qu'il adorait, épousant tête baissée une femme indigne de sa délicatesse, perdant à l'aube du repos une affection basée sur les plus rares qualités de l'esprit, du sentiment et de l'éducation; et ils ont tout dit ou tout fait deviner avec la convenance la plus parfaite. Ils ont abordé avec franchise cette grande figure d'artiste français qui tient encore au XVIIe siècle par la préoccupation littéraire du sujet, et qui fait pressentir l'école naturaliste par son sentiment exquis du paysage. Par un privilége

1. Voir, pour les Saint-Aubin, la Gazette des Beaux-Arts, t. IV, p. 246, et, pour le Watteau, le tome VIII, p. 126.

unique et tout moderne, Prudhon a su tempérer l'expression la plus brûlante de la volupté par la pudeur, et il nous permet enfin d'opposer à l'Italie un coloriste qui dessine plus correctement que Corrége, auquel on le compare banalement à cause de certains airs de tête empruntés au Faune antique, mais qui, pour la fermeté des plans, la suavité du modelé, la vie intime des yeux et l'ambiguïté du sourire, rappelle plutôt le grand Léonard, devant les œuvres duquel il écrivait : « Pour moi, je n'y vois que perfection, et c'est là mon maître et mon héros... >>

Quoique l'on ait déjà beaucoup écrit sur la biographie de Prudhon, MM. de Goncourt ont rajeuni le sujet en rapprochant ses lettres à M. de Joursanvault, publiées dans les Archives de l'Art français, d'autres documents fournis par MM. Laperlier ou Marcille; et son séjour à Rome est tout à fait nouveau et intéressant.

Nos lecteurs n'ont point oublié le portrait de mademoiselle Mayer que M. Léopold Flameng avait reproduit avec charme d'après un dessin appartenant à M. Carrier; M. J. de Goncourt a tenté, et non sans succès, de traduire à l'eau-forte la petite esquisse peinte que possède M. Laperlier. Nous ne pouvons la publier ici, puisque les cuivres qui ornent ces plaquettes ont été biffés après le tirage des deux cents exemplaires; mais voici au moins le portrait tracé... à la plume: « Ce n'était point une jolie femme que mademoiselle Mayer. Une peau très-brune, un nez presque épaté, une grande bouche, rappelaient en elle, au premier regard, le type de la mulâtresse. Pourtant, regardez ce portrait passé de l'alcôve, où Prudhon le garda jusqu'à sa mort, dans les mains de l'heureux M. Laperlier; c'est une enchanteresse que cette femme sans beauté. Dans ce visage que la vie et l'âme de la physionomie illuminent, tout est charme, jusqu'à ce nez épaté et cette grande bouche. Sous mille petites boucles noires, folles et libres, qui font jouer sur le front les anneaux de leurs ombres légères et battent les joues de leurs tortillons défrisés, un sourire errant voile de tendresse deux grands yeux noirs, allongés et fendus comme les yeux de l'Orient. La lumière accuse un méplat charnu et sensuel sur le petit nez dont les deux narines se retroussent dans l'ombre. Le rire semble chatouiller la bouche au coin malicieux qui s'entr'ouvre et montre à demi les dents. Le dessous des yeux, du nez, cette bouche et tout le bas du visage éclairé, selonl 'habitude de Prudhon, avec les grands partis pris d'un jour d'atelier, s'enfoncent dans des ombres étranges où le regard se perd en rêveries. Amoureuse, moqueuse, sentimentale, ardente, pensive, voluptueuse, passionnée, telle est cette tête mystérieuse et fascinatrice dans sa mutinerie, où l'on retrouve l'énigme du sourire de la Joconde... Mais l'âme du maître a passé dans cette image, faite à si peu de frais, avec si peu d'efforts, légère comme un souffle, immortelle comme un baiser du génie! Cette figure vous ravit avec ce je ne sais quoi de magique qui, dans les chefs-d'œuvre, est au-dessus et au delà de la peinture, et semble échapper à la matérialité des moyens du peintre, à l'epaisseur des couleurs, aux liens de la ligne. Et ce n'est plus une femme que l'on croit voir, mais le type même de Prudhon, sa Muse familière et bien-aimée incarnée dans la grâce et la volupté de son œuvre. »

A des pages senties et gracieusement écrites, M. Edmond de Goncourt a joint un croquis d'après le groupe de la Némésis « à l'aile de vautour» traînant le meurtrier éperdu devant la Justice divine, dans l'admirable dessin que possède le Louvre. Il a gravé Psyché enchaînant l'Amour, détail charmant fait pour le bras d'un fauteuil destiné à Marie-Louise; le Portrait de mademoiselle Mayer, et un profil de l'Impératrice Marie-Louise, qui est de l'effet le plus délicat et du travail le plus souple.

MM. de Goncourt préparent en ce moment : « Chardin, Latour, Greuze, Moreau,

et les vignettistes Debucourt, Fragonard, l'École de Watteau, les Amateurs, Boquet, dessinateur des costumes de l'Opéra, Clodion le sculpteur, Germain l'orfévre, Riesener l'ébéniste, études qui ne dépasseront pas seize livraisons, et pour lesquelles les auteurs font appel à toute personne assez bienveillante à leur œuvre pour leur communiquer les documents, les renseignements ou les objets d'art capables d'éclairer leurs recherches biographiques. » Il serait désirable qu'ils obtinssent de M. Louis Perrin des têtes de pages, des lettres ornées et des culs-de-lampe imités de ces livres du XVIIe siècle qui en contiennent tant de charmants. Il faut que, lorsque la main soulève la couverture de ces plaquettes, si distinguées et par l'esprit qui les anime et par l'exécutiou typographique, l'œil puisse ne pas dire tout d'abord à l'esprit que François Boucher était un contemporain des Valois. Les ornements du XVIe siècle ne peuvent évidemment pas servir indifféremment pour toutes les époques.

PHILIPPE BURTY.

Reims, Brissart

HISTOIRE DE LA VILLE DE REIMS, DEPUIS SA FONDATION JUSQU'A NOS Jours, 1 vol. in-12 de 180 pages avec planches. Binet, 1861.

Il est peu de villes qui puissent autant intéresser l'antiquaire et l'archéologue que la vieille cité des sacres « dont l'origine se perd dans la nuit des temps, » comme disent tous les Guides, et comme le répète celui que nous avons sous les yeux. Aux monuments romains ont succédé les monuments du moyen âge, et parmi ceux-ci l'église de Saint-Remi et la cathédrale occupent le premier rang, non-seulement dans la cité, mais encore dans l'histoire de l'art français.

On ne connaît bien la sculpture du XIIIe siècle qu'après avoir étudié et admiré les magnifiques statues de la cathédrale, qui est en outre l'un des monuments les plus homogènes que nous connaissions. Son trésor et sa bibliothèque possèdent des œuvres uniques, en bronze et en orfévrerie. Les toiles peintes, le sarcophage antique de cette basilique, sont célèbres, de sorte que celle-ci est un musée en même temps qu'une église. Ce sont toutes ces richesses que fait connaître l'Histoire de la ville de Reims éditée par M. Brissart-Binet, libraire de la Société des bibliophiles rémois. Une histoire monétaire de Reims, excellente innovation, sert d'introduction au livre, qui est surtout un guide historique à travers la ville. Une nomenclature des usages singuliers du moyen âge doit surtout être remarquée. Une bibliographie rémoise termine le volume, mais celle-ci est fort incomplète, car elle ne signale ni les Trésors de Reims, ni Notre-Dame de Reims, par M. Tarbé, ni plusieurs des livres qui ont été écrits sur l'intéressante cité. Notons enfin que certaines parties, comme la description de la cathédrale, ne perdraient rien à être plus étendues.

A. D.

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