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XI.

THESÉE TUANT LE

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CENTAURE EURYTION.

avec Ulysse déguisé en mendiant, tel qu'Homère le raconte au XIX chant de l'Odyssée 1. Par la composition, cet ouvrage est digne de la scène qu'il reproduit et qui est une des plus belles du poëme. Zeuxis était auteur d'une Pénélope dans laquelle il semblait avoir peint, dit Pline, les mœurs de la reine d'Ithaque. Je retrouve la vingt-quatrième idylle de Théocrite mise en tableau dans la peinture qui représente Alcmène et Amphitryon témoins de l'exploit d'Hercule enfant contre les serpents 2. Une peinture monochrome sur marbre, dont nous donnons la gravure, et qui représente Thésée tuant le centaure Eurytion au moment où il enlevait Hippodamie, peut avoir été inspirée par la description qu'a faite Ovide de ces noces sanglantes de Pirithoüs. Cette œuvre remarquable a été trouvée dans les fouilles de Résine, et elle a été attribuée par Winckelmann à un artiste athénien nommé Alexandre, dont la signature se lit sur un autre tableau du même genre qui représente des femmes jouant aux osselets'. Deux autres peintures également monochromes et sur marbre ont été jugées venir du même pinceau. On remarque dans ces tableaux vantés par Winckelmann de la justesse, de la grâce et une étude sérieuse du corps humain. Parrhasius, Zeuxis et, si l'on en croit Pétrone, Apelle, avaient laissé des chefs-d'œuvre dans le genre monochrome qui ont fait l'admiration de l'antiquité.

Un tableau précieux pour la connaissance de la peinture antique est celui dans lequel on a reconnu Briséis enlevée de la tente d'Achille par les hérauts d'Agamemnon. Cette composition, la plus riche en figures, si je ne me trompe, après la mosaïque de la bataille d'Issus, qu'aient présentée les fouilles, mérite d'être décrite en détail. Je laisse la parole à Raoul Rochette, qui a donné de cette peinture une lithographie dans ses Monuments inédits : « Achille est assis, à l'entrée de sa tente, sur un siége richement orné d'ivoire. Il a la partie supérieure du corps nue, et le reste enveloppé dans un pallium de couleur rouge. Il porte le parazonium suspendu sur sa poitrine, et tient en main le sceptre, sans doute le même sceptre que, dans sa colère, il a jeté à terre dans le conseil des Grecs, et sur lequel il a prononcé le redoutable serment de forcer au repentir le prince qui l'a offensé; de l'autre main, étendue avec autorité vers les deux hérauts, il donne à Briséis l'ordre de les suivre. A la gauche du héros, un de ses compagnons, qui ne peut être que Patrocle, vu par le

4. Herculanum et Pompéi, peintures, 2 série, pl. 98.

2. Ibid., pl. 9. Zeuxis avait peint une Alcmène dont il est question dans Pline. 3. Ibid., pl. 17.

4. Satyricon, LXXXII.

5. Achilléide, pl. xix; Hercu'anum et Pompei, peintures, 2e série, pl. 72.

dos, conduit par la main de la jeune captive, qui, la tête légèrement inclinée et appuyée sur sa main droite, semble suivre à regret l'ordre qu'elle écoute et la main qui l'entraîne. Briséis est vêtue d'une tunique longue, par-dessus laquelle est jeté un long péplus d'une étoffe fine et transparente, terminée en frange, dont elle se couvre la tête. Son attitude, l'expression de son visage où se peignent la surprise, le regret et la pudeur, composent une figure pleine de grâce et de naturel. Du côté opposé se reconnaissent, au caducée d'or qu'ils portent à la main, les deux hérauts d'Agamemnon, Eurybate et Thaltybius, l'un desquels détourne la tête, sans doute afin de témoigner la confusion ou la pitié qu'il éprouve. Derrière le siége d'Achille, un vieillard, probablement Phénix, le menton appuyé sur sa main, l'œil fixé sur son élève, ne se montre occupé que des chagrins qu'il pénètre et des malheurs qu'il prévoit; et, sur un plan éloigné, apparaissent cinq Mirmidons debout, appuyés sur leur lance et presque entièrement cachés sous leur large bouclier thessalien. Le fond est formé par une porte ouverte, probablement celle qui conduit à l'appartement des captives, et que décore une draperie dans le goût antique.

« L'ordonnance de ce tableau, ajoute Raoul Rochette, est certainement une des plus remarquables entre toutes celles des peintures antiques que nous possédons. La disposition des personnages sur plusieurs plans diffère essentiellement de ce que nous voyons pratiqué sur le plus grand nombre de ces peintures, où les figures sont placées sous un seul plan, presque toujours assez espacées, dans le goût du bas-relief. La figure d'Achille est pleine de fierté ; le mouvement en est naturel et vrai, et sa tête est d'un beau caractère. J'ai déjà remarqué la figure de Briséis, comme une des meilleures, sous le rapport de l'ajustement, de l'attitude et de l'expression, que nous aient offertes jusqu'ici ces peintures antiques, dans lesquelles on ne peut raisonnablement trouver à louer que l'imitation heureuse d'un bon modèle, mais qui n'en témoignent pas moins, dans la médiocrité même de leur exécution, à quel point la pratique du dessin était familière et perfectionnée chez les anciens, puisque ces peintures, d'un ordre tout à fait secondaire, exécutées dans une petite ville de province et à l'usage de simples particuliers, dans un siècle où les arts étaient depuis longtemps déchus, et par la main d'ouvriers habiles plutôt encore que de véritables artistes, peintures produites d'ailleurs par des procédés très-expéditifs, et, pour ainsi dire, au bout du pinceau, -nous présentent néanmoins tant d'intentions pittoresques et de motifs heureux, un goût de dessin généralement si élevé, des formes d'ajustement si nobles, des caractères si bien saisis et rendus avec tant de facilité, de grâce et de naturel. »

XI.

Un tableau trouvé à Pompéi représente l'atelier d'un peintre faisant un portrait. L'artiste est à son chevalet; près de lui est la table de marbre dans laquelle un certain nombre de trous contiennent les diverses teintes dont il doit faire usage. Son modèle est devant lui. Mais peintre et modèle ne sont que des pygmées. N'y a-t-il pas là comme une intention ironique dans la pensée de l'artiste, une allusion à la décadence de l'art? Les peintres de l'école de Pline pouvaient s'avouer à euxmêmes qu'ils n'étaient que des nains auprès des géants de l'art.

La peinture antique, depuis le temps de sa première floraison en Grèce jusqu'à celui où nous transportent les fresques de Pompéi et d'Herculanum, avait parcouru le cycle entier de ses progrès et de sa décadence. D'abord épique et religieuse, dans la grande école athénienne, elle avait retracé sur les murailles des monuments, et d'après des principes architecto-symétriques, les grandes traditions nationales : c'est l'époque de Polygnote, l'époque de l'invention et de la fécondité. Plus tard, avec l'école ionienne, elle s'était détachée des murailles pour suivre une voie indépendante, et, en même temps, elle avait commencé à se préoccuper davantage du détail des formes et des effets du coloris; elle avait cherché la grâce, le côté séduisant de l'art, et aussi l'expression dramatique c'est l'époque de Zeuxis, de Parrhasius, de Timanthe; aux grandes compositions, traitées dans un style sévère, avaient succédé des tableaux d'un effet plus concentré, offrant à l'imagination et aux sens des sujets plus intéressants, d'une exécution plus vive et plus brillante. Enfin, la peinture avait atteint sa perfection dans Apelle, qui résume les qualités des écoles diverses, mais qui semble avoir consacré les ressources de son génie et de son art plutôt à produire des figures d'une beauté achevée et d'un caractère saisissant, que des compositions dramatiques. Après Apelle la décadence commence.

:

L'école égyptienne rattache la peinture aux murailles, d'où elle était descendue sur les chevalets; mais, au lieu de monumentale qu'elle avait été à l'origine, la peinture se fit alors décorative. Des palais de l'Égypte et de l'Asie, elle passa sous cette forme aux édifices publics et particuliers des Romains. M. Raoul Rochette a parfaitement caractérisé le mérite et les défauts des peintures de Pompéi. Les diverses peintures murales exécutées en Italie depuis le règne d'Auguste jusqu'à l'époque des Antonins paraissent, d'après les échantillons qui nous en restent,

avoir eu une valeur à peu près égale; ce qu'elles montrent surtout, c'est une productivité et une variété dont la source ne peut être que dans un fonds intarissable d'anciennes créations, où allaient puiser les artistes.

Les peintures murales que nous possédons, tout en confirmant l'idée qu'on avait dû se faire de la peinture antique en général, d'après les textes, témoignent cependant d'une nature de progrès et d'un genre de ressources qui ne semblaient pas devoir lui être attribués. Sur la perfection des peintures antiques au point de vue du dessin et de la beauté. absolue des formes, il n'y avait aucun doute. L'enlèvement de Briséis et la bataille d'Issus prouvent que les artistes grecs savaient aussi ordonner de grandes compositions, qu'ils y distribuaient les personnages sur des plans divers avec une grande variété d'attitudes, et ne se bornaient pas toujours à reproduire dans le tableau les qualités les plus pures du basrelief. Le tableau de Mars et Rhéa Sylvia a même démontré qu'ils connaissaient l'emploi dramatique du paysage, car, dans cette peinture si curieuse qui a été décrite plus haut, le caractère sauvage du site et la manière dont la lumière y descend sur les figures concourent d'une façon remarquable à l'effet général. Le tableau d'Iphigénie atteste la puissance d'expression pathétique qu'ils savaient donner aux figures. Quant au défaut de perspective, volontaire ou non, qu'on a relevé dans quelques paysages, on ne saurait de bonne foi rendre la grande peinture antique responsable des fautes ou des caprices d'un scénographe de la décadence.

Néanmoins, si les peintres anciens n'ont pas ignoré les effets que la peinture peut tirer du groupement des personnages, de l'expression des visages, de la couleur, du clair-obscur, il ne paraît pas qu'ils aient fait de ces connaissances un usage comparable à celui qu'en ont fait les modernes. Leurs tentatives dans cet ordre de ressources, d'où la peinture tire ses effets les plus dramatiques, ont été des exceptions que permettait l'état de leurs connaissances et que produisait le sentiment individuel, mais vers lesquelles le goût général de l'antiquité ne poussait pas les artistes. Le génie de l'antiquité grecque, sur laquelle se forma le goût romain, la ramenait toujours vers la plastique et lui faisait trouver, aussi bien en peinture qu'en sculpture, la perfection de l'art dans la reproduction savante et idéale de la beauté humaine.

LOUIS DE RONCHAUD.

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