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fait disparaître la voûte et rend la chapelle semblable à un temple hypèthre.

Ce coloris étincelant qui distingue la peinture du Saint Michel se retrouve dans l'Héliodore, mais avec moins d'harmonie et d'unité. Les bijoux, les vases répandus sur les dalles du temple, les somptueuses étoffes qui couvrent l'envoyé de Séleucus, l'armure brillante de l'ange du Seigneur sont l'œuvre d'un coloriste qui connaît toutes les richesses, tous les secrets de la palette. Si l'on découvre, dans cette composition diffuse, des rapports partiels de tons dont la délicatesse est admirée des plus habiles, on regrette d'y rencontrer, au lieu de cette harmonie générale qui captive le regard, un éparpillement qui l'inquiète et l'éblouit. On pourrait encore désirer dans cette œuvre plus de largeur, plus d'air aux premiers plans, où les personnages en action paraissent adhérer les uns aux autres; on pourrait relever dans le dessin des défaillances trop sensibles, si l'on ne savait le peu d'importance que M. Delacroix semble attacher à cette partie de son art.

Mais pourquoi reprocher à un artiste de n'avoir pas fait ce qu'il n'a point voulu faire? La critique ne doit-elle pas, au lieu de chercher à découvrir les fautes qui déparent une œuvre, signaler les qualités qui la relèvent? Louons donc l'habileté singulière avec laquelle M. Delacroix a jeté de l'intérêt dans toute sa composition. Le panneau qu'il avait à couvrir était fort étroit pour la hauteur; il l'a rempli avec une riche architecture qui répond bien à l'idée que nous pouvons nous faire du temple de Jérusalem dont les dimensions colossales parlaient si fortement à l'imagination du peuple; il l'a animé dans sa partie supérieure par le groupe du grand prêtre entouré de ses lévites, et il a ingénieusement relié cette scène d'effroi et de surprise avec le drame du châtiment par la figure de femme qui monte l'escalier, et par celle de l'ange qui fond, tête baissée, sur Héliodore. Admirons surtout, en toute sincérité, le beau paysage du Jacob. Ce paysage, il est vrai, n'affecte ancune des formes qu'on nomme historiques, mais son agreste et orientale beauté le rend digne d'encadrer un sujet biblique. Les arbres avec leurs troncs robustes et noueux, avec leur feuillée qui se détache en larges masses sur l'azur du ciel, les montagnes avec leur silhouette simple et majestueuse, frappent tout d'abord par la grandeur de l'aspect; puis les accidents si bien rendus des terrains sur les premiers plans, le brisement des eaux du torrent contre les pierres qui entravent son cours, les lauriers dont la sombre verdure s'enlève si heureusement sur les tons animés des lointains et contraste avec les reflets du soleil sur le sommet des monts, tout arrête et charme le regard. La longue caravane qui se déroule dans la cam

pagne, qui paraît et disparaît derrière ses replis, nous reporte bien loin en arrière et nous fait remonter à ces âges primitifs où les patriarches, errant au milieu d'une nature immense et solitaire, allaient poussant devant eux leurs serviteurs et leurs troupeaux.

Cette composition, ainsi que les deux autres, a été exécutée à la cire. M. Delacroix a su réveiller la froideur et l'aspect mat de ce procédé par un éclat et une transparence inconnus avant lui. Si, dans cette chapelle, il n'a satisfait, croyons-nous, ni aux lois de la peinture religieuse, ni aux conditions de la peinture monumentale, il a déployé en revanche toutes les richesses de son imagination et montré la hardiesse, le feu, qui caractérisent d'autres œuvres de sa main qui furent et restent justement célèbres. Qu'on éprouve de l'éloignement ou de la sympathie pour son génie, il n'en reste pas moins acquis pour tous que, par l'expression violente de ses figures, par un certain lyrisme tout moderne, par l'intelligence de l'ensemble, et enfin par un coloris harmonieux, fin et rare, M. Delacroix est un maître profondément original, un maître qui ne relève que de lui-même et qui représente assurément une des faces les plus intéressantes de l'art au XIXe siècle.

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POMPÉI

ET

LES ANTIQUITÉS DU VÉSUVE1

VI.

La peinture antique a eu ses chefs-d'œuvre, comme la sculpture et l'architecture. Les écrits des anciens sont pleins de l'admiration qu'elle leur inspirait. Son développement, en Grèce, précède celui de la sculpture, et Phidias dut en partie son éducation aux chefs-d'œuvre de Polygnote. Celui-ci, le premier en date des grands peintres grecs, fut, comme l'on sait, un peintre thasien venu à Athènes, où il jouit de l'amitié de Cimon et décora plusieurs édifices publics, entre autres le Pœcile. Polygnote exécutait sur des tablettes de bois, que l'on fixait ensuite sur les murailles, de grandes compositions religieuses; il fut le premier à donner de l'expression aux visages, ce qui lui valut le nom d'Éthographe (peintre de caractères); il donna également de la souplesse aux draperies. Lucien vante la beauté et la grâce de ses figures de femmes, qu'il revêtit le premier, suivant Pline, d'habits éclatants, et qu'il coiffa de mitres aux couleurs variées. Le caractère de ses compositions paraît avoir été la grandeur et la noblesse, avec le profond et religieux sentiment de la poésie des mythes et des traditions populaires. Après lui, Apollodore d'Athènes, dit le Sciagraphe, s'appliqua à l'étude des lumières et des ombres, et fit ainsi faire un grand pas à son art; ni lui ni ses imitateurs ne purent toutefois parvenir à faire préférer sérieusement par le goût des Grecs le charme varié des nuances à la pure beauté des formes 2.

4. Voir la Gazelle des Beaux-Arts du 1er novembre. 2. Ottfried Müller, Manuel d'archéologie, §§ 134-137.

Apollodore fut le maître de Zeuxis d'Héraclée. Le nom de Zeuxis préside à la seconde époque de la peinture grecque, époque où régne l'école ionienne, qui succède à l'école attique représentée par Polygnote et ses élèves. Cette école nouvelle incline vers une manière de peindre plus facile et plus molle. Aux grandes compositions de Polygnote, Zeuxis fit succéder des figures isolées de dieux et de héros dans lesquelles il s'appliqua à exprimer tantôt la majesté, tantôt la grâce. Il exerça son art dans la Grande-Grèce, et ce fut pour Crotone suivant Cicéron, pour Agrigente suivant Pline, qu'il peignit sa célèbre Hélène. On lui attribue d'avoir créé le type de la Centauresse dont nous trouverons plusieurs exemples à Pompéi. De son vivant, Zeuxis eut pour rival Parrhasius d'Éphèse, le peintre asiatique, dont les mœurs satrapiques s'accordaient avec la mollesse et la subtilité qui régnaient dans ses ouvrages. Un de ses grands mérites paraît avoir consisté dans la manière dont il sut rendre et faire sentir aux yeux les contours des figures. Doué d'une vanité outrecuidante, comme il arrive souvent aux hommes qui excellent dans quelque partie technique de l'ait sans en comprendre la vraie grandeur ni la vraie beauté, il crut avoir atteint les limites de la peinture. Cependant il fut vaincu dans une lutte contre Timanthe; celui-ci l'emporta avec ce fameux tableau du Sacrifice d'Iphigénie, dans lequel les Grecs admiraient toutes les gradations de la douleur jusqu'à l'expression impossible figurée par le voile étendu sur le visage du père de la victime. En opposition avec l'école ionienne, et différente également de l'école attique, on vit se développer l'école de Sicyone, fondée par Pamphyle, école savante, destinée par la pureté et la correction du dessin à ramener la peinture des voies où elle semblait disposée à s'égarer en négligeant la ligne pour la couleur 1.

Enfin Apelle parut; ce nom résume à bon droit pour nous tous les progrès et toutes les gloires de la peinture antique. Enfant de l'lonie, il sut unir à la grâce, au charme voluptueux, au coloris brillant des maîtres ioniens la pureté savante et la sévère correction de l'école de Sicyone. Toutes ces qualités réunies parurent portées à un haut degré dans le plus célèbre de ses tableaux, la Vénus Anadyomène ; on y admira surtout ce don suprême de la grâce, cette divine charis qu'on pourrait appeler la fleur de l'art, et qu'un concours de circonstances propices peut seul faire épanouir à son sommet. Les sujets héroïques ne convenaient pas moins au génie d'Apelle. Il peignit pour le temple de Diane, à Éphèse, un Alexandre

1. O. Müller, Manuel d'archéologie, §§ 138-140.

2. Ibid., § 142.

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