Page images
PDF
EPUB

UN

BAS-RELIEF D'ANTONIO ROSSELLINO

A peinture et la sculpture, dit Vasari, ces deux sœurs nées le même jour et gouvernées par la même âme, n'ont jamais fait un pas l'une sans l'autre. Cela est vrai surtout des progrès qui s'accomplirent en Italie à partir de la première renaissance. Dans d'autres pays, en France par exemple, les deux arts ne suivent pas toujours cette marche parallèle. La sculpture ne laisse pas d'abord de devancer la peinture d'assez loin et de se comporter, vis-à-vis d'elle, bien moins en sœur jumelle qu'en aînée. Quelle distance entre les monuments que nous ont légués nos sculpteurs du moyen âge et les œuvres du pinceau appartenant à la même époque! Quelle inégalité entre les statues qui décorent la cathédrale de Chartres ou la cathédrale de Reims, et les miniatures, les verrières même, si remarquables qu'elles soient, peintes au temps où le ciseau taillait ces robustes images! Le XIIIe siècle, l'âge d'or, à vrai dire, de l'architecture et de la sculpture nationales, demeure dans notre pays une période presque stérile pour la peinture; ou plutôt, celle-ci, tout en multipliant ses produits, ne fait pas acte de force personnelle, de vie propre. Elle s'immobilise dans l'imitation de certaines formes conventionnelles, dans la pratique de certaines traditions étrangères à la recherche du vrai, et lorsque, trois siècles plus tard, la statuaire française a reçu, sous la main de Jean Goujon, sa consécration définitive, aucun maître n'a paru encore dont l'influence ait renouvelé chez nous, constitué même la doctrine pittoresque. Jean Cousin, malgré la noblesse de ses inspirations et l'énergie de ses efforts; les artistes qui travaillent à Fontainebleau, malgré leurs visées ambitieuses; les dessinateurs de

[graphic]

crayons, malgré la finesse souvent exquise de leur manière, n'ont et ne sauraient avoir, dans l'histoire de la peinture en France, que le rôle de précurseurs. Ils annoncent les progrès futurs de notre école plutôt qu'ils n'en installent la gloire; ils ne font que reconnaître, que préparer la voie où de plus hardis et de plus forts entreront bientôt pour la parcourir jusqu'au bout. Cousin est, si l'on veut, le Ronsard de cette autre Pléiade, en ce sens qu'il garde, parmi les artistes contemporains, l'attitude et le bon vouloir d'un réformateur; il ne s'ensuit pas, toutefois, que l'art soit régénéré pour cela. A peine réussit-il à laisser pressentir sa régénération prochaine, et si la sculpture a produit déjà plus d'un chefd'œuvre digne des chefs-d'œuvre littéraires qui vont suivre, le temps n'est pas venu où la peinture française aura dans Poussin son Corneille : elle n'a eu encore que ses Brantôme ou ses Amyot dans les portraitistes du xvIe siècle.

En Italie, au contraire, nul temps d'arrêt, nulle inégalité de croissance entre les diverses branches de l'art, une fois que la séve a commencé d'y circuler et d'y stimuler la vie. Tandis que Nicolas de Pise et ses disciples ouvrent pour la sculpture l'ère des progrès féconds et des réformes décisives, Giunta de Pise, Ventura et Ursone de Bologne, Margaritone d'Arezzo, d'autres peintres encore, antérieurs même à Cimabue, s'emparent des exemples fournis par le ciseau pour essayer de donner à leurs propres travaux une correction relative et une certaine vraisemblance. Avec Cimabue et surtout avec Giotto, le progrès se continue, les intentions s'affirment, une sorte d'âpre véracité devient l'élément essentiel, la condition nécessaire de toute œuvre du pinceau, de même que les statues ou les tombeaux sculptés dans les églises accusent de plus en plus cette énergique naïveté du style, cette mâle sincérité. Tout change, il est vrai, après que les deux générations des Giotteschi ont, dans leurs tableaux aussi bien que dans leurs bas-reliefs, achevé de définir la doctrine du maître et d'en populariser les principes. Depuis le Triomphe de la Mort, peint à Pise par Andrea Orgagna, le sculpteur du tabernacle d'Or' san Michele, jusqu'aux fresques de Lorenzo de' Bicci sur les murs de l'hôpital de Santa Maria Nuova à Florence; depuis la porte de bronze ciselée par Andrea Pisano pour le baptistère de SaintJean et les bas-reliefs qui décorent la façade de la cathédrale d'Orvieto, jusqu'au tombeau de Francesco Pazzi dans le cloître de Santa Croce, le nombre est grand de ces œuvres austères où le ciseau et le pinceau semblent avoir obéi aux mêmes inspirations, à la même discipline, aux mêmes lois. Mais lorsque cette première révolution est partout accomplie, lorsque les élèves de Giotto et les successeurs de ceux-ci ont pieu

[graphic][subsumed][merged small][merged small]

sement continué, jusqu'à la fin du xive siècle, la tradition inaugurée par le chef de l'école, une nouvelle phase commence où l'art italien, sans abjurer au fond ses croyances, s'efforce d'en varier ou d'en assouplir les termes. Quelque chose d'ému et d'attendri s'insinue sous la majesté du style; la diversité des expressions et des types rajeunit les lignes consacrées et en anime l'aspect sans y introduire le désordre. C'est l'époque où Fra Angelico peint ses doux chefs-d'œuvre; où Masaccio interprète la réalité contemporaine avec une sagacité admirable, tandis que Ghiberti cherche à allier, dans ses deux célèbres portes, la correction de l'art antique au sentiment religieux du moyen âge, que Luca della Robbia trouve le secret de fixer sous l'émail le chaste sourire de ses vierges, et que le plus grand des sculpteurs italiens avant Michel-Ange, Donatello, réussit à concilier l'ingénuité avec la science, l'exquise délicatesse dans le faire avec la fermeté des intentions. Survient MichelAnge, qu'il suffit de nommer pour rappeler les œuvres les plus prodigieuses de l'art moderne et la réforme la plus radicale que jamais artiste ait osé entreprendre : réforme légitimée d'abord par l'éclat des succès, révolution glorieuse tant qu'elle se poursuit sous l'autorité directe et par les mains du maître, mais bientôt excessive comme toutes les révolutions; pernicieuse, ridicule même lorsqu'elle prétend s'établir comme un principe, et que les sophistes pittoresques s'efforcent d'ériger en système le régime de la fantaisie et de la violence. Tout est entraîné alors dans ce mouvement de vertige, tout se précipite vers la ruine. La décadence de la statuaire suit d'un pas égal la décadence de la peinture, jusqu'au jour où l'art italien tout entier, façonné au joug des Borromini et des Bernin, achève de s'affaisser, de s'humilier encore, et tombe, d'excès en excès, dans l'engourdissement, l'opprobre et la mort.

Nous n'avons pas à insister ici sur cette époque finale, ni à saluer d'hommages qui ne sauraient être que des redites la gloire sans rivale des maîtres appartenant au XVIe siècle. Ce que nous voudrions seulement rappeler en quelques mots, c'est la période intermédiaire entre les premières conquêtes et les triomphes éclatants, entre les débuts et le moment où l'art parvient à son apogée; c'est le rôle, un peu oublié en France, de ces sculpteurs, disciples ou imitateurs de Donatello, qui, tout en continuant la tradition du maître, surent la développer dans le sens de leurs propres inspirations, et ajouter à la physionomie de l'école des agréments d'autant plus caractéristiques qu'ils contrastent avec la fierté prochaine des formes et la solennité de l'attitude. La très-fidèle eauforte, d'après un bas-relief d'Antonio Rossellino, que publie aujourd'hui la Gazette des Beaux-Arts, est un témoignage des inclinations com

« PreviousContinue »