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nent notre esprit aux temps fabuleux, aux temps héroïques, et s'adressent au sentiment du voyageur en lui faisant croire qu'elles n'ont pu être détachées des montagnes et superposées que par les frères des Titans. Sous un autre aspect, la solidité de l'architecture touche à sa beauté. Un bâtiment qui ne serait pas solide ou qui le serait sans le paraître, lors

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même qu'on l'aurait fait admirable, ne nous laisserait pas le loisir de l'admirer, parce que la seule menace d'un péril troublerait en nous l'impression du beau. De là ce principe, sur lequel nous aurons souvent à revenir, que dans tous les ouvrages de l'architecture la solidité doit être, non-seulement réelle, mais apparente.

IV.

A CES TROIS TERMES, CONVENANCE, SOLIDITÉ, BEAUTÉ, CORRESPONDENT TROIS
OPÉRATIONS DE L'architecte LE PLAN, LA COUPe, l'élévation.

On entend par ces trois mots, le plan, la coupe, l'élévation, trois genres de dessin par lesquels l'architecte se rend compte à lui-même des divers aspects de son édifice futur, sous les trois dimensions, hauteur, largeur et profondeur.

Le Plan est le tracé de toutes les lignes que présenterait l'édifice s'il

était scié horizontalement au ras du sol. Il indique la distribution du bâtiment en faisant distinguer au constructeur les pleins d'avec les vides et en marquant ainsi la place que chaque partie occupera dans la construction. Que si le bâtiment a plus d'un étage, la disposition particulière de chaque étage est dessinée dans un plan particulier. Les Grecs avaient ingénieusement comparé le plan d'un édifice à l'empreinte que laisse par terre le

EXEMPLE DE PLAN.

Temple de la Victoire Aptère, à Athènes.

pied d'un homme. Aussi appelaient-ils le plan ichnographie, du mot ivos, qui signifie l'empreinte du pied.

La Coupe, qui dans les vieux livres s'appelle aussi profil, est le dessin qui figure l'édifice tel qu'il s'offre à notre pensée quand nous l'imaginons coupé, scié verticalement, soit dans le sens de sa façade principale, soit parallèlement à ses côtés. En d'autres termes, la coupe représente le bâtiment comme si l'architecte, pour nous en montrer l'intérieur, avait enlevé une des façades. La coupe est dite transversale lorsqu'on suppose l'édifice coupé suivant la ligne qui en mesure la largeur; la coupe est dite longitudinale lorsqu'on suppose l'édifice coupé suivant la ligne qui en mesure la longueur.

On désigne enfin par Élération le genre de dessin au moyen duquel l'architecte se représente la construction telle qu'elle s'élèvera au-dessus

de la ligne de terre. Par les élévations, qu'on appelle aussi plans relevés, l'architecte dessine donc le frontispice et les façades latérale et postérieure; il ne nous montre que les dehors de l'édifice, en sorte que la distribution en reste cachée. L'élévation est dite géométrale quand elle dessine le bâtiment de face ou de profil par des lignes verticales et horizontales, c'est-à-dire par des lignes qui se coupent à angles droits; voilà pourquoi les Grecs appelaient ce genre de dessin orthographie, du mot opoòs qui signifie droit. Mais le mot orthographie demande encore une explication. Obligé de montrer au constructeur le développement tout entier de chaque surface, c'est-à-dire d'accuser les formes, non pas telles que les verra le passant, mais telles qu'elles seront en réalité, l'architecte suppose l'œil du spectateur placé à angle droit sur tous les points à la fois et toujours à la même distance, supposition évidemment contraire à l'action visuelle, et qui fait de l'élévation géométrale un dessin de convention.

L'élévation est dite perspective quand elle représente le bâtiment à la fois de face et de côté, par le moyen de lignes obliques qui le font paraître en raccourci, conformément, cette fois, à l'action visuelle. C'est ce que les Grecs appelaient scénographie, parce que les décorateurs de la scène lui prêtent une profondeur feinte en y peignant les objets en perspective.

De ces trois espèces de dessins, un seul se rapporte directement à la beauté, c'est l'élévation.

Le plan peut sans doute offrir un bel ensemble de lignes, et pour ainsi dire le squelette de la beauté future; mais ces lignes sont étrangères à l'impression qu'éprouvera le plus grand nombre des spectateurs, même quand ils auront pénétré dans l'édifice. Un plan, ayant trait surtout à la convenance, doit être surtout convenable. Toutefois, si le plan est simple, l'élévation en général sera simple; si le plan présente de nombreuses

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découpures, beaucoup de lignes brisées, l'élévation présentera aussi une multitude de ressauts qui rapetisseront l'effet de l'architecture. On peut

donc pressentir, à la vue des plans d'un architecte, en quoi le monument profitera de leurs qualités ou souffrira de leurs défauts; mais cela n'est facile qu'à un juge exercé. Lorsque Michel-Ange, architecte du pape, voulait donner au plan de Saint-Pierre de Rome la forme d'une croix grecque,

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il prévoyait que ce plan serait favorable à la beauté de l'élévation, parce le que spectateur apercevrait ainsi de tous les points de la croix l'immense coupole qui domine la basilique; tandis que si l'on préférait la forme d'une croix latine, le spectateur serait privé d'apercevoir dès l'entrée la majesté de cette coupole immense.

La coupe concerne les agencements secrets de la construction, elle montre l'épaisseur des murs, la force des voûtes, l'ajustement des charpentes; elle ne saurait donc avoir, en ce sens, aucune relation avec la beauté, puisqu'elle représente ce que le spectateur ne verra jamais et ce que l'architecte ne voit lui-même qu'avec les yeux de sa pensée. Mais la coupe a aussi pour objet d'indiquer, depuis la base jusqu'au sommet, les formes et les dimensions intérieures de l'édifice. Elle montre l'aspect qu'il offrira au dedans, l'effet que produira sa profondeur, la manière dont il pourra s'éclairer, et jusqu'aux décorations dont il sera enrichi; de sorte que la coupe peut être considérée, sous ce rapport, comme une élévation intérieure.

C'est donc surtout dans les élévations que se manifeste le génie de l'architecture. C'est là que le constructeur devient artiste, c'est là que les monuments dignes de ce nom portent l'empreinte du sublime ou celle du beau.

Nous avons à rechercher maintenant quelles sont les sources du sublime ou du beau dans l'architecture.

V.

LE SUBLIME DE L'ARCHITECTURE TIENT A TROIS CONDITIONS ESSENtielles :
LA GRANDEUR DES DIMENSIONS, LA SIMPLIcité des surfACES,

LA RECTITUDE ET LA CONTINUITÉ DEs lignes.

:

LA GRANDEUR DES DIMENSIONS. Parmi les monuments de l'architecture qui ont fait l'étonnement de tous les siècles, il n'en est pas un seul qui, réduit à de petites dimensions, ne perdit immédiatement ce caractère de solennité sublime qui donne une secousse à notre âme. Il en est des spectacles qui frappent nos yeux comme des sons qui frappent nos oreilles le sublime s'y trouve lié à l'idée d'une force imposante, d'une puissance extraordinaire, imprévue, terrible. De même que le roulement du tonnerre, le mugissement de la mer ou de la tempête, le bruit du canon, produisent sur notre âme une impression sublime, de même les masses colossales de l'architecture nous saisissent d'étonnement et d'admiration par le sentiment qu'elles éveillent en nous d'une puissance formidable, rivale des puissances de la nature. Les pyramides d'Égypte, par exemple, en dehors de leur signification symbolique, ont un caractère

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