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types de ses personnages, empreints cependant d'une originalité assez grande pour qu'on ne puisse confondre ses productions avec celles d'au

cun autre.

Ses figures d'hommes ont souvent les traits du visage grimaçants et des têtes énormes jusqu'au grotesque, ou bien des masques d'une petitesse remarquable, avec des fronts extrêmement élevés. Ils sont maigres à l'excès, ils ont des membres décharnés, des extrémités d'une longueur démesurée; mais leurs attaches toujours fines et distinguées indiquent, sans qu'on puisse s'y méprendre, la race italienne. Ses figures de femmes sont plus agréables; elles ont d'habitude un corps élancé, des épaules tombantes et grasses qui arrêtent et fixent la lumière. Leur tête, d'une grande ténuité, est posée sur un cou trop fort; leur regard est plein d'un sentiment pénétrant. Elles relèvent et nouent leurs cheveux sur le sommet de la tête; une longue tunique aux plis serrés et mouillés suit et trahit les formes ondoyantes du corps; ces derniers détails indiquent la connaissance et l'étude des monuments antiques, que Barbarj paraît avoir plus d'une fois reproduits avec son burin. Enfin, pour achever de caractériser le style de ce maître, nous dirons qu'il n'a pas saisi l'expression de la force, qu'il n'a recherché ni la beauté des formes ni la pureté des contours, mais qu'en dépit de son dessin, souvent incorrect, il a mis de la grâce dans les mouvements et de l'élégance dans les attitudes de ses personnages, modelés avec un soin qui révèle un coloriste délicat, un peintre raffiné qui, par ce côté, se rattache à l'école de Giovanni Bellini et de Giorgione.

EMILE GALICHON.

CORRESPONDANCE PARTICULIÈRE

DE LA GAZETTE DES BEAUX-ARTS

Bruxelles, 18 octobre 1861.

En Belgique, comme partout, on restaure avec respect les œuvres d'art du passé; on donne une seconde jeunesse aux tableaux et aux édifices. Les toiles et les panneaux rongés par le temps sont remplacés par des soutiens plus solides, garantis bons pour un ou deux siècles. Les édifices, de style ogival surtout, reprennent peu à peu une physionomie moins délabrée; et là où bientôt on devait voir des ruines, une intelligente, une patiente restauration éloigne pour longtemps toute idée de destruction, même partielle.

L'hôtel de ville, l'église de la Chapelle, la collégiale des Saints-Michel-et-Gudule, à Bruxelles, sont les principaux monuments aujourd'hui en bonne voie de reconstruction. Dans quelques années, ces spécimens d'un art qui ne manquait ni de grâce ni de grandeur auront revêtu entièrement leur nouvelle enveloppe, et pourront être admirés dans leur ensemble et dans leurs détails, pour la plus grande gloire des modestes artistes qui les ont conçus. C'est ce travail qui prouve le mieux le respect de la tradition et la vénération des grands maîtres. Mais toutes les imitations, qui ne sont que des marques d'impuissance, les chapelles, les théâtres, les palais, les statues et les tableaux « inspirés» des écoles et des artistes devenus classiques, ne devraient attirer l'attention et éveiller l'intérêt que des seuls archéologues. Compléter un édifice inachevé, ou lui rendre certaines beautés délicates et fleuries que le temps a transformées en grossières ébauches, rétablir ce que les révolutions ont détruit, ou ce que l'indifférence publique a trop longtemps laissé dans l'abandon, c'est à la fois respectueux, utile et charmant. Mais se donner la peine de recommencer les travaux d'une autre époque, parler une langue qui aujourd'hui est en architecture et en peinture ce que le syle de Rabelais est en littérature, il faut avouer que c'est trop enfantin.

Heureusement que les vieilles nouveautés où se complaisent beaucoup d'artistes de talent n'empêchent pas les restaurations des œuvres existantes. A l'église des SaintsMichel-et-Gudule, notamment, on a fait des travaux qui rendent peu à peu à ce monument son importance primitive. D'horribles maisons modernes avaient poussé comme des champignons contre ses murailles et les cachaient en partie; on les a abattues avec une lenteur prudente, sans doute pour se donner le temps de revenir sur la décision prise, si c'était nécessaire. Quelques-unes subsistent encore; on se prépare à les sacrifier. Ainsi bientôt l'église apparaîtra dans les nobles et élégantes proportions que son créateur lui avait données.

Non-seulement elle sera dégagée des deux côtés, mais le lourd escalier moderne qui conduisait à sa triple entrée, renversé depuis plusieurs années déjà, sera avant peu reconstruit dans le style de l'édifice. Il est en voie d'achèvement, et, sinon parfait, au moins d'un ensemble qui ne choque point les regards et qui ne fait pas trop de tort aux grandes lignes des tours auxquelles il sert de piedestal.

Cependant, puisque le plan conçu par l'auteur du monument existe, il fallait le suivre avec d'autant plus de scrupule qu'on voulait montrer de respect et de goût. Mais quel artiste peut s'effacer à ce point de n'être que l'exécuteur des idées d'autrui ?

Ce n'est pas seulement à l'extérieur que l'on complète la collégiale de Bruxelles. Déjà, il y a longtemps, on avait placé derrière le chœur des vitraux dont les dessins sont de M. Navez. Aujourd'hui, des verrières nouvelles, exécutées par M. J.-B. Capronnier, un des plus habiles peintres verriers de notre temps, attirent à bon droit l'attention des artistes et des critiques du pays, en attendant que leur renommée éveille l'intérêt des étrangers.

M. Capronnier, chargé de la décoration des croisées, y représentera l'histoire du saint-sacrement des miracles. Cette histoire du saint-sacrement est une longue légende brabançonne. Voici le fait, sans détails inutiles :

Un ciboire contenant des hosties sacrées, volé par Jean de Louvain, juif renégat, à l'instigation d'un autre juif, nommé Jonathas, fut apporté à Bruxelles par la veuve de ce dernier, que « des génies » avaient puni en l'assassinant. Ses coreligionnaires, à qui la veuve livra le ciboire, s'empressèrent, pour plaire au Dieu d'Israël, de percer à coups de poignard les saintes espèces qui contenaient le Verbe chrétien. Ce jeu sacrilége fit, à ce qu'il paraît, jaillir des hosties du sang véritable. Les audacieux incrédules, craignant que le crime fût découvert, et effrayés des suites qu'il pouvait avoir, payèrent une femme, nommée Catherine, ex-israélite convertie au christianisme, pour emporter le ciboire et les débris d'hosties à Cologne. Des scrupules de conscience poussèrent cette Catherine chez le prêtre qui l'avait convertie; les juifs, arrêtés, furent jugés, torturés. Forcés par la douleur, dit la très-naïve légende, quelques-uns confessèrent leur crime et nommèrent leurs complices; d'autres, « malgré le grand supplice qu'il souffraient, continuèrent à se dire innocents. » On n'est pas plus scélérat: aussi furent-ils condamnés à mort et exécutés.

Telle est, grosso modo, la légende dont M. Capronnier doit tirer quatorze sujets qui orneront les croisées de l'église des Saints-Michel-et-Gudule, où les débris des hosties lacérées sont conservés.

Trois vitraux sont placés, trois autres s'exécutent; ce travail important se fera sans doute sans interruption, les donateurs ne manquant pas plus en Belgique à notre époque qu'au xve siècle, lorsqu'il s'agit de décorer les églises. De sorte que bientôt la collégiale aura fait peau neuve, et acquis une valeur considérable, par cela seul que peu d'édifices du moyen âge ont été achevés, soit dans le temps où on les a commencés, soit dans les temps modernes.

Les trois premiers vitraux de M. Capronnier font bien augurer du grand travail qu'il a entrepris. Ils représentent : le premier, la veuve Jonathas remettant aux juifs de Bruxelles le ciboire volé par Jean de Louvain; à droite et à gauche sont les patrons de la donatrice, feu madame Van Thiegem, saint François et sainte Mélanie; - le second, offert par M. le doyen de Sainte-Gudule, M. Werhonstraeten: le percement des hosties, avec les patrons saint Louis et saint Joseph de chaque côté, et, dessous, saint Michel et sainte Gudule; — le troisième : les juifs remettant le ciboire à Catherine, et, en pendants

à droite et à gauche, saint Charles Borromée et sainte Eugénie; dessous, les armes du marquis de Trazegnies, donateur.

Une des grandes qualités de ces vitraux, c'est leur aspect vif et harmonieux, clair et doux, à la fois frais, lumineux et tranquille. Ces tons, d'une pureté délicieuse, comme ceux des travaux qu'on vient de terminer, se terniront sans doute sous l'influence de l'air et de la lumière; ils prendront ces teintes sobres et vigoureuses qu'on remarque aux anciennes verrières des chapelles de la Vierge et du Saint-Sacrement, dans la même église; mais ils ne seront pas plus harmonieux dans un siècle qu'on ne les voit aujourd'hui. Ce mérite n'est pas commun, et il faut le signaler d'abord.

Une étude plus approfondie de ces compositions fait de M. Capronnier un artiste de premier ordre dans ce genre avant tout archéologique. Ses figures ont le caractère digne et roide que comportait le syle du monument. Bien qu'elles soient d'un galbe plus pur que les figures du xve siècle, elles se recommandent par la même simplicité; ce qui leur manque peut-être, c'est cette sauvagerie primitive qui est à la fois gauche et grandiose. Mais on n'est pas facilement maladroit, et l'austérité est une qualité de nature qu'on n'acquiert point par l'étude. Et puis, quel que soit le talent d'un artiste, il ne sait pas se reporter en esprit dans les époques passées, et s'y abîmer tout entier aux dépens de sa personnalité. La science archéologique et la volonté de s'annihiler ne peuvent lutter avec avantage dans ces combats où l'homme s'efforce de n'être plus luimême. Ce sont donc bien, si l'on veut, des personnages du xve siècle qu'a dessinés et peints M. Capronnier; mais il les a conçus et exécutés de nos jours; — l'adresse dont il disposait, sa science, son talent, ses efforts, n'ont pu faire qu'il ne soit ni vivant, ni influencé par les moyens acquis depuis l'époque qu'il a voulu reproduire jusqu'au XIXe siècle.

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Si l'on analysait minutieusement ces peintures, qui censément sont l'image des styles qui caractérisent certaines périodes écoulées, on verrait qu'il n'y a que des aperçus, des apparences de reproduction, et que l'identité avec les modèles n'est pas parfaite. Pour arriver à des résultats plus complets, il faudrait que l'intelligence pût agir à la façon des machines photographiques.

Il ne serait guère possible d'obtenir un résultat meilleur que celui auquel est arrivé M. Capronnier. Il est savant et il est homme de goût ce ne sont pas des qualités précieuses pour conduire à bonne fin ces œuvres, qui sont plutôt des témoignages de respect que des conceptions individuelles?

Pour la décoration générale de chaque ogive, l'artiste s'est conformé au style des bas côtés de l'église, qui sont du xve siècle. Mais il a donné à tous les personnages figurant dans ses tableaux les costumes des époques auxquelles ils vivaient. Par là, il a mis de l'unité dans ses compositions, mais une unité que les peintres du xve siècle eussent traitée d'anachronisme. Toutefois, il respectait de cette façon les exigences de l'esprit moderne, qui, avec raison, se vante des études profondes qu'il a faites, et dont les connaissances suffisent à toutes les nécessités archéologiques.

Outre ces trois grands vitraux, deux plus petits, également l'œuvre de M. Capronnier, ont été placés depuis peu au-dessus des entrées latérales, de chaque côté de la porte principale. Ils représentent les patrons de la famille de Beauffort. C'est madame la comtesse de Beauffort qui en a fait don à la fabrique de l'église.

En Belgique, lorsqu'on s'occupe d'art, d'une église à un musée la transition n'est pas très-brusque. Je puis donc bien, pour finir cette lettre, vous apprendre que le musée de Bruxelles vient de s'enrichir d'une nouvelle œuvre : c'est un tableau de Gabriel

Metsu, ce maître qui, avec Gérard Terburg, a le monopole des scènes d'intérieur élégant dans le xvIIe siècle hollandais.

Je ne sais si ce tableau a un titre traditionnel; en tout cas, il représente une Collation, ainsi composée :

A droite, une jeune fille assise sur un tabouret; à gauche, une table; entre la table et la jeune fille, un « cavalier. » Au fond, à gauche, arrive une vieille femme portant un plat de fraises. La jeune fille, qui est blonde, est coiffée d'un mouchoir blanc; elle a un caraco blanc et un jupon violet bordé de raies de soie gris perle. La table est en chêne sculpté; un coin est couvert d'un bout de serviette, et, à côté de la serviette, sont un petit bol en argent et une assiette, dans laquelle se trouve une gaufre à croûte dorée. Le cavalier, en pourpoint gris, larges culottes grises et bas rouges, est perruqué comme un courtisan de Louis XIV. La jeune fille, de la main gauche, tient un long verre vide; de la main droite, elle fait un geste plein de modestie, très-expressif, pour refuser l'offre du galant, qui s'est levé, a pris une canette en grès très-brillant, et veut remplir le verre de la belle. Ce mouvement de l'homme est extrêmement juste; il n'est pas tout à fait debout, et il n'est qu'à demi tourné vers sa charmante partenaire : véritablement, il se meut. De plus, sa physionomie est aimable, spirituelle et vivante. Toutefois, sa main gauche, appuyée à la chaise à dossier de cuir sur laquelle tout à l'heure il était assis, et qui tient son feutre noir, est posée assez prétentieusement. La jeune fille est toute lumineuse : le jour vient de gauche, glisse sur la table et sur le parquet, pique d'étincelles le bol en argent, et frappe en plein la belle blonde; l'homme est dans une demi-teinte tranquille; la vieille femme est dans l'ombre. Le fond est d'un gris un peu sombre. Derrière la tête de l'homme, on voit un tableau encadré. A gauche, il y a une entrée par où vient la vieille. La signature du peintre, G. Metsu, est bien clairement dessinée sur le dessin de cette porte cintrée.

C'est un de ces fins tableaux qu'on qualifie de perles. Il est perle par le ton, et par l'extrême délicatesse de la facture, et par la finesse des physionomies. Il est perle aussi par ses dimensions: il a 40 centimètres de hauteur sur 31 de largeur. C'est une très-bonne acquisition pour le musée de Bruxelles, qui est peu riche en maîtres familiers de la Hollande, et qui n'a encore ni Cuyp, ni Hobbema, ni Pierre de Hoghe, ni Potter, ni Van der Weyden, ni tant d'autres célèbres petits maîtres de grand talent, dont le musée d'une capitale ne peut se passer, sinon par raison de pauvreté.

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