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revenir1. Disons seulement que ce tableau n'a rien perdu à passer du cabinet d'un amateur dans une exposition publique. Il s'y soutient au contraire de façon à prouver que le Delfsche Van der Meer était un maître.

Quelques portraits méritent une attention sérieuse. C'est d'abord une tête de vieille femme, peinte par Gérard Dow avec une largeur et une puissance dont ce maître n'offre pas beaucoup d'exemples; puis deux portraits, l'un d'homme, l'autre de femme, signés du nom de J.-G. Cuyp (Jacques-Gerritz Cuyp, de Dordrecht) et datés de 1646 et 1649; enfin, du cabinet de M. Bourguignon provient un petit bourgmestre, aussi vivant que s'il était de la main de Maes, aussi délicatement habillé de satin que s'il avait pour auteur Van der Helst; le nom du peintre se trouve inscrit sur le fond : c'est celui de Chrétien-Godefroid Mathes.

Nous placerons ici, de peur de ne plus savoir où les loger, deux portraits de Philippe de Champaigne. L'un, qui représente un conseiller en' robe rouge, ne paraît pas d'une authenticité absolue; l'autre, inscrit parmi les inconnus, montre à chaque touche la griffe du maître. On a voulu en faire honneur à Van Dyck, tant la figure de femme dont il est l'image respire de distinction et d'élégance. Mais outre que l'histoire ne permet pas d'admettre que Van Dyck ait peint Henriette d'Angleterre, certains détails d'ajustement, rendus avec une scrupuleuse réalité, le ton général des chairs, blanc et mat, soutenu d'ombres légères, une exécution délicate, fondue, qui supporte d'être vue de très-près, ces indices caractéristiques, étranges chez Van Dyck, désignent clairement Philippe de Champaigne.

Les petits maîtres fourniraient matière à un long article, si nous voulions énumérer tous les charmants tableaux que les cabinets d'Aix, de Marseille et d'Avignon ont versés à l'exposition. Il suffira de citer deux petits paysages de Brill, ou plutôt de Breughel, appartenant à M. Seytres; du même Breughel, avec la collaboration de Van Kessel et de Franck, une peinture sur cuivre d'une fraîcheur admirable, l'Apparition de Jésus à la Madeleine au milieu d'un jardin encombré de fruits; de Van der Uden, un fin paysage sorti du cabinet de M. Maurel; une chaude Marine de Zeeman et un piquant Incendie de Trautmann, deux tableaux de maîtres peu communs. Au-dessus se placent encore une Marine lumineuse et grasse, du cabinet de M. Gower, véritable petit chef-d'œuvre dont l'hon neur revient évidemment à Albert Cuyp, bien que sa signature ait été ajoutée après coup sur les terrains par une main maladroite; une Kermesse de Téniers, appartenant à M. Bec, celle-là même que Le Bas a gra

4. Voir la Gazette des Beaux-Arts, 1er avril 4859.

vée sous le titre de II Fête flamande; de Téniers encore, appartenant à M. Émile Pascal, un grand paysage animé de deux figures de chasseurs, peint dans cette gamme grise que les amateurs connaissent bien peu; enfin, toujours à M. Gower, un Soleil couchant de Both, paysage italien étouffé de soleil, si l'on nous permet cette expression. Des douze paysages de Ruysdaël que l'exposition prétend posséder, plusieurs méritent d'être classés parmi les bons ouvrages des paysagistes hollandais; un seul nous paraît digne du maître, la Mare, du cabinet de M. Bec. A cet amateur appartient aussi un bon tableau de Karel Dujardin, moins harmonieux toutefois et moins savant que celui qui est sorti de la collection de M. Bourguignon en même temps qu'un grand et beau paysage de Hackert, orné de figures de Berghem. Le Déjeuner champêtre, attribué aussi à Karel Dujardin, nous rappelle davantage les bonnes productions de Jean Miel. Deux importants tableaux du musée d'Avignon complètent l'école hollandaise, le Buveur endormi de Brauwer, et le Fumeur de Corneille Dusaert.

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ÉCOLE PRIMITIVE DE VENISE

JACOPO DE BARBARJ

DIT LE MAITRE AU CADUCÉE.

III.

SON OEUVRE GRAVE.

Considéré comme graveur, Jacopo de Barbarj est un des plus habiles burinistes italiens de son époque. Il a beaucoup étudié les procédés d'Albert Dürer, et il a su se les approprier sans servilité. Sa taille fine, légère et souple, se prête aisément aux diverses formes qu'il veut rendre. Il la courbe légèrement et la croise dans les ombres qu'il n'accentue jamais fortement. Il ménage le passage du noir au blanc par des petits points qui, en prolongeant les traits plus arrêtés, forment une demi-teinte. Parfois de grandes tailles ondoyantes et parallèles expriment les terrains et rappellent le travail d'Albert Dürer dans ses premiers temps. Rarement, dans ses estampes, il a placé ses personnages au milieu d'un paysage détaillé; des troncs noueux sans feuillée, une simple ligne en tiennent lieu le plus souvent, et cependant plusieurs de ses compositions prouvent qu'il a étudié de près la nature.

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Ce que l'on connaît jusqu'à ce jour de l'œuvre de Barbarj comprend vingt-neuf pièces gravées d'un burin très-fin, qui se sont bientôt usées à l'impression, et qui partant sont fort rares. Une seule en bois peut lui être attribuée. Les premières épreuves de ces planches laissent voir quelques traces de barbes, et sont souvent imprimées sur des papiers marqués d'une fleur de lis, d'une main avec le bas de la manche, d'une couronne surmontée d'une croix rattachée au diadème par deux arcs, d'une tête de bœuf, ou encore du P bourguignon. Ces trois dernières marques, bien connues par les estampes d'Albert Dürer et de Lucas de Leyde, et qu'on rencontre le plus fréquemment dans le papier des gravures de Jacopo de Barbarj, prouvent qu'il séjourna longtemps en Allemagne et dans les Pays-Bas. Ses productions, loin d'avoir toutes le même mérite, indiquent au contraire un talent fort inégal, mais elles montrent la même habileté à manier le burin; aussi serait-il impossible de les classer par ordre chronologique. Cependant, la nature de son travail et les papiers sur lesquels sont imprimées ses estampes nous portent à croire qu'il ne commença guère à graver que vers 1506, après qu'il eut vu les œuvres d'Albert Dürer et pendant son séjour à Nuremberg. Quant aux pièces tirées sur des feuilles marquées de la main ou du P bourguignon, elles peuvent être regardées comme ayant été exécutées dans les Flandres et comme étant ses dernières créations.

GRAVURES SUR CUIVRE.

SUJETS DE L'ANCIEN ET DU NOUVEAU TESTAMENT.

SUJETS RELIGIEUX.

4. AGAR (Bartsch no 6, Ottley n° 6.). Larg. 233 mill. Haut. 475 mill. - Agar, après avoir longtemps erré dans le désert de Bersabée, tombe, épuisée par la soif, au pied d'un arbre énorme. Les larmes dans les yeux, elle s'efforce de faire couler sur les lèvres de son fils Ismaël les dernières gouttes de lait que contient son sein.

Le caducée est gravé au bas de l'estampe et à gauche. On rencontre des premières épreuves de cette pièce sur un papier marqué d'une couronne.

C'est à tort, croyons-nous, que Bartsch et Ottley ont vu dans ce sujet la Vierge et l'enfant Jésus.

2. JUDITH (Bartsch-Ottley no 4). Haut. 489 mill. Larg. 424 mill. — Judith a le corps vêtu d'une longue robe; sa tête est ornée d'un diadème qui retient un voile et ses cheveux noués sur le milieu. Elle s'appuie de la main gauche sur le glaive avec lequel elle tua Holopherne, dont elle porte la tête.

Le caducée est gravé dans le bas, à droite. Nous avons vu de cette estampe des épreuves sur un papier marqué d'une fleur de lis.

Cette pièce a été copiée par Jérôme Hopfer. Il en existe aussi une reproduction à l'eau-forte dans laquelle une Sainte Catherine est gravée à côté de Judith. Cette gravure, assez mal exécutée, a été faussement attribuée à Jacopo de Barbarj.

Le maître n'a point cherché, dans cette estampe, à retracer l'un des épisodes de la grande scène biblique. En vain l'on chercherait en cette figure élégante et gracieuse le sentiment qui a dû inspirer l'héroïne. Peintre éminemment païen, Jacopo de Barbarj n'a point le sens des saintes Écritures, et ce n'est que par les attributs, le glaive et la tête d'Holopherne, qu'il a personnifié Judith.

3. L'ADORATION DES MAGES (Bartsch-Ottley no 2). Haut. 215 mill. Larg. 493 mill. — « El, entrant dans la maison, ils trouvèrent l'enfant avec Marie sa mère, et, se prosternant, ils l'adorèrent, et, ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent des présents, de l'or, de l'encens et de la myrrhe. » (Saint Matthieu, chap. 11, v. 44.)

Les trois rois mages ont franchi les marches qui conduisent au lieu réservé, entouré d'un mur, dans lequel se tiennent sainte Anne et la vierge Marie. Ils fléchissent le genou devant le divin enfant porté par sa mère. Deux jeunes serviteurs les suivent; l'un semble tenir l'anse d'un panier, l'autre porte une torche allumée.

Le caducée se détache, à gauche, sur le fond ombré d'une seule taille.

La simplicité extrême avec laquelle Jacopo de Barbarj a traité ce sujet, affectionné des peintres ayant une riche imagination, révèle en lui un esprit peu inventif. Seul parmi tous les artistes, croyons-nous, il a placé cette scène pendant la nuit, mais il n'a point su profiter de son interprétation de l'Évangile, et, sous ce rapport, il n'a réussi qu'à nous faire regretter l'absence de cette composition, ainsi comprise, dans l'œuvre de Rembrandt.

4. N.-S. JÉSUS-CHRIST (Bartsch-Ottley no 3). Haut. 494 mill. Larg. 93 mill. N.-S. Jésus-Christ est représenté de face; il porte de sa main gauche l'étendard victorieux de la croix, et élève sa droite pour bénir. Trois gerbes de lumière jaillissent de sa tête; un manteau flottant cache en partie la nudité de son corps. Le caducée est gravé dans le bas, sur la droite.

Dans la collection Frauenholz, à Nuremberg, se trouvait une tête peinte qui par le dessin rappelait beaucoup, au dire de Brulliot, celle de cette gravure. Cette toile, signée des lettres IA D. B. séparées par le caducée, provenait du cabinet Paul de Praun. Christophe Gottlieb de Murr, dans le catalogue qu'il dressa de cette collection et dans un autre ouvrage (Beschreibung der vornehmsten Merkwürdigkeiten der freyen Reischsstadt Nuremberg und der hohen Schule zu Altorf, 1778, p. 471, n° 20), mentionne ce tableau et le cite comme étant exécuté par un artiste inconnu.

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