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mées de morceaux de marbre comme les mosaïques ordinaires; elles se composent de petits cubes d'une pâte vitreuse artificielle dont la finesse et l'éclat sont admirables. Telle était la composition de la célèbre Bataille d'Issus, de cette mosaïque large de seize pieds et deux pouces, haute de huit pieds et demi, trouvée dans la maison du Faune, et l'un des plus beaux et des plus curieux monuments que l'antiquité nous ait légués 1. C'est chose bien regrettable qu'un morceau d'un si grand prix ne nous soit pas parvenu dans son intégrité. Il paraît que cette mosaïque avait été déjà brisée en plusieurs endroits antérieurement à la catastrophe qui causa la ruine de Pompéi, car on y remarque les traces d'un travail de réparation dont la grossièreté fait contraste avec le fini des parties plus

anciennes.

On s'accorde aujourd'hui à voir une représentation de la bataille d'Issus dans cette grande composition où figurent vingt-six guerriers et quinze chevaux. Nous savons qu'il existait sur ce sujet un tableau célèbre dû au pinceau d'Hélène, fille de l'Égyptien Timon et contemporaine d'Alexandre, tableau placé par Vespasien dans le temple de la Paix. Cette mosaïque en est-elle une copie? Il semble assez naturel de le croire, surtout si l'on considère la beauté de cette composition qui annonce un grand artiste. La scène représentée est double; d'un côté c'est le combat, et de l'autre la fuite. A la gauche du spectateur, dans la partie du tableau la plus dégradée, est le groupe des Macédoniens. Alexandre se fait reconnaître à la place qu'il occupe et à la vigueur de son action; il est à cheval, la tête nue, couvert d'une cuirasse; un manteau de pourpre flotte sur ses épaules. De sa longue pique (contus) il vient de traverser de part en part le corps d'un Perse au moment où celui-ci achevait à peine de se dégager de dessous son cheval abattu. A droite, c'est le groupe des Perses. Darius y apparaît sur son char, tel que le représente QuinteCurce, élevé comme sur un trône. Il est coiffé de la tiare et a le corps enveloppé d'un large vêtement de pourpre; il tient son arc à la main et semble vouloir aller au secours du Perse expirant 3. Mais déjà l'aurige a détourné les chevaux du quadrige royal qui fuient en passant sur le corps des blessés; la déroute des Perses a commencé.

On sait que le génie et la valeur d'Alexandre déterminèrent à Issus le

1. Cette mosaïque a été découverte le 24 octobre 1831. Voir l'ouvrage cité de MM. H. Roux et L. Barré, 6 série, pl. 20 à 27.

2. Sillig, Catalogus artificum, au mot Helena. Hélène était la sœur de Timon, suivant O. Müller (Manuel d'archéologie, § 165).

3. Ce guerrier était probablement un de ceux qu'on appelait cousins du roi, et qui marchaient devant son char. Voyez Quinte-Curce.

gain de la bataille au moment où elle semblait perdue pour les Macédoniens. Il eût été impossible de représenter d'une manière plus frappante que ne l'a fait l'auteur de cette composition l'action personnelle du héros macédonien et ses conséquences immédiates. La figure d'Alexandre, dont il ne reste malheureusement que la partie supérieure, respire la fierté et le courage; on croit voir le Génie de la guerre fondre sur l'ennemi par une charge rapide. L'agonie du Perse blessé et celle de son cheval sont rendues avec la plus grande et la plus pathétique vérité. On trouve dans Darius l'expression du courage persistant dans la défaite, mais étonné et impuissant; ses yeux sont fixes, ses bras tombent, la fatalité s'empare de lui. La dégradation qui s'étend sur une moitié du tableau n'a laissé subsister que des parties insignifiantes des figures des guerriers macédoniens; mais celles des Perses, à ce moment où commence la défaite, offrent une variété d'attitudes, de mouvements, d'expressions qu'on ne peut trop admirer. Les chevaux sont admirables de vie généreuse; celui d'Alexandre, dont on ne voit que la tête, semble digne, par sa beauté et par son ardeur, du nom de Bucéphale. Celui qu'on voit en avant du tableau, présentant la croupe au spectateur, offre un raccourci dont la beauté égale la hardiesse. Tout, dans cette magnifique composition, est clair, et tout y est vivant; la richesse des détails y est égale à la simplicité de l'ordonnance générale: tout y respire à la fois la grandeur et la beauté antiques.

Nous donnons ici la gravure d'une des deux mosaïques qui ont été trouvées à Pompéi signées du nom de Dioscoride. Cette mosaïque représente une scène de théâtre. Quatre personnages sont occupés à exécuter un morceau de musique : l'un frappe des doigts sur une sorte de tambour de basque (tympanum), un autre fait résonner des cymbales, une jeune femme joue de la double flûte, et un petit garçon s'apprête à souffler dans un cornet. Les attitudes de ces figures sont d'une expression franche et vive. On lit en grec à la partie supérieure du tableau: Dioscoride Samien l'a fait. Les anciens doivent avoir fait grand cas de cette mosaïque, si, comme l'a cru Winckelmann, une fresque trouvée dans les ruines de Stabie en est la reproduction.

V.

Parmi les chefs-d'œuvre de l'art antique réunis dans le musée Bourbon, à Naples, on remarque un groupe en marbre de deux figures auxquelles on a donné les noms d'Oreste et Electre. Ce monument précieux a

été tiré des ruines d'Herculanum. Il est en marbre grec et d'une conservation remarquable. Oreste est nu; il a la tête ceinte de la tænia. Électre est vêtue d'une tunique sans manches ni agrafes, longue et ample aux extrémités, et serrée par un simple cordon autour du corps; un petit manteau (ampechonion) est jeté sur son épaule droite. Voici le jugement porté sur ces figures par M. Raoul-Rochette : « Tout respire, dans cet admirable groupe, cette expression profonde et naïve des caractères, ce sentiment juste et vrai des convenances qui caractérisent le bel âge de la sculpture grecque. Le travail, aussi éloigné de la sécheresse que de la recherche, semble pourtant tenir, par la manière dont les draperies et surtout les cheveux sont traités, de l'ancien style grec, que je me permettrai d'appeler attique, attendu qu'il n'a rien de la précision et de la rigidité tant soit peu conventionnelles de l'école éginétique. Quoi qu'il en puisse être, ce morceau capital appartient certainement à une excellente école grecque et doit peu s'éloigner de la grande époque de Phidias 2. » A côté de cet ouvrage de style presque archaïque, et qui, néanmoins, appartient à la belle époque de la sculpture, voici une œuvre grécoromaine c'est la statue de Bacchus, trouvée à Pompéi, dans le temple d'Isis. Cette statue de marbre fut, comme nous l'apprenons d'une inscription gravée sur la base, érigée aux frais de N. Popidius Ampliatus, probablement après la réédification du temple d'Isis par un autre membre de la famille Popidia. Ce temple d'Isis avait été détruit par le tremblement de terre de l'an 63; on a donc dans cette statue de Bacchus un spécimen intéressant de l'art du premier siècle. Les formes de cette statue sont d'une élégance assez molle, et la beauté de la figure manque de signi

fication 3.

:

On trouve beaucoup plus de caractère dans les statues de la famille Balba sorties des fouilles d'Herculanum. Les deux statues équestres, auxquelles on a donné les noms de Balbus père et de Balbus fils, ont été comparées à la statue équestre de Marc-Aurèle qu'on voit sur la place du Capitole; elles ont paru d'un goût plus pur et d'une exécution plus sévère. Les statues de plusieurs femmes de la même famille, qui faisaient l'ornement du théâtre d'Herculanum, donnent une grande idée de la manière dont les artistes de l'école impériale entendaient le portrait

1. Ce groupe a été publié pour la première fois par M. Raoul-Rochette, dans ses Monuments inédits d'antiquité figurée, Orestéide, pl. 33, fig. 4. Voyez aussi Hercujanum et Pompei, t. VI, 4re série des bronzes, pl. 43.

2. Monuments inédits, etc., p. 167.

3. Herculanum et Pompei, bronzes, pl. 21.

4. Ibid., pl. 57, 58.

en sculpture. Elles ont des vêtements de Muses, suivant l'usage pratiqué alors d'emprunter les costumes et les attributs des divinités, usage qui permettait à l'artiste de s'élever dans son œuvre à l'idéal sans effacer le caractère individuel. Une de ces statues surtout est remarquable: l'attitude, le geste, ainsi que la draperie, sont pleins de grâce.

Parmi les statues de bronze, on doit citer d'abord celle qui représente Alexandre à cheval et qui a paru à quelques-uns digne d'être une reproduction, ou tout au moins une réminiscence de la fameuse statue équestre d'Alexandre par Lysippe. On vante avec raison la statuette de faune trouvée à Pompéi dans la maison qui a reçu de cette découverte le nom de maison du Faune, et où nous avons vu qu'avait été trouvée également la belle mosaïque représentant la bataille d'Issus; à l'élégance svelte des formes cette statuette unit, dit-on, le mérite d'un travail exquis. Dans le Mercure assis, l'un des meilleurs bronzes du musée Bourbon, on a remarqué la longueur des cuisses comme un attribut du messager de Jupiter. Un charmant Apollon citharède se fait remarquer par la délicatesse de ses formes et par l'arrangement féminin de sa chevelure. Plusieurs beaux bronzes représentent la Fortune; l'un nous la montre les pieds sur un globe, relevant sa robe à la façon d'une danseuse. Citons encore une Victoire trophéophore dont l'attitude est gracieuse, et dont le collier, les bracelets, le baudrier et la chaussure sont dans le goût étrusque.

Passons maintenant aux peintures murales dont la découverte a été si importante pour l'histoire de l'art antique, et auxquelles il est juste de consacrer un article à part.

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NEGOCIATION

D'OEUVRES DE TAPISSERIES

DE FLANDRE ET DE FRANCE

PAR LE NONCE GUIDO BENTIVOGLIO POUR LE CARDINAL BORGHESE

(1610-1621)

(Lettres et documents pour la plupart inédits.)

Monsignor Guido Bentivoglio, en 1607, vers août, fut mandé nonce de la cour romaine aux pays de Flandre. Prélat d'une courtoisie raffinée et d'un grand savoir-faire, il était alors l'un de ces Monsignori le mieux rompus aux dextérités et aux finesses de l'art de se gouverner auprès des grands pour se bien asseoir dans leur esprit et monter, à leur ombre et faveur, différents degrés de la difficile échelle des ambitions. Messer Guido avait d'ailleurs tout ce qu'il faut pour aller loin et haut le plus beau nom, l'esprit charmant, beaucoup d'acquit, et, au-dessus de tout, ce tact si précieux qui vous laisse reconnaître à quelles heures il convient, pour être habile, soit de manifester, soit de dissimuler la mesure de ses propres talents. En un mot, telle faveur qu'il eût pu obtenir, ce ne serait pas justice lui rendre que de douter qu'il n'en fût pas digne ou peu capable d'y faire le plus grand honneur.

:

C'était sous le pontificat de Paul V, un Borghèse : le népotisme de ce saint-père couvrait alors de sa toute-puissance la personne de son neveu Scipione Caffarelli, déclaré cardinal Borghèse en même temps que cardinal patron.

Être en ces temps cardinal patron, c'était assurément tenir le pouvoir

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