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ces oselle étaient frappées aux frais de la commune de Murano pour être distribuées le jour de Saint-Étienne aux magistrats locaux dans l'île, et aux grands dignitaires de Venise; elles portaient d'ordinaire les armes de la commune même, celles du doge régnant, du podestat, du camerlingue et des quatre députés de l'île. Il n'était pas rare que des oselle fussent offertes à des personnages distingués, enfermées dans le double fond d'un verre à boire ou d'une coupe : gracieux présent qui faisait conserver au donataire, dans un produit de l'industrie de Murano, une preuve des priviléges par lesquels l'État l'avait récompensée.

Aux environs de 1605, après des recherches assidues, Girolamo Magagnati découvrit le moyen de colorer les cristaux sans altérer leur transparence, et ainsi, en les taillant à facettes, on put imiter toute espèce de pierres précieuses. C'est à lui aussi qu'est due la substitution des vitres de glace aux antiques vitres des fenêtres, ce qui donna à l'intérieur des maisons et des palais une plus grande quantité de lumière; auparavant, les accidents de réfraction des vitraux, la grande quantité des lamettes de plomb qui servaient à les joindre, empêchaient la lumière de pénétrer. Dans l'industrie des glaces, on doit les plus grand éloges à Liberale Motta, qui, vers 1680, la perfectionna, et en fit d'une grandeur jusque-là impossible à atteindre. Les autres branches de l'art ne restèrent pas inactives, quoique les guerres incessantes, soutenues par la République pendant ce siècle, aient beaucoup nui aux relations commerciales.

Cependant Colbert, qui voulait faire fleurir toutes les industries en France, parvint, vers 1670, à introduire dans les verreries du royaume des secrets jusque-là seulement connus à Murano. Quelques-uns de ces secrets passèrent à la même époque en Angleterre, où le duc de Buckingham faisait élever une fabrique de cristaux. Vers le premier tiers du XVIIe siècle, pour la même cause, deux Muranésiens, Giacomo et Alvise Luna, étaient passés en Toscane au service du grand-duc Cosme II, qui les combla d'honneurs. Les procédés secrets des autres branches de l'art du verrier se sont conservés chez nous, et il est bon de rappeler que la maison des Morelli s'était assez enrichie dans le commerce du jais pour pouvoir, en 1686, acheter la noblesse patricienne.

Au XVIIIe siècle, les arts cultivés à Murano acquirent un développement inattendu, grâce aux travaux et à la persévérance d'un homme qui fit l'étonnement de ses contemporains. L'industrie des cristaux n'était plus particulière aux fours de Murano, la France et l'Angleterre en produisaient depuis longtemps avec succès, ainsi que le prouve le verre ci-contre, du règne de Louis XVI; mais en Bohême elle avait fait en peu de temps de tels progrès, qu'elle avait laissé loin derrière elle les in

venteurs et les premiers maîtres. Giuseppe Briati se mit pour trois ans en service dans une fabrique de cristaux, en Bohême, et remplit les humbles

fonctions de portefaix, jusqu'à ce qu'il eût connaissance de tous les procédés qui avaient élevé l'industrie de la Bohême à une si grande hauteur,

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dans l'intention de les introduire à Murano pour en relever les fabriques. Rentré dans sa patrie, il obtint du conseil des Dix, le 23 janvier 1736, le

privilége de fabriquer et de vendre pendant dix années des cristaux à la façon des pays étrangers, et spécialement de la Bohême, dont les produits étaient sévèrement interdits dans toute l'étendue de la République 1. La concurrence et l'envie n'épargnèrent rien pour nuire au courageux Briati; mais elles firent plus de mal à Murano qu'à lui, car les Dix lui accordèrent, le 4 mars 1739, de démolir ses propres fours et de les relever à Venise dans la rue de l'Ange Raphaël. Goûtant dans son âge mûr le repos qui

avait fui sa jeunesse agitée, Briati put donner une grande impulsion à son art, et c'est à lui qu'on doit tous les progrès que firent la verrerie et la cristallerie au siècle dernier. Les miroirs, portés déjà par Motta à une grandeur extraordinaire, furent entourés de cadres d'un aspect simple,

1. « Aloysius Pisani, Dei gratia dux Venetiarum, etc. Nobili et sapienti viro Jacobo << Baduario de suo mandato potestati et capitaneo Iarvisii fil. d. sal. et dil. aff.

<«< Col decretro del Consiglio di Dieci 23 gennaro 1736 è stato concesso ad Iseppo <«< Briati i particolar privilegio di poter lui solo per anni dieci fabbricar e vender i << lavori che di finissimo cristallo egli travaglia sul metodo de' paesi più lontani, onde << animare chi si affeziona a migliorare le arti, premiar lui Briati ch'è tanto riuscito a <«< perfezionare quella importantissima de'vetri, e render sopra tutto banditi da sè me<«< desimi li vetri di Boemia proibiti severamente dalle pubbliche leggi e non tollerabili << nello stato. Venendo però esposto al tribunale de'Capi che il Briati medesimo incon<«<tri difficoltà nello spaccio de' suoi cristalli che spedisce per conto e nome suo dal << Veneto, e massime in cotesta parte, siamo sicuri che il zelo vostro darà gli ordini « più precisi perchè non li sia frapposto impedimento verum, anzi prestata ogni pos<«<sibile assistenza e facilità, et ciò non solo perchè possa goder lui gli effetti dell'accor« datogli privilegio, ma per rimuovere le furtive dannate introdusioni di cristalli fores«tieri e massime delli suddetti di Boemia, che per l'addietro hanno asportato dallo <<< stato nostro summe riguardevoli di danaro. Tal è la pubblica intenzione che la pun<«<tualità vostra farà che resti in codesta città e territorio esattamente obbedita.

«Dat. in nostro Ducali Palatio die XIII augusti ind. III, ann. MDCCXXXX. « E Cons. X secret.

« JACOBUS BUSENELLO. >>

ou bien noirs, ornés de travaux d'intaille avec des feuillages et des fleurs en relief. Les lustres furent décorés de feuilles, de grappes de raisin et de fleurs des couleurs les plus vives, copiées sur nature. Les travaux de filigrane, qui sont la gloire de Murano, atteignirent un degré de bon goût et de légèreté encore aujourd'hui inimitable. La beauté des formes des vases de filigrane fabriqués par Briati est telle qu'elle égale les vases les plus beaux et les plus corrects du xvIe siècle, époque à laquelle beaucoup d'entre eux ont été à tort attribués. Leur nombre est en vérité fabuleux; il n'est pas de pays civilisé où ils ne soient recherchés et mêlés à la vaisselle d'or et d'argent; ils ornaient les crédences et les tables des banquets d'apparat des doges. Cet homme, d'un rare mérite, mourut le 17 janvier 1772.

Cependant, les autres fabriques de Murano prospéraient toujours, et celle des Miotti acquit une grande renommée par l'invention de l'aventurine, une des plus agréables productions de l'art du verrier, approuvée à la fois par la mode et le bon goût, si rarement d'accord avec la mode, et qui doit peut-être son nom au hasard de la réussite des recherches entreprises pour la découvrir. En 1790, Giorgio Barbaria obtenait par un nouveau privilége la permission d'élever à Venise une fabrique de bouteilles noires pour l'Angleterre, fabrique où l'on fit bientôt des émaux et du jais. Barbaria était né à Venise, mais, par une concession des inquisiteurs, il obtint le droit de cité à Murano, et dans les trois dernières oselle, de 1794 à 1796, son nom figure comme député. C'est la dernière fabrique de quelque importance qui ait été élevée avant la chute de la République.

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DIX-SEPTIÈME SIÈCLE. RUBENS ET SES CONTEMPORAINS.

:

Parallèlement à la pléiade rubenesque et s'y rattachant plus ou moins, l'école flamande comptait encore alors une foule de maîtres célèbres Henri van Balen le vieux, qui avait donné les premières leçons à van Dyck, les deux Brvegel, fils de Peter le vieux, les Francken, Jérôme le jeune et Frans le jeune, Gaspar de Crayer, l'ami de Rubens et de van Dyck, Cornelis de Vos le vieux, Martin Pepyn, Luc Franchoys de Malines, Abraham Janssens le vieux et Théodore Rombouts, auxquels certains biographes ont prêté la prétention d'avoir voulu rivaliser avec Rubens.

De tous ces peintres justement renommés, même à côté des principaux chefs de l'école, le musée d'Anvers possède des exemplaires intéressants. De Henri van Balen le vieux, une grande Prédication de saint Jean-Baptiste, et les deux volets d'un tableau conservé à la cathédrale : Madone avec l'enfant Jésus et saint Jean; sur ces volets sont des Concerts d'anges, et aux revers, en grisailles, sainte Anne et saint Philippe. - De Brvegel de Velours, chose singulière! - le musée d'Anvers n'a rien; mais de Peter Brvegel le jeune, qu'on appelle souvent Brvegel d'Enfer, il possède un Portement de croix, grande et curieuse composition, signée : P. BRVEGEL, 1607. — De Jérôme Francken le jeune, élève de son oncle Ambroise Francken le vieux, nous avons un grand tableau historique, Horatius Coclès au pont Sublicius, signé : Jeronimus Francken inv. et fecit, anno 1620, den 14 Augusti. - De Frans Francken le jeune, élève de son père Frans le vieux, un grand triptyque peint en 1624 pour la cathédrale, les Quatre Couronnés, condamnés au martyre, avec les initiales D. J. F. F. (Don jongen Frans Francken), et, sur les volets, des épisodes de ce martyre, en grisailles aux revers; un autre grand tableau, les OEuvres de miséri

4. Voir les livraisons du 1er juillet et du 1er septembre 1861.

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