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gouaches, ce tableau représente la sainte Vierge accroupie qui regarde saint Antoine, placé à sa gauche. Elle soutient sur ses genoux l'enfant Jésus se retournant vers saint Jean-Baptiste, vêtu de la peau qu'il portait dans le désert. Les deux anachorètes sont figurés à mi-corps, dans un ravin, derrière le monticule sur lequel la Vierge est assise. Le paysage, traité avec scrupule, charme par l'abondance des détails: au premier plan, des fleurs émaillent les gazons, des arbres ombragent les personnages, un chardonneret se désaltère à une fontaine rustique qui verse ses eaux dans un bassin; dans le lointain on aperçoit un fleuve, une ville, des montagnes aux cimes variées et abruptes. La couleur de cette peinture est claire, vive et harmonieuse. L'emploi des glacis et des frottis s'y fait remarquer sur toute la toile, et, sur les premiers plans, l'artiste s'est servi de légers empêtements.

Ce tableau, le plus important de ceux actuellement connus, caractérise parfaitement la manière de Jacopo de Barbarj, et permet de le juger à la fois comme peintre de figure et de paysage. Il se montre, en cette toile, obéissant aux influences de deux écoles opposées: allemand dans le saint Antoine, il est tout italien dans le saint Jean-Baptiste. Mais dans ce tableau, le goût italien domine; il se retrouve dans la Vierge et dans l'enfant Jésus, dans la couleur et dans le paysage, peint avec une remarquable habileté jusque dans ses plus petits détails, et suivant les principes des Vénitiens primitifs.

EMILE GALICHON.

(La suite prochainement.)

LES VERRERIES DE MURANO

S'il faut regretter de n'avoir pas une histoire italienne des peintures sur faïence, le même regret peut se renouveler à propos de l'art du verrier, élevé chez nous à un si haut point au moyen âge, et qui, encouragé et protégé par la sagesse du gouvernement de Venise, a pu se soutenir avec grand honneur jusqu'à la fin de la république; ce qui ne veut pas dire qu'il faille le considérer comme mort aujourd'hui, surtout si quelque homme entreprenant et plein de zèle pour l'honneur de la patrie en cultive quelque branche spéciale, ou

s'occupe à en faire revivre quelque autre, autant qu'il est possible dans les conditions actuelles. En attendant, nous allons exposer avec brièveté les renseignements les plus importants et les plus certains que nous ayons pu rassembler sur ce sujet si obscur et si peu débrouillé, trop heureux si quelque autre, avec une plus grande largeur de vues, nous avait épargné le temps et la fatigue que nous a coûtés cette étude.

Chacun, en visitant les musées d'Italie et d'au delà des Alpes, et en étudiant les fragments de verre qui nous restent de l'antiquité, a pu être frappé de la singulière analogie qu'il y a entre eux et les produits des fours de Venise et de Murano. Ce sont les mêmes couleurs, les mêmes formes, en un mot un art tout à fait identique, et il est superflu d'en aller chercher les origines en Égypte et en Grèce, quand nous les trouvons en Italie. Dans les plus anciens sépulcres de la Campanie et de la Grèce, dans les fouilles de Pompéi, à Rome et à Aquilée, on rencontre chaque jour des objets en verre analogues à ceux que, tant de siècles après, produisit l'industrie de Murano. Une coupe du musée Bourbon, coupe véritablement admirable trouvée à Canose dane un tombeau, est formée de l'assemblage de petits fils de verre, comme les produits des fabriques de Murano. De

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ces observations il résulte que cette industrie, introduite dans les îles vénitiennes dès les commencements de la réunion des populations qui, au ve siècle, cherchèrent dans les lagunes un asile contre les invasions des barbares, était l'étincelle encore brillante d'un art transmis par les plus anciens habitants de l'Italie aux Romains, conservé avec un religieux amour, comme dans un sanctuaire, par les fugitifs, et qui n'attendait que des circonstances favorables pour briller avec un nouvel éclat.

Aussi, sur la terre ferme vénitienne et sur le bord des lagunes, découvre-t-on fréquemment des urnes cinéraires et toute espèce de vases de

verre simple ou coloré, et des fragments de mosaïques, où certaines teintes, ainsi que dans les mosaïques antiques, sont obtenues au moyen de petits morceaux d'émail. De ces objets qui, avec trop de facilité, sont attribués à l'époque de la domination, il n'est pas invraisemblable que quelques-uns appartiennent aux premiers siècles et soient parvenus sains et saufs jusqu'à nous, qui recouvrons le sol de nos maisons de mosaïques semblables, d'aspect et de matière, au pavé de certains vestibules de Pompéi. Dans l'usage des verreries de notre île, à la fin du ve siècle, nous trouvons une preuve irréfutable de la vérité de la conjecture qui suppose Vénitiens les artistes étrangers appelés en Angleterre, vers 680, par l'évêque saint Benoît, pour décorer les fenêtres du monastère de Yarmouth et en réparer les verrières. Mais les monuments certains de la très-ancienne existence de l'art du verrier en Vénétie, affirmée dans la chronique du Sagornin, nous les avons dans les émaux de diverses couleurs dont sont faites les mosaïques qui ornent ou ont orné les églises de

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Torcello et de Venise; parmi lesquelles les mosaïques de la basilique de Saint-Marc remontent au x1° siècle au moins, et les plus récentes, œuvres d'un certain Pietro, sont du temps du doge Vital Michel Ier, en 1100. Et si de tels ouvrages ont nécessité l'emploi de mosaïstes byzantins, ils ne sont pas venus apporter un art nouveau, mais seulement des perfectionnements à un art depuis longtemps connu.

Ensuite, dans le xe siècle, nous voyons l'industrie du verrier se développer encore plus. Déjà, à la fin de l'année 1268, nous trouvons les verriers, réunis en corporation, faire montre de leurs produits d'une grande perfection, dans la procession de tous les arts, qui eut lieu quand Lorenzo Tiepolo fut élu doge. Quelques années après, le 8 novembre 1291, soit pour éloigner le danger d'incendie de la capitale de l'État, soit pour toute autre raison, le grand conseil ordonna la démolition des fours des verriers dans la cité du Rialto, comme s'appelait alors notre Venise, et dans tout le diocèse; ils ne pouvaient être reconstruits que dehors, mais toujours dans le district de Venise 1. Le 11 août de l'année suivante, dérogeant à l'excessive sévérité de cette loi, le conseil accorde aux fabriques de petite verrerie, verirelli, l'autorisation de rester dans le Rialto, à la condition seulement d'être distantes de quinze pas au moins des maisons voisines. C'est à cette époque que les verriers transportèrent leurs fourneaux dans la petite île de Murano, où il y en avait déjà d'autres dès la fin de 1255, et où l'art du verrier parvint à son plus grand éclat.

Il semble que dans les premières années du XIVe siècle le grand commerce qui se faisait de toute espèce de verreries, et les richesses qui en résultaient pour Murano, déterminèrent le gouvernement français à encourager de tout son pouvoir les fabriques nationales; mais le résultat ne répondit pas aux efforts, et le commerce des verreries de Murano l'emporta sur la France dans ce siècle et les suivants. A la fin de 1318, les fabricants de perles fausses composaient déjà une compagnie assez nombreuse, qui, dès le commencement de cette même année, était régie par un statut particulier. En 1329, maître Jean, ouvrier en verixelli dans la rue des Saints-Apôtres, à Venise, demandait au grand conseil et obtenait la permission de fabriquer des verrières pour l'église de Saint-François,

4. « MCCLXXXXI, die octavo novembris, in majori consilio. Capta fuit pars quod << fornaces de vitro in quibus laborantur laboreria vitrea debeant destrui, ita quod de « cetero esse non debeat aliqua in civitate vel episcopatu Rivoalti; sed extra civitatem « et episcopatum, in districtu Venetiarum, possit fieri sicut placuerit illis qui facere vo«<luerint. Et hoc fieri debeat ita quod non laborent ab hodie in antea sub pœna libra<< rum C; salvis illis qui haberent vitrum, qui possint ipsum vitrum laborare. »>

à Florence. Vers 1335, maître Mano, peintre sur verre, décorait de ses œuvres une chapelle dans notre église de' Frari. Ce serait vers 1370 qu'auraient été fondues les initiales de verre destinées à imprimer sur les manuscrits les majuscules qui devaient ensuite être enluminées, et cela bien avant qu'on en fit honneur à Pier de' Natali, évêque de Equilio o Jesolo. En 1383, le 15 mars, le sénat avait soin, par une loi, ut ars tam nobilis stet et permaneat in loco Murianii; et sept ans auparavant, le 22 décembre 1376, le mariage d'un patricien avec la fille d'un verrier était contracté avec la condition que la noblesse se transmettrait à la postérité qui en devait naître. En 1400, le premier artiste qui orna de ver

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rières le dôme de Milan venait de Venise, et s'appelait Tommasino d'Axandrii. Plus tard, en 1404, un autre Vénitien, Nicolò, passe à Milan avec son fils, et embellit le dôme de nouvelles verrières.

Au xve siècle, les documents, les preuves et les monuments de l'art cultivé à Murano surabondent. Les premiers, en très-grand nombre, sont conservés dans le statut des fabricants de fioles, phioleri (bouteilles), ré– formé en 1441; nous y voyons comment l'ample et rapide développement des ouvriers de ces différentes industries les fit se partager en plusieurs corporations, dont celle des fioliers était la plus importante. C'est à elle qu'appartenait Angelo Beroviero, qui, dans la première moitié du xve siècle, avait à Murano, à l'enseigne de l'Ange, un four en grande réputation, d'où sortaient des vases et des verrières. Il était le disciple de don Paolo Godi de Pergola, fort habile chimiste, et tenait de lui plusieurs inventions pour donner au verre toutes les couleurs imaginables, inventions perfectionnées par le Beroviero, et décrites par lui dans un livre de

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