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raient dans les plus riches collections de cette époque, et l'écrivain anonyme, qui nous a laissé la description des richesses d'art que les grands amateurs possédaient au commencement du XVIe siècle, a pris la peine de mentionner avec soin les toiles de Jacopo, et même, lorsqu'il le put, de nous faire connaître pour qui elles avaient été exécutées. C'est ainsi que nous savons que chez le cardinal Bembo se trouvaient deux portraits faits par Jacopo l'un était celui du cardinal, peint en 1481, à l'âge de onze ans; l'autre celui de Carlo Bembo, peint en 1472, peu après sa naissance, alors que Bernardo Bembo, le père de ces deux personnages, était ambassadeur auprès du duc Charles. Pour Zuan Michiel, grand protecteur des arts et ami de l'Arétin, Jacopo peignit, avec un soin et une perfection rares, les quatre premiers feuillets d'un livre d'heures recouvert en chevreau, ouvrage qui n'était pas estimé moins de quarante ducats. Après avoir passé par diverses mains, ce livre se trouve en 1512 chez Francesco Zio, et plus tard, en 1532, dans la collection d'Andrea di Odoni. Zuan Antonio Venier, ambassadeur de la république près de François I", posséda, en 1528, un petit cadre dans lequel Jacometto avait exprimé en clair-obscur des animaux. Le cardinal Grimano eut aussi plusieurs tableaux de notre maître, et Gabriel Vendramin conservait de lui un portrait de Francesco Zanco fait en clair-obscur avec une encre noire, ainsi qu'un livre en chevreau de format in-octavo, sur lequel des animaux étaient figurés à la plume. Enfin, Antonio Pasqualino eut chez lui un Saint Jérôme dans sa cellule, habillé en costume de cardinal et lisant. « Quelques personnes, dit l'anonyme que nous laisserons parler, croient cette peinture d'Antonello de Messine; mais le plus grand nombre, et avec plus de certitude, l'attribuent à Jean (van Eyck), ou à Memelin, peintre ancien de l'Occident. On y retrouve, en effet, la manière des artistes de ces contrées, bien que le visage soit dans un style italien. Aussi paraît-il être de Jacometto. Les édifices sont composés dans un goût occidental, le paysage est vrai, minutieusement traité et très-fini. On y remarque, dans le fond, une fenêtre et une porte bien placées en perspective. Ce tableau, pour le soin, la couleur, le dessin, la puissance et le relief, est parfait. Le maître y a encore représenté un paon, une perdrix, et un bassin de barbier. Sur un escabeau on y voit fixée une feuille de papier sur laquelle on croirait pouvoir lire le nom du maître : mais, si on regarde de près, on trouve, non point des lettres expressément formulées, mais seulement simulées. Quelques personnes pensent encore que la figure a été refaite par Jacometto le Vénitien. »

Telles sont les oeuvres de notre maître, qui ornaient les grands cabinets de Padoue et de Venise au commencement du XVIe siècle. Si main

tenant nous recherchons la trace des peintures que Jacopo laissa dans le Nord, nous trouvons dans l'inventaire des richesses de madame Marguerite, écrit en partie par elle, rédigé en partie sous ses yeux, à Malines, le 17 juillet 1516, en présence de Mar de Montrevel et de M. de Montbaillon, une grande peinture représentant une tête de cerf et un arbalétrier avec une arbalète carnequin; un petit cadre dans lequel était peinte la tête d'un Portugalais, faite sans couleur; un crucifix estimé dix livres, et un saint Antoine peint sur toile. Dans un second inventaire des objets d'art appartenant à la gouvernante des Pays-Bas et daté de 1524, nous retrouvons le saint Antoine, la tête de cerf qualifiée de tableau exquis, le crucifix décrit ici comme montrant au pied de la croix deux têtes de mort et une tête de cheval; puis enfin un cinquième tableau qui n'est rien autre que le portrait même de la princesse, peinture exquise au dire de l'inventaire 1. Cette expression d'exquise ne paraît avoir rien d'exagéré, puisque Albert Dürer visitant, en 1520, le cabinet de madame Marguerite, ne trouve d'éloges que pour les œuvres de Jean van Eyck et de Barbarj : « Le vendredi, dit-il, madame Marguerite m'a fait voir toutes les belles choses qu'elle possède, et parmi lesquelles il y a près de quarante tableaux en proportions de miniature, d'une netteté et d'une beauté que je n'ai jamais rencontrées. J'y ai vu encore d'autres belles choses de Jean van Eyck et de Jacques Walch. J'ai demandé à madame Marguerite le livre des dessins de Jacques; mais elle m'a dit qu'elle l'avait promis à son peintre (Bernard van Orley).

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De toutes les toiles que nous avons signalées comme ayant figuré autrefois dans les riches galeries italiennes ou chez madame Marguerite, l'on n'en connaît plus qu'une seule, le petit saint Jérôme, merveilleuse miniature à l'huile, au dire de M. Waagen, qui n'a su à qui l'attribuer. Cette peinture se trouve actuellement dans le cabinet Baring, où elle porte le nom d'Albert Dürer. Mais d'autres œuvres de ce peintre, ignoré pendant des siècles, ont été remises dernièrement en lumière. Brulliot fut le premier qui en signala deux : l'une, signée des initiales IA DB, séparées par le caducée, représente le buste de N. S. Jésus-Christ; l'autre est une nature morte. Le premier, traité, au dire de M. Heller, dans le goût de Bellin, figure dans la galerie grand-ducale de Weimar, après avoir orné les cabinets du comte de Praun et de Frauenholz, de Nuremberg. Le second, actuellement dans la galerie d'Augsbourg, offre l'image d'une

4. Inventaires des tableaux, etc., de Marguerite d'Autriche, par M. le comte de Laborde, et Correspondance de Maximilien Ier avec Marguerite d'Autriche, par M. Le Glay.

perdrix morte, accrochée à un clou à côté de deux gantelets d'acier avec des doigts en mailles de fer, de deux brassards et d'une flèche. Le tout se détache sur un fond d'un gris jaunâtre imitant l'albâtre. Cette nature morte est exécutée sur un panneau couvert, suivant les procédés de Giovanni Bellini, d'une préparation à la craie. Elle est peinte avec une vérité, une précision et une finesse telles, qu'au premier abord on croirait avoir sous les yeux un chef-d'œuvre de Guillaume van Ælst ou de quelque autre Hollandais. Dans un coin du panneau, sur une feuille de papier pliée suivant la coutume des Vénitiens, on lit :

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Derrière ce tableau, sur un second volet, on voit une tête de femme donnée à Léonard de Vinci. Cette figure, peinte d'un ton clair, est, suivant M. Darcel, de qui nous tenons ce renseignement, plutôt dans le goût de l'école de van Eyck. Ce morceau, exécuté précieusement, ne serait-il point aussi de Jacopo de Barbarj?

On cite encore, comme se trouvant dans la collection d'un amateur de Ratisbonne, un troisième tableau de ce maître. Il représente un vieillard causant avec une jeune fille, et porte la signature: IA DA BARBARI M D III avec le caducée. La galerie de Dresde posséderait aussi, suivant MM. Renouvier et Harzen, deux volets détachés d'un triptyque, sur lesquels seraient peintes sainte Catherine et sainte Barbe, avec de longues chevelures blondes et des visages empreints d'une expression douloureuse 1.

Enfin nous possédons dans notre collection une toile de ce maître vénitien, marquée des lettres IA F F, séparées par le caducée. Peint sur un taffetas très-fin, semblable à ceux dont se servait Albert Dürer pour ses

1. Ces deux tableaux, avec les numéros 468, a, et 469, b, ne sont pas indiqués au livret.

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