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être étudiés. L'arrangement de la nouvelle galerie latérale est presque définitivement arrêté; cette salle, par les tableaux qu'elle contient, mérite d'être appelée Galerie de la Renaissance italienne.

Les amateurs verront encore dans notre Musée deux toiles nouvelles et intéressantes l'une, placée dans la dernière salle consacrée aux peintres français, représente la mort de Géricault par Ary Scheffer; l'autre est le paysage d'Hobbema, que nous avons vu figurer à la vente du duc de Mecklembourg. Cette dernière toile, acquise pour le prix de 52,500 francs, est certainement l'une des plus belles œuvres du grand maître hollandais.

- Quelques tableaux de Desportes, d'Oudry, de Boucher et d'autres maîtres avaient été retirés de la galerie du Louvre pour orner une salle du palais de Fontainebleau. Bien que ces toiles ne soient point des morceaux de premier ordre, l'émoi avait été grand parmi les amateurs et les artistes. « Si, disait-on, l'on nous enlève aujourd'hui ces peintures, qui nous garantira que demain on n'enlèvera point, pour un autre palais, la Joconde ou tout autre chef-d'œuvre ? »

Comme tout le monde, nous avions vivement regretté de voir le gouvernement entrer dans cette voie, et priver ainsi nos peintres d'utiles sujets d'étude. Mais, hâtons-nous de le dire, l'empereur ne veut point ravir à la nation des chefs-d'œuvre depuis longtemps livrés à son admiration : les tableaux qui appartenaient à la galerie ont été ou seront, nous dit-on, remis en place, et ce fait, en nous renseignant sur les intentions de Sa Majesté, doit nous rassurer pour l'avenir.

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MONUMENTS ANTIQUES

DE LA VILLE D'ORANGE

11.

LE THEATRE.

On peut visiter l'Italie, la Sicile, l'Archipel, l'Asie Mineure, tout l'ancien monde grec et romain; interroger les ruines des cinquante ou soixante théâtres dont nous parlent les voyageurs', on n'en trouvera pas un qui soit tout à la fois aussi imposant d'aspect, et aussi utile à consulter que le théâtre d'Orange. Par un hasard singulier, la partie qui, dans ces édifices, a le plus constamment souffert; qui n'apparaît en général qu'à fleur du sol; qui souvent même a complétement disparu, soit qu'elle fût sujette à plus de remaniements, soit que, dans certains cas, on ne la construisît qu'en bois, la scène, l'emplacement occupé par les acteurs, le théâtre lui-même, à vrai dire, s'est ici conservé dans toute sa hauteur depuis la base jusqu'au sommet. On peut trouver ailleurs des gradins en meilleur état; la partie semi-circulaire destinée au public, ce que nous appellerions aujourd'hui la salle de spectacle proprement dite, n'est plus qu'un amas de ruines, rien ne subsite des étages supérieurs, et, si les

4. Voici les noms des villes où existent des restes de théâtres antiques: hors d'Europe: Laodicée, Milet, Hiérapolis, Eizani, Bostra, Aspendus, Gabala, Éphèse, Side, Tralles, Myra, Pasara, Telmissus, Cnide, Stratonicée, Jassus, Rhodiopolis, Kyanea, Leto, Xanthe, Pinara, Kadianda, Oinoanda, Balbura, Kibyra, Alexandrie, Cniculum, Calama; en Europe Athènes, Délos, Mélos, Lacédémone, Mégalopolis, Mantinée, Argos, Épidaure, Sicyone, Thorikos, Rheniassa, Dramyssus, Pella, Pola, Alanna, Syracuse, Acrée, Ségeste, Tyndaris, Catane, Taormina, Nora, Hierapytna, Lythus, Gortina, Rome, Pompéi, Herculanum, Tusculum, Otricoli, Falère, Eugubium, Fiésole, Antium, Ferentum, Sagonte, Orange, Lillebonne, Valognes.

premiers rangs n'ont pas été détruits, c'est qu'ils sont assis sur le roc. La muraille, au contraire, contre laquelle la scène était adossée, et les constructions latérales qui la flanquaient de droite et de gauche, ce que les anciens appelaient le postscenium, le proscenium et le parascenium, sont restés debout comme par miracle. La masse tout entière en subsiste, il n'y manque que les revêtements décoratifs. Là, comme dans presque tous les monuments antiques, cette partie délicate a été brisée, mutilée, dérobée; mais les rares fragments qui en restent permettent de la restituer dans son ancien état sans grand effort d'imagination et sans abus de conjectures.

Est-il besoin d'insister sur le prix inestimable d'un pareil monument? Mettez de côté sa valeur archéologique, oubliez qu'il est peut-être unique. au monde et qu'il sert à éclaircir un des points les plus obscurs, les plus énigmatiques de l'architecture des anciens; il n'en restera pas moins au premier rang par le grandiose des proportions, la beauté de l'appareil, les dimensions des matériaux, la fermeté du style. Chaque fois qu'il nous est arrivé de voir et de mesurer des yeux cette immense façade, notre surprise a été plus grande. L'étonnement s'accroît quand on a la mémoire encore fraîche des monuments de l'Italie, car il n'existe, même à Rome, qu'une seule œuvre de main romaine dont la grandeur soit plus imposante encore, c'est à savoir le Colisée. Après ce géant des amphithéâtres on peut placer hardiment le théâtre d'Orange. Et c'est dans une chétive petite ville qu'on rencontre ce colosse! Contraste étrange qui ajoute encore, si c'est possible, à la grandeur de l'édifice.

Nous ne voulons pas nous arrêter aux questions que soulève cette disproportion entre le monument et la ville. Orange, nous le savons, est bien déchue de sa primitive importance; sans avoir joué jamais un grand rôle, cette cité fut, pendant quelques siècles, autrement peuplée qu'aujourd'hui, ce qui ne veut pas dire qu'elle le fût beaucoup. A suivre le développement de ses anciennes murailles, dont la trace est encore visible, on reconnaît que, même en ses meilleurs jours, le nombre de ses habitants n'était pas très-considérable. Pourquoi donc lui avoir bâti, et avec un tel luxe, un théâtre de premier ordre, où plus de sept mille spectateurs pouvaient s'asseoir à l'aise? Puis, à côté de ce théâtre, pourquoi cette autre construction d'une étendue plus étonnante encore, creusée dans le même rocher et se prolongeant bien au delà dans la plaine, vaste hippodrome dont on suit les débris et les substructions à travers les cours, les jardins, les caves des maisons, sur un parcours de plus de quatre cents mètres. Dans la plupart des villes soumises aux Romains, les courses de chars avaient lieu hors des murs, en plein champ on bâ

tissait à la légère quelques décorations, quelques abris et des gradins pour les curieux. Ce n'était guère qu'à Rome et dans quelques cités populeuses qu'on voyait au cœur de la ville des cirques permanents. Orange faisait donc exception; son hippodrome était un monument aussi solide que spacieux, pouvant loger sous ses portiques vingt mille personnes pour le moins. Et ce n'était pas tout un peu plus loin s'élevait un amphithéâtre dont il ne reste que des vestiges, moins immense en son genre que le théâtre et l'hippodrome, mais où les places se comptaient encore par milliers! Comprend-on que, dans cette modeste ville, on trouvât assez de spectateurs pour couvrir tous ces gradins? Il en venait, nous dit-on, du déhors les Cavares, dont Orange était le chef-lieu, entraient en ville, à certains jours de fête, pour assister aux jeux et aux spectacles, et c'est en prévision de ces affluences extraordinaires qu'on avait dû multiplier ces sortes d'édifices et leur donner ces vastes proportions 1. Mais les Cavares étaient un petit peuple dont le territoire ne comprenait qu'une partie des départements de la Drôme et de Vaucluse. Demandez donc aujourd'hui à deux ou trois de nos arrondissements d'envoyer vingt mille âmes à des courses de chars, et non pas une fois par hasard et à de longs intervalles! On ne bâtit des cirques et des théâtres comme ceux d'Orange que pour s'en servir fréquemment. Rien ne fait mieux sentir combien la Gaule impériale différait profondément de notre France que cette part démesurée donnée aux divertissemens publics. La première affaire de la vie était alors évidemment de se réjouir les yeux. Remarquez qu'autour de ces Cavares chaque peuplade, chaque ville, pour ainsi dire, était pourvue, presque aussi bien qu'Orange, de ce genre d'établissements. Vienne, Vaison, Arles, Nîmes, avaient des arènes célèbres; celles d'Arles et de Nîmes sont même encore debout, et le théâtre d'Arles, dont le proscenium est en partie détruit, mais dont l'enceinte existe, et qui, dans ses substructions, nous a conservé des trésors, était, à deux ou trois mètres près, aussi vaste que celui d'Orange. A moins de supposer chez les architectes romains un tel défaut de coup d'œil et de calcul, que ces immenses salles fussent toujours à moidié vides, il faut donc reconnaître que les possesseurs de la Gaule, pour amollir ces populations, leur avaient inspiré systématiquement une fièvre de plaisirs dont nous n'avons aucune idée, quelles que soient notre futilité et notre pente à nous distraire. Mais, en poussant les gens à s'amuser ainsi, on s'engage à les nourrir. Panem et circenses sont deux mots nécessairement liés; l'un ne pouvait aller sans l'autre, pas plus à Orange qu'à Rome. Sans travail, rien ne vit

1. Histoire de la ville d'Orange, par M. de Gasparin; in-12, p. 87 et 88. 1815.

en ce monde. Le précipice allait donc se creusant: ces édifices énervants, tout en prêtant secours au système impérial, étaient une des causes de son inévitable chute.

Peu importe, après tout; ce ne sont pas ces questions d'histoire que nous voulons traiter ici. Prenons les choses telles que nous les voyons, et n'expliquons que notre monument. Nous sommes en face d'un théâtre dont le mur de façade est au moins aussi haut que le palais Ricardi ou le palais Strozzi à Florence, et qui n'est guère moins long que le palais Pitti. Si nous allons chercher si loin nos termes de comparaison, c'est que nous ne connaissons pas de monuments qui, abstraction faite des détails, donnent mieux l'idée du théâtre d'Orange que ces grands palais florentins. Là aussi tout est sacrifié à la fierté, à la grandeur des lignes. Ils ont cet aspect rude, imposant, formidable, qui vous frappe à Orange, lorsque vous débouchez sur la place du théâtre. Pour prendre un autre exemple plus proche et plus connu, cette façade est une fois et demie 1 plus longue que l'arc de l'Étoile à Paris, et s'élève presque au niveau de la grande corniche qui supporte l'attique si lourdement ajouté à ce massif monument. Elle a donc plus de deux fois la hauteur des plus hautes maisons de Paris 2.

Était-il nécessaire qu'elle fût aussi gigantesque, et tous les théâtres antiques avaient-ils extérieurement cette tournure de forteresse? Deux choses devaient modifier sensiblement et la sévérité et même la hauteur du théâtre d'Orange: d'abord il était précédé par un portique ou promenoir qui masquait tout le premier rang d'arcades et coupait par une forte saillie horizontale les lignes verticales de la façade. Ce portique, selon toute apparence, se continuait, à angles droits, sur les quatre côtés d'une vaste place, et formait un forum. On n'apercevait donc le théâtre que par-dessus toutes ces colonnades; il les dominait avec majesté sans paraître les écraser. En second lieu tout semble démontrer, et M. Caristie en donne d'évidentes preuves, que les assises supérieures et la dernière corniche de cette façade ont dû être ajoutées après coup. Cette surélévation sera devenue nécessaire lorsque, par un raffinement dont la date ne saurait être exactement connue, on aura pris l'envie de garantir les acteurs contre la pluie et le soleil par un abri permanent, c'est-à-dire par un toit, tandis que, dans la construction primitive, ils ne devaient être protégés, comme les spectateurs, que par un simple

velarium.

4. Pour plus d'exactitude, il faudrait dire une fois et un tiers. L'arc de l'Étoile a 44.80 de longueur, et le théâtre d'Orange 403, 43.

2. Sa hauteur est de 36 mètres.

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