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MONUMENTS ANTIQUES

DE LA VILLE D'ORANGE

I.

L'ARC DE TRIOMPHE.

M. Caristie, aujourd'hui membre de l'Institut, et un de nos architectes les plus expérimentés et les plus judicieux, eut le bonheur, dans sa jeunesse, vers 1825, de remplir une de ces missions qui fondent la réputation d'un homme lorsqu'il s'en tire avec honneur, mission jusquelà sans exemple, et d'où devait sortir, pour toute une classe de travaux publics, comme un modèle et un enseignement. Il s'agissait de la consolidation d'un monument antique, l'arc de triomphe d'Orange. La belle publication que nous avons sous

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les yeux1 a pour but de perpétuer le souvenir de cette mission, en même temps qu'elle nous donne occasion d'étudier à fond deux grands vestiges de l'antique architecture romaine.

1. Monuments antiques à Orange: Arc de triomphe et théâtres, publiés, sous les auspices de S. E. M. le ministre d'État, par Auguste Caristie, architecte, membre

de l'Institut, etc.

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Paris, Didot.

C'était, je le répète, une entreprise alors absolument nouvelle en France, que de prévenir la chute d'un ancien monument, et d'en prolonger l'existence sans en altérer le style et l'aspect extérieur. De 1789 à 1800, on n'avait fait que démolir; de 1800 à 1814, la destruction s'était plutôt ralentie qu'arrêtée, bien que, dans quelques villes, à Nîmes, par exemple, l'autorité municipale eût fait certains efforts, plus méritoires qu'habiles, pour protéger ses monuments. C'est seulement cinq ans après 1814 qu'on aperçoit un temps d'arrêt et comme le premier signe d'un mouvement réparateur. Une circulaire du ministre de l'intérieur, en date du 8 avril 1819, demandait à tous les préfets des renseignements circonstanciés sur les monuments et les antiquités de leurs départements, ainsi que sur les mesures à prendre pour en assurer la conservation. Par suite de cette circulaire, une ordonnance du roi établissait, au sein de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, une commission chargée de procéder à l'examen et au classement des documents transmis par les préfets; malheureusement cette bonne volonté demeura presque stérile pendant les onze années écoulées de 1819 à 1830. Quelques rares notices parvinrent à l'Institut, et la commission fut souvent très-embarrassée de savoir à qui donner les médailles dont elle disposait chaque année. Aujourd'hui c'est un autre embarras on a beau diviser, fractionner ces médailles, chaque année la commission regrette de ne pouvoir les multiplier assez.

Si le zèle manquait en 1819 pour décrire nos monuments, qu'était-ce donc pour les réparer? Personne n'y songeait, ou si, par grand hasard, l'autorité prenait pitié de quelque édifice en péril, c'était presque toujours pour lui porter malheur. Ainsi, à Paris même, on avait vu, vers cette époque, un architecte en renom ne rien trouver de mieux, pour garantir la voûte de la grande salle du palais des Thermes, que de la coiffer de cet immense et affreux chapeau de tuiles copié trait pour trait sur les toits de la halle aux vins, masse informe et disparate, qu'on vient de corriger il y a seulement quelques années. Nous n'avons pas besoin de dire que M. Caristie avait conçu tout autrement son projet de restauration.

Il était temps de se mettre à l'œuvre. La ruine était imminente. Millin, dans son voyage, daté de 1807, décrit l'état de l'édifice en termes très-alarmants et prédit un prochain désastre. Quatre ans après son passage à Orange, en 1811, la nécessité d'une consolidation devenait plus évidente encore. En redressant, aux abords de la ville, la route impériale de Paris à Antibes, on l'avait dirigée en ligne droite dans l'axe de l'arc de triomphe, que jusque-là elle laissait de côté, et, comme à Paris, pour l'arc de l'Étoile, on avait fait contourner la chaussée autour du monu

ment. Or, pour ouvrir ce double embranchement semi-circulaire, il avait fallu déblayer et enlever, au niveau du sol, une masse de pierres et de moellons qui garnissaient le pied de l'édifice jusqu'à cinq ou six mètres de hauteur, et qui, tout en cachant une partie des sculptures, servaient à maintenir et à fortifier la construction. Ces débris provenaient de grandes murailles crénelées, qu'un prince d'Orange, Raymond de Baux, avait élevées, au XIIIe siècle, par-dessus la maçonnerie romaine. Cette sorte de donjon subsista jusqu'en 1721. Le prince de Conti, alors propriétaire de la principauté d'Orange, tout récemment réunie à la France. par le traité d'Utrecht, ordonna de démolir les additions du moyen âge et de ne respecter que la construction antique. L'ordre fut exécuté, mais, une fois par terre, les pierres et les moellons restèrent là pêle-mêle, depuis 1721 jusqu'en 1811.

Privés de cet appui, les parements inférieurs menaçaient de se détacher, et les parties supérieures n'étaient guère moins malades, bien que deux fois déjà on eût essayé de les réparer, d'abord en 1722, peu de temps après la démolition du donjon, puis en 1780. Grossièrement exécutées par des maçons du pays, ces réparations ne consistaient qu'en reprises imparfaites et sans consistance. On avait eu seulement l'utile précaution d'ajuster un toit sur le monument, remède efficace contre la pluie, mais du plus disgracieux effet. On le voit donc, tout était à reprendre, depuis la base jusqu'au sommet.

Rien de plus intéressant que de suivre, dans le texte de M. Caristie et surtout dans les nombreuses planches qui l'accompagnent, les détails de cette délicate et difficile opération. Le premier but de l'architecte était de rendre à l'édifice sa solidité première, de le mettre en état de vivre encore autant qu'il avait vécu, sans cependant le rebâtir à nouveau, et en s'imposant la tâche de conserver en place tout ce qui était suffisamment solide. Quant aux parties qu'il fallait nécessairement démonter et reconstruire, il n'entendait leur rendre que la silhouette antique et leur donner dans le détail un caractère d'ébauche, afin de ne pas tromper le spectateur et de satisfaire à la fois ses yeux et son esprit, en lui permettant de saisir l'effet d'ensemble, l'ancien aspect général du monument, et de ne pas confondre les parties vraiment antiques et les parties seulement imitées. Ce sont là les vrais principes en matière de restauration ni trompe-l'œil, ni désaccord; solidité parfaite, harmonie générale, distinction consciencieuse du neuf et de l'ancien. Ces principes, que des hommes habiles pratiquent aujourd'hui en perfection, personne ne les avait enseignés à M. Caristie: il les avait trouvés dans la justesse de son esprit, dans son respect intelligent du beau et de l'antiquité.

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Les jeunes architectes feront bien d'étudier ce compte rendu fidèle, ce procès-verbal instructif. Que de précautions minutieuses en apparence et qui, pourtant, ne sauraient être négligées! Depuis l'étayement préalable et la démolition successive des parties ajoutées en 1722 et 1780 jusqu'au choix des matériaux et au mode d'assemblage, tout fut combiné, calculé avec une prévoyante sévérité. M. Caristie eut le bonheur de retrouver la carrière qui avait servi à la construction primitive1, et en fit extraire les pierres dont il avait besoin; puis il donna à chaque pierre les mêmes dimensions de hauteur et de longueur qui lui appartenaient dans l'ancien appareil, afin de pouvoir replacer dans leur première position tous les matériaux antiques portant encore des restes de sculpture. Partout où les corniches étaient brisées, partout où les lignes de profils étaient interrompues, il les fit reproduire, mais en s'abstenant de refendre les moulures, afin que sa restauration demeurât toujours lisible. Par la même raison, il ne se refusa pas à canneler les colonnes nouvellement refaites, mais il eut soin de laisser les chapiteaux seulement épannelés. A l'intérieur, dans cette partie vide et voûtée qui surmonte les trois arcades, il remit en place les murs de refend détruits par le moyen âge, de même qu'à l'intérieur il fit rétablir l'assise supérieure qui couronnait l'édifice et les grands piédestaux destinés à porter, au centre, un quadrige triomphal, et, de chaque côté, un groupe de trophées. Enfin, n'oublions pas que, pour relier entre elles toutes les assises des parties nouvellement bâties, et pour les rattacher aux restes de l'antique construction, il se conforma scrupuleusement au mode suivi par l'architecte romain. Que pouvait-il faire de mieux, puisque, grâce à ce système de liaison, le monument, dans son ensemble, n'avait subi, en dix-huit siècles, aucune espèce de mouvement? De ses quatre façades, trois avaient conservé parfaitement leur aplomb, et quant à la quatrième, la face occidentale, l'état de ruine où elle était tombée ne provenait évidemment pas de la seule action du temps; antérieurement au XIIIe siècle, la main des hommes avait dû faire brèche dans ces pierres si bien jointes, puisque, pour édifier la forteresse de Raymond de Baux, on avait, dès lors, maçonné une large reprise dans le flanc de l'édifice antique.

Tels sont, en abrégé, les travaux qui ont rendu à l'arc d'Orange la plus complète solidité et cette fermeté de lignes, cet air vigoureux et bien assis d'un monument encore plein de jeunesse. Si, dans les siècles à venir, le respect archéologique se maintient parmi nous et protége ces nobles pierres contre toute barbarie nouvelle, il est permis d'espérer que

1. La carrière de Baumes de Transit.

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