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<< une des ouvertures est couverte d'une gaze fort serrée; on applique doucement le « bas du tuyau sur la couleur dont la gaze se charge; après quoi on souffle dans le <«< tuyau contre la porcelaine, qui se trouve ensuite toute chargée de petits points bleus. << On souffle le rouge de même que le bleu sur la porcelaine, mais il est plus difficile « d'y réussir. Les dessins d'or que l'on trouve sur ces porcelaines sont appliqués au « pinceau. >>

Dans une autre salle sont rangés les spécimens de trois genres de fabrication trèsdistincts, et que l'on rencontre assez rarement en France. Ce sont:

4o Des pièces en bleu lapis, dont certaines parties réservées en blanc sont peintes comme les pièces dites de la famille verte;

2o Des collections entières de vases de toute espèce en porcelaine café au lait et café au lait craquelé;

3o Des potiches, théières, assiettes, tasses en porcelaine café au lait comme la précédente, où courent des arabesques de feuillage d'un vert vif et harmonieux. Les formes sont en général très-élégantes et assez pures. Le conservateur, qui voulait bien me guider, m'a affirmé que cette porcelaine était de fabrication cochinchinoise, et, pour me le prouver, m'a montré une marque estampillée sous une de ces pièces. Je ne connais pas le cochinchinois, et j'attends, pour partager l'avis du conservateur, une preuve plus convaincante qu'une marque que tout le monde peut imiter.

Au milieu de cette quantité d'objets, j'en ai remarqué dix qui m'ont paru appartenir à une fabrication assez curieuse pour devoir être notée. Ce sont cinq tasses à thé et cinq soucoupes fond blanc à dessins d'oiseaux. Cela n'a rien que d'ordinaire, mais ce qui ne l'est pas, c'est que la bordure des tasses et des soucoupes a été découpée et fenestrée comme une truelle à poisson avant l'immersion dans la couverte. Puis, au moment de l'immersion, loin de dégager les découpures de la glaçure qui les a obstruées, on les en a au contraire remplies, en sorte qu'elles sont couvertes comme d'un talc extrêmement léger et transparent qui laisse voir la finesse du travail en même temps qu'il empêche le liquide, que ces tasses sont destinées à contenir, de s'échapper par les mille déchiquetures de la pâte. C'est le seul exemple que je connaisse de cette fabrication. La soucoupe d'une de ces tasses est, en outre, incrustée d'émaux imitant les rubis et les saphirs, ce qui produit un effet plus bizarre que beau.

Enfin, dans la dernière salle de la porcelaine chinoise, l'on a placé sous une vitrine, dans l'endroit le plus apparent, le phénix de toutes ces raretés. Ce sont six assiettes d'une pâte extrêmement fine, recouvertes d'une glaçure blanche non moins délicate et portant peintes au naturel les armes de Charles-Quint: la double aigle couronnée, tenant dans ses serres les colonnes d'Hercule où s'enroulent les doubles C, initiale de Carolus. Je doute qu'il existe d'autres porcelaines remontant au seizième siècle, dont l'authenticité soit aussi irrécusable que celle de ces pièces. On sait que les premiers spécimens de la porcelaine chinoise furent importés par les navigateurs portugais vers 4506. Or, comme Charles-Quint fut élu empereur d'Allemagne en 1549, comme ces six assiettes furent prises à Inspruck en 1552, lorsque l'électeur de Saxe, Maurice, força l'empereur à quitter précipitamment cette ville, il est certain qu'elles furent commandées et exécutées en Chine entre 1549 et 1522. Elles ont donc pour le moins trois cent dix ans d'existence bien constatée. Je souhaite une pareille antiquité à toutes les porcelaines que les amateurs possèdent dans leurs collections.

Il est tout simple qu'à Dresde la salle consacrée aux porcelaines de Saxe soit intéressante. On y a réuni les échantillons de tous les essais tentés au commencement du

XVIIIe siècle par Jean-Frédéric Böttcher pour arriver à ces élégants produits qui figurent aujourd'hui dans les collections de tout homme de goût. L'on peut y suivre d'une façon aussi complète que détaillée toutes les phases de cette fabrication. Je n'ai pas à en retracer l'histoire. M. Labarte s'est chargé de ce soin dans l'introduction du catalogue Debruge-Duménil, et l'a fait de manière à rendre inutile toute tentative nouvelle. J'y renvoie ceux qui s'intéressent à ces détails, et je me borne à décrire ce que j'ai vu.

« C'est en 1704, dit M. Labarte, que Böttcher obtint une poterie rouge, dense, so« lide, très-dure, qui avait par cela même quelques-unes des qualités de la porcelaine, « mais ne possédait par la plus essentielle : la translucidité. Cette poterie n'était autre <«< chose qu'une espèce de grès cérame. » Elle ressemble beaucoup au boccaro. Le Palais japonais en offre plusieurs pièces. Ce sont presque toutes des tasses avec leurs soucoupes. Avant d'arriver aux produits en porcelaine blanche, il s'écoula cinq ans pendant lesquels l'esprit industrieux de Böttcher, aidé de la science de Tchirnauss et du sangfroid de Steinbrüch, son beau-frère, s'exerça sur la préparation de cette faïence rouge, et sut lui faire produire des résultats différant essentiellement entre eux, et dont le Palais japonais a conservé des exemplaires. Tantôt la pièce sortant mate du moufle, et n'étant recouverte d'aucune glaçure, d'aucun enduit translucide, était polie à la main après la cuisson; tantôt les objets ayant trop cuit prenaient une teinte ferrugineuse particulièrement agréable à l'électeur, qui les faisait mettre de côté pour son usage personnel. Aucun de ces objets, je le répète, ne porte trace de glaçure. C'est l'enfance de la porcelaine de Saxe.

Puis vient sa jeunesse, qui consiste en pièces trempées d'un léger enduit, mais toujours en terre rougeâtre se rapprochant plus du grès que de la porcelaine. En cuisant, l'enduit métallique de plusieurs de ces pièces pénétra dans la pâte, la décomposa, et de rouge brique elle devint complétement noire. De ce qui était une imperfection Böttcher fit une rareté. Il composa plusieurs services noirs dont la teinte, sinon la forme, rappelle celle des vases dits de Nola, et peut tromper au premier abord. Une tablette est exclusivement chargée de ces pièces noires.

« Enfin, dit M. Labarte, après quelques travaux, Böttcher réussit, en 1709, à obtenir <«< une porcelaine blanche et translucide ayant tous les caractères de celle de la Chine. « Le 6 juin 1740, la fabrique de porcelaine fut installée dans le château de Meissen; << Böttcher en fut nommé le directeur. Le but des travaux de Böttcher avait été d'obtenir <«< une poterie semblable à celle de la Chine: aussi ne jugea-t-on rien de mieux à faire << dans l'origine que de copier le plus fidèlement possible, soit pour les formes, soit pour « les couleurs, les belles porcelaines de ce pays. La manufacture de Meissen parvint à << une imitation si parfaite, qu'il faut un œil très-exercé pour distin«guer les porcelaines qui y étaient fabriquées dans le style chinois

R

« des véritables porcelaines chinoines. Les premières porcelaines

<«< sont au surplus marquées d'un A et d'un R entrelacés (Augustus

« Rex). Cette marque a subsisté jusqu'en 1730. On sait qu'après

« cette époque la fabrique de Meissen adopta pour marque les deux

་་ épées en croix, d'abord encadrées dans un triangle, puis sans encadrement. >> Cependant, même avant la mort d'Auguste Le Fort, la marque A R n'était pas la seule dont fussent frappés les produits de la fabrique de Meissen. Il en existe deux autres appartenant au même établissement.

Une fois la porcelaine blanche trouvée, la fabrique de Meissen ne tarda pas à jouir d'une grande célébrité en Saxe et à l'étranger, et, pour satisfaire aux demandes qui lui

arrivaient de tous côtés, à être forcée d'augmenter le nombre de ses fours et celui de ses ouvriers. Böttcher scinda alors sa fabrication en deux, et, avec l'autorisation de son souverain, fournit des modèles à l'industrie particulière, tout en continuant à travailler spécialement pour la cour de Saxe. Le monogramme A R fut réservé pour les pièces royales, et celles destinées aux particuliers et à la vente furent frappées d'un caducée qui affecte la forme suivante :

Enfin, l'on sait qu'à tous les goûts les plus somptueux Auguste Le Fort joignait un penchant très-prononcé pour le beau sexe. Le roi de Pologne avait le cœur tendre et était aussi faible qu'inconstant avec ses maîtresses. Une femme de la noblesse saxonne, la comtesse de Kösel, précéda, dans les amours du roi, la fameuse comtesse de Konigsmarck. Auguste Le Fort fit faire pour elle à Meissen plusieurs services complets dont on retrouve encore des pièces éparses, et dont le Palais japonais possède plusieurs spécimens portant la marque ci-jointe, dont l'explication, au dire des savants saxons, serait à peine possible en latin. On retrouve un poinçon semblable sur certaines pièces de monnaie frappées en Saxe durant la faveur de madame de Kösel, et qui en ont pris le nom : ce sont les florins de la comtesse. Ces florins sont avidement recherchés par les numismates allemands.

Parmi les pièces placées dans les deux dernières salles, j'ai remarqué :

De nombreuses figurines en biscuit de Saxe colorié. Dans le nombre, ce groupe d'un homme, lunettes sur le nez, ciseaux en main, portant un tablier et monté sur un banc, c'est le portrait du tailleur du fameux comte de Brühl, le ministre d'Auguste Le Fort. Ce tailleur passe pour avoir souvent mis au service des amours du roi, son maître, une dextérité qu'il ne portait pas, dit-on, dans la confection des hauts-de-chausses. Il existe deux modèles de ce groupe. Le plus petit est le plus rare.

Un service offert à la princesse de Saxe, lors de son mariage avec le dauphin, fils de Louis XV.

Des imitations de Sèvres,

fond bleu, grand feu, - faites à la fabrique de Meissen par ordre de Napoléon Ir. Cet essai ne fut pas heureux et l'on dut y renoncer. Enfin, dans la dernière salle, quelques pièces assez médiocres de Delft, de Rouen et de Frankenthal; des Wedgwood, et de beaux échantillons de plats hispano-arabes et de majolicas du duché d'Urbin. On a prudemment caché dans un coin une mauvaise imitation moderne des faïences de Bernard Palissy.

Je n'ai pas la prétention d'avoir fait connaître ce que le Palais japonais de Dresde contient de curieux, de beau et d'intéressant. Mon but a été d'en donner une idée générale et d'appeler sur cet établissement l'attention des amateurs et des personnes compétentes. Il y a là une mine d'informations inexplorée, et dont la mise en œuvre ferait certainement faire de rapides progrès à une science à peine née, la céramographie. cte L. CLÉMENT DE RIS.

LIVRES D'ART

LES CONTES RÉMOIS, par le comte Louis de Chevigné, dessins de MM. Meissonier et Foulquier, gravés par M. Lavoignat, imprimés

par J. Claye. Paris, Michel Lévy frères. 1861.

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Heureux le livre qui, de nos jours, s'il n'est point un roman brutalement enluminé, franchit le cap de la cinquième édition! La cargaison de celui-ci est de cette marchandise que l'on ne déguste qu'en petit comité! mais M. de Chevigné, en homme de bonne compagnie, ne l'assaisonne que de sel attique, et, en capitaine expérimenté, il avait chargé M. Meissonier de dessiner trente-quatre petits passe-ports, atténuant, plus souvent encore qu'ils ne les commentent, les gaillardises du texte.

Nous n'avons pas mission pour parler des vers de ce joli volume aux lecteurs de la Gazette des Beaux-Arts; disons donc seulement que nous les jugeons dignes de figurer à côté de ceux des maîtres du genre, dans ce casier de la bibliothèque dont le père de famille garde la clef en sa poche. Mais les dessins de M. Meissonier sont de notre domaine, et nous n'éprouvons nul embarras à leur distribuer ici les éloges et la critique.

M. Meissonier a retrouvé dans cette suite les heureuses qualités d'imagination qu'il avait déployées, dans sa jeunesse, en traduisant la Chaumière indienne. Ici même, avec un dessin aussi correct, un rendu aussi consciencieux, il a montré une interprétation plus libre. Le texte le gênant moins que la prose descriptive de Bernardin de Saint-Pierre, il a composé les scènes, disposé les acteurs, inventé les intérieurs avec un sentiment plus personnel. Il semble qu'il ne se soit servi des pages du livre que

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pour y mettre des sujets de tableaux, et, de fait, nous retrouvons à l'Exposition de cette année, sans presque aucune variante, le Maréchal ferrant, qui s'appelle dans le

livre le Bon cousin.

Cet intérieur de l'église de Poissy, où le Prédicateur ennemi de la foule s'endort dans sa chaire, au milieu des rangées muettes des bancs de chêne luisants, ne nous promet-il pas quelque piquante variante à ces coins d'atelier de peintre dont le maître s'est montré si prodigue? Il y a encore un petit atelier de sculpteur, dont la poussière

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de marbre ou le plâtre de mouleur glace des tons gris les plus doux le pittoresque mobilier.

Un élément nouveau

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la femme semble devoir entrer dans l'oeuvre de l'artiste.

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Cette petite scène, qui, dans les contes de M. de Chevigné, est intitulée le Pèlerinage (et c'est dans l'un des plus lestement écrits), montre avec quelle simplicité M. Meis

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