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trouver, dans l'espace laissé vacant par Carrey, la place des chevaux que suppose M. Cockerell. Tout ce qu'on pourrait accorder, c'est que la déesse de la Méditerranée était traînée par des animaux marins dont le dauphin, qu'on voit encore à ses pieds dans le dessin de Carrey, était un dernier vestige.

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Vient ensuite une figure de Latone avec ses deux enfants, Diane et Apollon. « Phidias, dit Müller, l'a placée là parce qu'Apollon se montre souvent, dans les mythes, le compagnon et l'ami de Neptune. Le siége de la déesse est baigné par les flots, sans doute parce que cette pierre sur laquelle elle est assise représente l'île de Délos. Dans la femme qui suit, sur les genoux de laquelle est une jeune fille presque nue, on peut voir ou Cérès avec Proserpine, ou Dioné avec Vénus. Je préfère ces derniers noms, parce que la nudité presque complète du corps convient mieux à Vénus, qui était aussi honorée parmi les divinités de la mer '. Müller donne ensuite le nom de Cérès à une figure de femme drapée, et pense que l'espace vide qui vient après cette statue, dans le dessin de Carrey, a dû être rempli par la figure de Proserpine. Il allègue la liaison qui existait entre les déesses éleusiniennes et Neptune, liaison attestée par ce qu'on racontait d'Eumolpe 2. Mais le nom de Démophon, celui de Buzygès, qui appartiennent également au culte de Cérès et à celui de Minerve, peuvent être opposés au nom d'Eumolpe et témoignent sans doute des rapports intimes qui existaient entre les divinités éleusiniennes et la déesse de l'Acropole. On pourrait, ce me semble, remplacer ici Cérès par Halia, sœur des Telchines, qui fut divinisée sous le nom de Leucothée, et lui donner pour compagne Rhodé, la fille qu'elle eut de Neptune, et dont l'île de Rhodes passait pour avoir reçu son nom: Halirrhotius, ce fils de Neptune, dont le nom exprime le bouillonnement des ondes, occupait l'avant-dernière place, et celle de l'angle était remplie par une figure couchée, à laquelle on a donné le nom d'Euryte, maîtresse de Neptune et mère d'Halirrhotius".

Le morceau le plus considérable de ceux du fronton occidental qui ont été transportés à Londres est celui qui a reçu le nom de l'Ilissus, et dont la gravure est jointe à cet article. Cette statue, qu'on a associée au Bacchus du fronton oriental dans une commune admiration, est plus

A. De Phid. vit. et op., p. 83.

2. Fils de Neptune et de Chioné, qui vint de Thrace en Attique. Il a été regardé par quelques auteurs comme le fondateur des mystères d'Éleusis, dont le sacerdoce demeura héréditaire dans la famille des Eumolpides.

3. Creuzer, dans la traduction de Guigniaut, t. II, p. 736.

4. O. Müller, loc. cit.

mutilée encore, puisque la tête, une partie des bras, et les jambes jusqu'aux genoux, ont péri1. Mais la superficie est beaucoup mieux conservée dans ce qui reste qu'elle ne l'est dans le Bacchus ou Thésée, de sorte qu'on peut jouir de l'exécution, qui est admirable. La pose de l'Ilissus est, d'ailleurs, pleine de vie et de naturel. Le dieu-fleuve, entendant la nouvelle de la lutte qui vient de s'engager entre Minerve et Neptune, ou peut-être tiré de sa rêverie par le bruit du char, se soulève de la terre où il reposait, et, en s'appuyant sur sa main, se tourne vers le lieu de l'action. Le mouvement marque bien la curiosité, ou même l'intérêt; mais il n'a pas, ce me semble, l'impétuosité que lui prête Visconti. J'y crois sentir, au contraire, quelque chose d'indolent, une sorte de lenteur qui convient sans doute à un fleuve dont les eaux, chères aux Muses, coulaient avec une paisible harmonie, et parfois s'endormaient un peu sous les lauriers-roses. M. Beulé me semble avoir très-bien saisi dans cette figure un certain caractère féminin qui se marque surtout vers la chute des reins 3. Bien que les formes du corps soient pleines et vigoureuses, elles ne sont cependant pas exemptes de mollesse; on voit que ce corps n'est pas celui d'un héros exercé aux combats, mais d'un dieu qui vit dans le repos, occupé d'une tâche facile. Les Athéniens n'avaient sans doute pas besoin d'autre indice pour reconnaître le fleuve dont l'urne paresseuse, à l'agréable murmure, inspirait plus de vers qu'elle ne faisait naître de moissons. La draperie qui est étendue sous le dieu mêle ses plis aux ondulations des eaux figurées sur la plinthe. Cette statue offre des traces de couleur‘.

En comparant cette figure au Laocoon, M. Beulé fait ressortir la différence qui existe entre l'art trop apparent de l'œuvre d'Agesander et la science cachée du sculpteur du fronton occidental . C'est cette aisance dans le style, cette fraîcheur dans l'exécution qui, jointes à une parfaite vérité, à une délicatesse exquise, donnent à cette figure une grâce et une séduction extraordinaires ".

A côté de l'Ilissus était ce groupe de deux figures que les yeux pré

4. La main gauche et une partie du bras droit existaient encore du temps de Stuart, qui a dessiné cette statue. Antiq. of Ath., t. II, pl. ix.

2. Mém. sur des ouvr. de sculp. du Parth., p. 24.

3. Acrop. d'Ath., t. II, p. 90.

4. The Elgin marbles, t. II, p. 23.

5. Loc. cit.

6. Mus. brit., n° 99. Une tête ceinte du strophium, qu'on voit sous le n° 247, avait eté regardée comme pouvant s'adapter à cette statue; mais cette tête, sur laquelle Visconti ne se prononce pas, a été reconnue pour un ouvrage romain par Otfried Müller.

venus de Spon prirent jadis pour l'empereur Adrien et Sabine, sa femme. On y reconnaît aujourd'hui Cécrops et une de ses filles. Ces statues sont très-mutilées et très-dégradées. Je ne sais si les exhalaisons salines de la mer ont contribué à cette altération à laquelle on prétend que le marbre pentélique est sujet 1. Ce groupe est demeuré à Athènes où il se voit encore, à son ancienne place, sur la corniche du Parthénon; lord Elgin l'aura trouvé trop détérioré pour s'en emparer. Il a été dessiné par Carrey et par Stuart 2. Les têtes ne manquaient pas alors comme aujourd'hui, mais les bras avaient déjà disparu. On croit que la tête de l'homme, qui était âgé et barbu, a été enlevée vers 1803. Quant à la tête de femme, M. Fauvel, ancien consul de France à Athènes, prétendait la posséder; mais on doute que cette tête, dans laquelle M. Fauvel avait remarqué des trous qui devaient avoir servi à fixer un diadème, fût réellement celle de la statue dont il s'agit . Les moulages de ces deux statues existent à l'École des beaux-arts. Cécrops est assis; ses jambes, qu'une draperie recouvre, sont repliées. Appuyé sur un bras, il soutient de l'autre sa fille agenouillée auprès de lui, et dont le bras caressant s'appuie sur l'épaule paternelle. M. Beulé, qui a pu voir le groupe lui-même, vante la beauté et la conservation du dos nerveux du vieillard et du bras de la jeune femme. On comprend que la partie qui se trouvait contre le mur du fronton ait été mieux protégée, et par là mieux préservée que les autres des intempéries de l'air 5.

Après la prise d'Athènes par les Vénitiens, en 1687, le capitan géné– ral Morosini tenta d'enlever le groupe central du fronton de l'opisthodome, c'est-à-dire Neptune, Minerve avec son char, Érichthonius et la Victoire; mais l'opération fut conduite avec tant de maladresse que les statues tombèrent et se brisèrent sur le rocher de l'Acropole ". Il ne reste de ces figures que des fragments parmi lesquels, pour des raisons que je dirai tout à l'heure, je ne range pas le torse qu'on a pris, à tort je le crois, pour le torse de la Victoire Aptère. On possède à Londres un morceau du Neptune, d'une puissance et d'une perfection d'exécution admirables; il représente les épaules et le haut de la poitrine. Cette poitrine du dieu des mers rappelle que cette partie était chez ce dieu d'une beauté caractéristique; ainsi du moins l'affirmaient les poëtes: Homère donne à

4. Visconti, Mémoire cité, p. 47.

2. Antiq. of Ath., vol. II, ch. 1, pl. 1x.

3. O. Müller, op. cit., p. 88.

4. Ibid.

5. Voir la vignette placée en tête de l'article.

6. Athènes aux xvo, xvro et xvir siècles, par M. de Laborde, t. II, p. 224.

Agamemnon la tête et les yeux de Jupiter, la ceinture de Mars et la poitrine de Neptune1. Ce fragment donne une haute idée de la beauté de la statue que les premiers voyageurs, sans doute à cause de la majesté qui s'y révélait, avaient prise pour une figure de Jupiter. Quatremère de Quincy a été le premier à y reconnaître Neptune. Le Neptune du Parthénon avait, d'après le calcul de Visconti, environ douze pieds anglais de hauteur. C'est ce même Neptune qui, après la chute des statues dont Morosini avait voulu dépouiller le Parthénon, demeura longtemps les jambes en l'air, à demi enterré dans la masse des décombres, et dont les Turcs, scandalisés de l'indécence de cette posture, rompirent les jambes pour en faire de la chaux 3.

De la Minerve on a deux fragments. Le fragment drapé, qui est un morceau du torse, est remarquable par les trous creusés pour fixer les serpents de bronze qui formaient sans doute la bordure de l'égide, et le masque de Gorgone de même métal qui en occupait le centre. Des traces analogues se font voir dans le fragment de tête de la même statue que lord Elgin a ramassé sur le plan inférieur du fronton: un sillon tracé sur le contour du front montre que la tête de Minerve a dû porter un casque, et l'orbite des yeux est creusé pour recevoir des prunelles d'une matière différente, soit bronze, soit pierre brillante. Il ne reste des deux chevaux que de menus débris que l'on conserve à Athènes dans une citerne, au-dessous du Parthenon, et le souvenir de l'admiration qu'ils ont inspirée. Après les majestueuses figures des divinités en lutte l'une contre l'autre, ce qui frappait et attirait le plus les regards, c'étaient les chevaux et leur vie prodigieuse : le Grec de Nauplie à qui, par une lettre insérée dans la Turco-Græcia de Martin Kraus, l'Europe savante dut les premières nouvelles d'Athènes après des siècles de barbarie, n'avait même vu que ces chevaux placés au-dessus de la grande porte de l'église, et qui, tant était grande l'expression de vie et de férocité que l'artiste avait

4. Iliade, ch. It, p. 477 ; στέρνον δέ Ποσειδάωνι.

2. Mémoire cité, p. 46.

3. O. Müller, de Phid. vit. et op., p. 92, d'après Fauvel. de Neptune porte, au Musée britannique, le no 403.

4. Mus. brit., no 102.

Le fragment du torse

5. Sur les ornements de métal dans les statues des frontons, voyez les indications données par sir John Ellis, Elgin marbles, t. II, p. 8, 14, 24, 26, et aussi Visconti, Beulé, etc.

6. Publiée à Basle, sous le nom de Martinus Crusius, en 1854. La lettre de Théodore Zygomalas est au liv. XIII, ch. x. Voyez aussi l'ouvrage de M. de Laborde (Athènes aux xva, xvio et XVIIe siècles) où cette lettre est citée et traduite, t. I, p. 55 et suiv.

su leur donner, lui avaient paru, comme les chevaux de Diomède, avides de chair humaine.

Le torse d'Érichthonius, bien qu'il ait beaucoup souffert, se distingue encore par la grandeur et la noblesse du style 1. Dans le dessin de Carrey, ce personnage est placé à l'arrière-plan, entre Minerve et la Victoire, la tête tournée vers celle-ci; la partie inférieure de la figure est cachée par le char sur lequel la Victoire est assise. On a attribué à cette statue de la Victoire Aptère un beau fragment de statue drapée qui est au Musée britannique. Mais, si l'on examine bien ce morceau, en le comparant à la figure de la Victoire du dessin de Carrey, on trouvera qu'il ne s'y rapporte point. En effet, dans le dessin, ainsi qu'O. Müller l'a fort bien remarqué, la Victoire porte en avant le bras gauche et retire le bras droit, elle élève la cuisse gauche de manière à former un angle avec le tronc du corps. Il n'en est pas de même du fragment du Musée britannique. On peut y voir, adhérentes encore au tronc, une partie du bras gauche et une très-petite portion de la cuisse gauche; on se convaincra, en les examinant, que le bras gauche ne faisait point le mouvement indiqué par Carrey, mais un mouvement en arrière. Quant à la cuisse gauche, elle est très-légèrement soulevée; la droite, à en juger par le mouvement qu'on voit dans la partie postérieure de la figure, doit l'avoir été davantage. Rien de tout cela ne convient à la Victoire du dessin; mais, au contraire, tout se rapporte parfaitement à la figure d'Amphitrite qu'on voit assise à la gauche de Neptune. Et ici j'ai à citer, outre l'autorité de Müller, celle de Quatremère de Quincy : « Il suffit, dit-il, de regarder le fragment du côté où le dessin de Nointel nous montre Amphitrite, pour reconnaître l'identité de la pose, du mouvement, de l'ajustement et même de la draperie, qui, vers le haut de la cuisse gauche, se trouve fendue et laissait voir, selon le témoignage irrécusable du dessin, le nu de la cuisse et de la jambe, goût de draperie très-conforme au caractère d'une déesse marine 3. >>

C'est ici le lieu de parler de deux têtes qu'on regarde comme provenant du fronton occidental, et qui justifient cette attribution par le caractère et la beauté du style. L'une et l'autre ont été reproduites par la photographie pour le précieux ouvrage de M. de Laborde, Athènes aux xve, xvie et XVIIe siècles. La découverte de la première est due à M. Charles Lenormant, qui la trouva, en juillet 1846, dans une cave de

4. Mus. brit., no 400.

2. No 105.

3. Lettres à Canova, p. 85, 86.

4. T. I, p. 457, et t. II, p. 228.

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