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vées, ne dédaigne pas de descendre aussi, comme la peinture, dans le domaine de la vie familière. Le buste d'Arago, par M. Oliva, n'est point un portrait, mais une statue réduite à ce qu'il nous importe de conserver d'un grand homme de nos jours, sa tête, ses yeux, sa bouche éloquente. M. Oliva, dont l'excessive adresse nous a toujours tenu en défiance, s'élève cette fois au style par la puissance de l'expression autant que par la composition des lignes et l'interprétation tout idéale de la physionomie. Le buste de la Saur Rosalie, par M. Maindron, est aussi une œuvre de sentiment. Mais nul ne pousse l'expression de la vie à un degré aussi puissant que M. Carrier-Belleuse. Il y a dans son parti pris quelque chose de désespéré. Les hommes et les femmes de notre temps seraient-ils à ce point dépourvus de beauté qu'on ne doive demander à leur image, au lieu d'un intérêt plastique, que le caractère pittoresque qui anime la physionomie des animaux? M. Carrier justifie son audace par un grand talent : nous lui voudrions une exécution moins lisse, plus artiste, plus personnelle; peut-être M. Carrier, le jour où il s'attaquera au marbre, sera-t-il tout surpris de voir ses plus heureuses témérités compromises par cette exécution voisine de la mollesse. Le petit groupe dévot exécuté en plâtre, Salve regina, n'est pas fait pour nous rassurer.

Tous les sculpteurs ne pensent pas comme M. Carrier; quelques-uns s'efforcent encore d'idéaliser les physionomies contemporaines, et le succès couronne leurs efforts. Le buste de Béranger, par M. Perraud, indique, avec une largeur peu commune, les nuances délicates du caractère de l'illustre chansonnier, rieur, frondeur, mais penseur, poëte, et point trop bonhomme. Le buste de M. Horace Vernet, par M. Cavelier; celui de Madame la maréchale Niel, par M. Crauk; la charmante étude de M. Truphême, poétisée sous le nom de l'Automne, sont encore des œuvres sérieuses, d'un sentiment élevé et d'un goût pur.

Si le marbre appliqué au portrait semble déroger, que devient-il quand on l'emploie à des sujets de genre? Certes, M. Maillet ne perd rien de son talent pour avoir modelé avec un soin infini le groupe charmant de la Réprimande. La Gallinara de M. Cordier est une des plus délicieuses statuettes que nous ayons vues. Voilà pour des salons d'amateurs deux bonnes fortunes. Mais la statuaire gagne-t-elle beaucoup à descendre sur les cheminées de nos salons? N'est-ce pas assez de tous ces jeunes talents qu'un mouvement fatal entraîne vers la reproduction des animaux? Si encore nous voyions se produire en ce genre une œuvre monumentale égale seulement aux chevaux de Marly! Mais tant de talent dépensé pour manquer le groupe du Centaure Térée et pour réussir le Chat de deux mois nous donne le droit de faire le procès à la sculpture animalière,

trop exclusivement préoccupée de pittoresque. L'abîme est bien près. Plus d'un y tombe, qui devrait par son exemple affermir et retenir les autres. Un maître du genre, que nous sommes habitués à aimer et à applaudir, M. Mène, a exposé une composition en cire, la Prise du renard, exécutée avec une rare habileté, mais conçue sans parti pris de groupe ni d'ensemble, comme une œuvre qui n'aurait rien à démêler avec les conditions de la sculpture. Bien plus, voici, en bas-relief sur bois, la Chasse au cerf de M. Lecuire, un véritable tableau; les Tourterelles et le Nid de fauvettes de M. Briand. Que l'industrie demande à l'art des fantaisies pareilles, ce n'est pas ce qui nous surprend : nous nous étonnons que l'art les lui accorde. Même en ces genres secondaires, la sculpture a un grand rôle à remplir, si elle veut ne fournir à l'industrie que des modèles d'un goût constamment élevé et pur. C'est ce qu'ont très-bien compris quelques artistes dont il nous reste à parler. M. de Triqueti, auteur d'un vase en bronze décoré de bas-reliefs d'ivoire, a dépensé dans ce travail un talent de premier ordre. Les bas-reliefs représentent les songes de la jeunesse et de l'âge mûr, allégorie poétique sagement et grandement conçue, traduite en un style sobre auquel une exécution tranquille laisse toute sa valeur. Le vase en argent repoussé de M. Vechte témoigne d'un talent plus personnel. Peut-être la composition, empruntée au Paradis perdu de Milton, offre-t-elle un poëme trop compliqué, surchargé d'incidents, et peu facile à comprendre. Mais l'art du sculpteur y a prodigué de charmants détails; bien que le dessin des figures ne résiste pas toujours à un examen minutieux, telle de ces figures, par exemple le génie ailé qui tient la lyre, ferait honneur à plus d'un statuaire. La profusion des personnages, la combinaison savante des groupes forment un ensemble riche, harmonieux, puissant. M. Dufresne a aussi exposé deux vases, en argent repoussé, d'un bon style. En voyant ces œuvres vraiment belles, empreintes d'un caractère incontestable d'originalité et de grandeur, on applaudit à l'union de l'art et de l'industrie, parce que l'industrie s'y montre soumise à une supériorité légitime. Qu'il emploie le bois, l'argent, la cire, la terre cuite, le marbre ou le bronze, qu'il travaille pour les orfévres, les ébénistes, pour les hommes de goût, ou pour les souverains et les nations, l'art est l'art : il peut déroger quelquefois, il lui est défendu d'abdiquer.

LEON LAGRANGE.

LA GRAVURE ET LA LITHOGRAPHIE

A L'EXPOSITION DE 1861

De tous les artistes lésés dans leurs droits et dans leur dignité par l'appropriation provisoire et mal étudiée du palais de l'Industrie, il n'en est pas qui aient eu plus justement à se plaindre que les graveurs et les lithographes. Les burins, les eaux-fortes, les bois sont disposés banalement le long de corridors de dégagement; les cadres sont accrochés perpendiculairement; la lumière, en les frappant directement, miroite sur la glace qui protége les épreuves, ou, en pénétrant abondamment chaque taille, détruit, dévore toute l'harmonie de la demi-teinte.

Il y a dans cet emménagement de complaisance une sorte de mépris pour l'art, dont l'administration n'a certainement point eu conscience, puisqu'elle n'a fait que continuer les errements du passé, mais contre le retour duquel nous croyons devoir protester vivement. Le burin est un art essentiellement national. Des élégantes arabesques d'Étienne Delaulne aux siéges de Callot, des portraits éclatants des Édelinck aux scènes galantes des Cochin, de la Vierge de Desnoyers à l'Hémicycle de M. Henriquel Dupont, c'est une suite non interrompue de pièces austères ou charmantes qui nous traduisent Poussin ou Watteau, les batailles d'Alexandre ou les crayons de M. Ingres, avec une science et une souplesse qui ne se sont jamais démenties. Aujourd'hui encore notre école de gravure proteste contre la froideur des Allemands et l'habileté pratique des Anglais, par le respect de la forme, le choix des travaux et la coloration discrète. Mais au moment où la photographie porte, et nous nous en félicitons, une atteinte terrible aux reproductions à bas prix, on ne doit en montrer que plus de respect pour les maîtres qui s'astreignent à la longue et pénible étude de l'art de la gravure, et nous ne pensons pas que ce soit les encourager à se manifester en public que de leur offrir une galerie accessoire, lorsque l'on réserve, à côté, des salons tout entiers pour l'exhi

bition des produits purement industriels de nos colonies. La foule n'est que trop habituée à ne considérer la gravure que comme l'ornement des murs qui ne sont point assez riches pour se couvrir de peintures; il faut lui dire ce que cet ornement à bon marché mérite de considération; il faut encore lui dire que les eaux-fortes ne sont point seulement les délices de collectionneurs entachés d'un innocent ridicule, que les lithographies ne sont point toutes destinées aux ballots de l'exportation; et le seul moyen de relever à ses yeux ces manifestations plus familières que la peinture, mais aussi respectables, serait assurément de les disposer à l'avenir plus convenablement dans des salons spéciaux.

Dans un moment où l'école de la peinture nouvelle, affolée d'indépendance, tente d'ouvrir les voies les plus diverses, il serait naturel que l'établissement officiel de la Chalcographie cherchât à réagir par des enseignements élevés. De belles toiles, telles que le Bellini acheté l'an dernier, les Mantegna et vingt autres encore, attendent, et c'est le Jupiter et Antiope, du Corrége, déjà vingt fois reproduit, que l'on confie à M. Achille Lefèvre. M. Achille Lefèvre a rendu, avec un incontestable talent, l'harmonie ambrée du tableau qui baigne les contours; le raccourci de la jambe de la nymphe est merveilleusement modelé, et il a esquivé avec une hardiesse rare l'indécision du dessin trop souvent choquante dans cette composition célèbre. Nous ignorons si le tableau de Luini, Salomé, fille d'Ilérodiade, recevant la tête de saint Jean-Baptiste, avait déjà été gravé, mais le burin de M. Bertinot (grand prix de Rome en 1850) ne rend point l'énergie nerveuse que la peinture originale dissimule sous une feinte douceur. La main qui tient la tête sanglante n'est point assez modelée, ni surtout celle de Salomé, qui soutient le plat. M. Alphonse Leroy, qui continue avec un courage héroïque la Collection, en fac-simile, des dessins originaux des grands maîtres, a exposé la Calomnie, d'après un dessin de Raphaël, une Femme debout, étude de Rubens pour son Jardin d'amour, une Tête de nègre, d'après un croquis de Paul Véronèse, qui font partie de la collection du Louvre, et Deux enfants qui s'embrassent, de Luini, l'un des joyaux de la collection de M. His de La Salle. Enfin M. Daubigny, mécontent, dit-on, de son Buisson d'après Ruysdael, a fait mordre une grande eau-forte d'après le Coup de soleil. En louant d'incontestables qualités d'énergie, nous reprocherons à cette planche un ciel trop lourd, des hachures qui étouffent la lumière, des nuages qui s'élèvent nets et opaques, comme si un gigantesque incendie dévorait une ville derrière le mamelon de la droite. On le voit, la Chalcographie se hâte lentement, et le temps semble encore bien éloigné où, sortant des salles consacrées, parmi l'Europe entière, par des milliers de repro

ductions, elle entrera dans les salles de la peinture française, où l'attendent David, Gros, Prudhon, Géricault, en un mot les gloires nationales du commencement de ce siècle.

Mais puisque le Louvre est un temple qui ne s'ouvre que pour les morts illustres, pourquoi les éditeurs modernes n'entrent-ils pas à Versailles, au Luxembourg, ou dans les galeries contemporaines? A côté de la Cinquantaine, par M. Paul Girardet, qui rend avec une incroyable fidélité les transparences, les lumières tapotées et aussi les expressions vivantes de la spirituelle peinture de M. Knauss; à côté du Mur de Salomon, d'après M. Bida, terminé au burin par M. Pollet, avec la plus étourdissante habileté, sur une eau-forte solidement préparée par M. Masson, de la grandeur même du dessin original, nous cherchons vainement, cette année, quelqu'un des tableaux de M. Ingres ou de Scheffer, de Paul Delaroche ou de Decamps. Si M. John Ballin a mêlé à l'aqua-tinte un système de tailles ondulées et interrompues pour les fines compositions de M. Brion, pourquoi ne trouvons-nous, d'après M. Eugène Delacroix, qu'une gravure et qu'une lithographie? Encore, M. Sirouy a-t-il rendu toute la fougue de ce Sardanapale, une des meilleures toiles et des moins connues du maître? N'est-ce point à nos grands éditeurs à encourager l'artiste qui osera se mesurer avec la nacre de ces chairs palpitantes, l'éclat de ces draperies blanches, le ruissellement de ces vases, de ces perles, de ces armes bizarres? Qu'on n'argue pas de la fantaisie de la touche. Rubens et Jordaens ont donné naissance à une pléiade de graveurs qui se sont mesurés, corps à corps, avec tous les chatoiements de la lumière, toutes les fantaisies du pinceau, toutes les indications sommaires de la forme. C'est ce dont M. Charles Geoffroy ne, s'est peut-être point assez souvenu: la couleur de sa Médée est belle, mais les expressions sont affadies, et les chairs traitées froidement. Peut-être l'eau-forte, quoique en général (et je le dis surtout pour la Chalcographie) elle soit peu propre à rendre, avec le soin nécessaire, les toiles importantes, traduirait-elle avec plus d'accent la fierté de la peinture de M. Eugène Delacroix. L'eau-forte de M. Charles d'Henriet, d'après la Barque du Dante, est une bonne tentative; mais M. d'Henriet se préoccupe de l'effet jusqu'à oublier le dessin.

Si la gravure au burin semble en ce moment témoigner d'un certain engourdissement, l'eau-forte au contraire, cette sœur cadette de la peinture, suit cette année la jeune animation de son aînée. Tout le monde lui sourit. Les amateurs, découragés par le haut prix des belles pièces anciennes, rebutés par de vaines recherches dans les cartons mille fois visités des marchands, entr'ouvrent enfin la porte de leur cabinet austère aux contemporains; on assure même qu'une société d'aqua-fortistes va se

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